« Votre couple bat de l’aile ? Optez pour une rencontre virtuelle… » Cela ressemble à une mauvaise publicité pour une nouvelle application de rencontres. C’est pourtant proche de la conclusion d’une récente étude publiée dans la revue Current Research in Ecological and Social Psychology : un flirt avec un agent virtuel détournerait une personne en couple de la tentation de tromper son ou sa partenaire. Pour parvenir à ce résultat, des chercheurs et chercheuses de l’université Reichman en Israël ont testé l’impact d’une interaction en réalité virtuelle sur une personne en couple.
Ils cherchaient à valider (ou infirmer) leur hypothèse que la théorie de l’inoculation psychologique pourrait fonctionner dans ce contexte. Comme un vaccin nous immunise, celle-ci suggère que l’exposition à une menace plus faible — ici, un humanoïde en réalité virtuelle — a tendance à augmenter la vigilance face à une menace — en l’occurrence, une autre personne désirable. Néanmoins, pour certains, d’autres facteurs pourraient intervenir dans les résultats trouvés.
Trois expériences pour tester la fidélité
Pour tester cela, trois expériences ont été mises en place sur des personnes en couple exclusif. Avant chacune, les participants ont été immergés, avec un casque de réalité virtuelle, dans un bar avec un barman ou une barmaid du même genre que leur partenaire. En faisant varier la gestuelle ou le texte de l’humanoïde, les chercheuses et chercheurs lui donnaient un comportement soit séducteur, soit neutre. Les participantes et participants ont ensuite été exposés à l’une des situations réelles suivantes :
- Un même interlocuteur, jugé attractif sur la base d’un questionnaire rempli par le participant ou la participante, leur posait une série de questions à propos de leurs passe-temps ou leurs visions d’une relation (par exemple : est-il possible de trouver l’amour en ligne ?). À l’issue de cet échange, ils ont dû évaluer le physique de cette personne ;
- Ils devaient aider une personne (jugée séduisante elle aussi à partir du même questionnaire) à construire une pyramide avec des cubes en plastique. Après cette interaction, ils avaient à noter, ici aussi, le physique de la personne qu’ils venaient d’aider ;
- Assis en face de leur partenaire, ils devaient échanger sur leur épanouissement intime. Puis, séparés dans deux pièces, devaient estimer leur désir pour leur partenaire et pour une autre personne.
Résultat : selon si la personne a été exposée à un barman jugé séducteur ou non, le comportement a été différent. Celles et ceux qui se sont fait « draguer » en réalité virtuelle ont jugé moins attirante la personne qui leur posait des questions ; ont eu tendance à moins s’investir dans l’aide apportée ; ou à estimer plus haut le désir qu’ils ont pour leur partenaire.
Dans tous les cas, après un flirt virtuel, les participants ont eu tendance à éviter les autres menaces pour leur couple et à se recentrer sur leur partenaire. « L’étude a montré que l’exposition à cette faible menace de l’agent virtuel — qui n’est d’ailleurs pas une menace car il ne peut pas nuire à la relation actuelle — permet aux personnes engagées dans une relation de se préparer à faire face plus efficacement à des menaces importantes dans le monde réel », conclut Gurit Birnbaum, professeure en psychologie et co-autrice de l’étude.
La VR stimule-t-elle vraiment la culpabilité ?
Des résultats qui ne surprennent pas Véronique Kohn, psychologue et autrice de l’ouvrage Quand la peur de perdre l’autre… me fait le perdre : « Ici, avec cette interaction virtuelle, les chercheurs ont stimulé le désir. Or, dans notre société où le couple traditionnel exclusif est le modèle, ce désir d’un ou d’une autre fait augmenter le sentiment de culpabilité. Comme cela pourrait menacer le couple, on va vouloir mettre plus d’énergie dans la relation. »
« On pense que les interactions virtuelles pourraient avoir le même rôle que celles fantasmées, qui permettent d’entretenir le désir dans un couple », estime Gurit Birnbaum. Stimuler une excitation pour un(e) autre qui sera employée envers une personne « plus légitime » — le conjoint ou la conjointe. Même si la chercheuse admet qu’aucune étude n’a encore établi ce parallèle entre fantasme et interaction virtuelle.
Caroline Gravel, enseignante en philosophie et autrice de L’amour virtuel, un amour véritable ?, reste sceptique : pourquoi le sentiment de culpabilité serait présent alors que l’immersion est loin d’être idéale ? Le discours est robotique, les graphismes peu réalistes. « Personne ne pourrait confondre cet échange avec la réalité. » Pour elle, un autre mécanisme est à l’œuvre et expliquerait les résultats : « Quand on est exposé à des gestes séducteurs (à la télévision ou dans un roman) cela peut nous les rappeler et nous donner envie de les reproduire avec notre partenaire, ce qui peut renforcer la relation. »
Surtout que d’autres aspects peuvent biaiser sur les résultats : les psychologues ont forcément exposé les participants à une personne (virtuelle et réelle) du même genre que leur partenaire et l’expérimentateur était présent dans la salle lors de l’immersion en réalité virtuelle (ce qui peut nuire à l’immersion).
« Je ne pense pas que cela pourrait fonctionner »
Sachant ces limites, et à la vue de l’évolution du réalisme de la réalité virtuelle, allons-nous, demain, nous immerger dans des thérapies de couple en VR ? « Les personnes très engagées dans leur couple sont les plus susceptibles d’utiliser la réalité virtuelle de façon constructive pour leur couple », estime Gurit Birnbaum. D’autant qu’il ne serait pas possible de considérer ce flirt comme une infidélité puisque la personne en face n’existe que dans des lignes de codes… « On pourrait être jaloux du temps que son ou sa partenaire consacrerait en réalité virtuelle, mais ce serait étrange de parler d’infidélité », confirme Caroline Gravel.
« Je ne pense pas que cela pourrait fonctionner », penche de son côté Véronique Kohn. « Déjà, ça risque de faire rire, mais en plus, on n’aurait pas de culpabilité si c’est autorisé, donc pas la peur de perdre l’autre et l’envie de réinvestir son couple. »
L’étude semble, en tout cas, montrer que les interactions virtuelles peuvent avoir des répercussions sur le réel. « Cela suggère qu’une relation virtuelle ne se substitue pas à une relation avec un être humain », conclut de son côté Caroline Gravel. On préfère la compagnie de son ou sa partenaire à celle d’un robot, et heureusement.
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