Les gens ont faim, ils sont agressifs, bruyants et sont pour la plupart très confus. Non, nous ne sommes pas dans le métro parisien mais au premier jour du Web Summit, à Dublin en Irlande. Le lendemain, ils ont disparu. Remplacés par d’autres gens, également affamés, agressifs, bruyants… Le troisième jour, c’est la même chose : ceux de la veille ont disparu, laissant place à de nouvelles personnes, tout aussi affamées, agressives… bref, vous avez certainement compris.
Le Web Summit, c’est cette année 43 000 personnes selon les organisateurs. La Paris Games Week a récemment communiqué sur plus de 300 000 visiteurs en 2014, alors que le salon en aurait accueilli environ 160 000. Autant le chiffre de la Paris Games Week était surestimé, pour peser face aux autres salons de gaming, autant celui du Web Summit semble correct. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un salon business et que les gens ont payé une fortune pour être là — et c’est blindé, cela se ressent même dans les rues de Dublin, une petite capitale européenne d’environ 500 000 habitants. Pas de métro, mais un nombre incalculable de taxis (7000 euros la licence) et des bus partout. Loin de suffire pour accueillir un événement de 40 000 personnes qui voit se suivre les têtes pensantes et les mains faisantes du web de demain.
Revenons à ces gens, affamés, agressifs et bruyants. Pour la plupart, ils viennent de startups, qui ont été classées dans des catégories « Alpha », « Beta » ou encore « Start ». Ces catégories signifient deux choses : d’abord, c’est un signe qui indique leur niveau de développement. Ensuite, c’est le prix qu’elles payent et leurs « droits d’accès » car les entreprises présentes payent pour tout. Exemple parlant : il faut compter 2 000 euros pour une startup « Alpha » avec trois ou quatre entrées pour l’événement, et la possibilité de s’afficher sur environ 1 mètre carré sur une seule journée. Sans compter les frais de déplacement et d’hébergement.
Est-ce que c’est vraiment petit ? Oui, nous ne pouvons pas appeler ça un stand. L’espace proposé, c’est environ la taille d’une cabine téléphonique, avec une petite pancarte sur du contreplaqué, un logo, 120 caractères pour décrire l’entreprise et de quoi poser un ordinateur portable.
Environ un mètre et demi de long, et un mètre de profondeur, le Web Summit a disposé ces startups les unes à côté des autres, si proches même que les unes interpellent les discussions des autres sans trop le faire exprès.
Elles essaient donc de se différencier avec des pratiques complètement absurdes, de la nourriture, des chapeaux hors-normes et en tant que médias, nous sommes alpagués, demandés de toutes parts, comme si nous étions des investisseurs. Nous cachons alors nos badges. Il faut les comprendre ces startups, elles sont environ 700. 700, chaque jour. 2141 au total sur les trois journées du salon. Même en passant 10 minutes avec chacune d’entre elles, il vous faudrait 357 heures pour toutes les voir. Alors, on navigue en lisant les pancartes et les descriptions qui font la taille d’un tweet. Le logo peut interpeler, coup de chance. On discute, une minute, cinq minutes, pas plus. Mais, cela ne suffit jamais pour cerner tout ce que l’on doit cerner : l’équipe, le concept, la stratégie, la vision… l’âme du projet.
Et ces entreprises ne viennent pas du coin. Non, elles viennent du monde entier, principalement d’Europe. d’Estonie, d’Afrique du Sud, de Russie, d’Inde, de Pologne, de Corée du Sud, de Chine, du Mexique ou duBrésil… Évidemment, la plupart d’entre elles ne présentent pas le moindre intérêt. Le Web Summit a divisé son salon en « secteurs » (des Summit), le « Marketing », le « Green », le « Sport et la santé », la « Musique » et ainsi de suite. Dans chaque secteur, les startups sont regroupées par univers, comme le « Machine Summit », qui accueille une rangée d’entreprises dédiées à la réalité virtuelle.
Autant vous donner une image pour décrire l’ambiance : cela a la saveur de Las Vegas. Pas celle de la grande conférence du CES, celle, plus lugubre et bruyante des grands casinos. J’ai passé du temps à arpenter les couloirs des « Summit » pour tomber sur quelques pépites, et effectivement j’ai noté dans mon carnet quelques startups intéressantes, j’ai pris des contacts, discuté quelques minutes et échangé des cartes de visite. Mais ce n’était pas calculé : tout s’est fait par le plus heureux des hasard. Alors évidemment, à ce rythme, mes 200 cartes de visite embarquées pour l’événement ont disparu en quelques heures.
Au rayon des déceptions, les « Alpha » sont les plus frustrées : ces boites se sentent trompées et escroquées. On les comprend. On les pousse clairement à faire du scam. Elles nous alpaguent, nous envoient des e-mails, des tweets, des messages sur WhatsApp, et sur Facebook, mais aussi au sein de l’application de l’événement, par dizaines… par centaines. Elles nous prient de rester quelques secondes à leur parler, « just one second, please, a big second ». Elles se mettent dans des situations embarrassantes, souvent très proche du ridicule.
Si vous êtes familier avec le circuit de conférences dédiées à la technologie on peut dire que le Web Summit a la saveur d’un événement comme LeWeb (Paris, non prévu cette année)), avec la taille d’un Consumer Electronic Show (Las Vegas, janvier 2015) saupoudré d’une pincée de SXSW (Austin).
Au lieu de parler de gadgets et d’électronique, de discuter sainement avec des exposants qui feront le monde de demain, vous avez un hall tentaculaire rempli de startups. Les investisseurs sous toutes les formes, les clients potentiels et les journalistes sont ensuite canalisés afin d’interagir avec ces entreprises, coincées au milieu.
Il y a également les conférences, qui ont lieu dans les « stage ». Elles s’enchaînent dans une énorme salle centrale et environ 5 à 6 salles autour. Les échanges durent 20 minutes et elles sont extrêmement séduisantes. En fait, je n’ai pris mon billet pour le Web Summit que pour elles. Palmer Luckey (Oculus VR), Mike Krueger (Instagram), Stewart Butterfield (Slack), Michael Dell (Dell), Bill Ford (Ford), Yancey Striduler (Kickstarter), Nicolas Brunson (BlaBlaCar), Sean Rad (Tinder) ou encore Ed Catmull (Pixar)… autant de noms inspirants qui arpentent la scène principale du salon qui auguraient du meilleur.
Évidemment, ces « speakers » sont les plus grands « VP Sales » pour l’événement. Et les sujets des conférences sont tous tentants, mais je n’ai finalement assisté qu’à quatre d’entre elles sur les 23 prévues. Pourquoi ? Comme elles ne durent que 20 minutes, ce n’est même pas suffisant pour introduire les sujets qu’elles prétendent aborder. Comment voulez-vous traiter de choses aussi complexes en aussi peu de temps ? Globalement, elles sont ennuyeuses et plates. La moitié des intervenants sont des sponsors, l’autre moitié, ne prenne pas de risque.
J’ai donc cessé de m’y rendre et de perdre du temps pour passer à un versant vraiment intéressant de ce salon : l’interview. J’en ai profité pour rencontrer une bonne dizaines de personnes, en tête à tête pendant 20 à 60 minutes. Carl Pei (One Plus), Eric Migicovsky (Pebble), Kirt McMaster (Cyanogen Inc) et ainsi de suite. Des entrevues passionnantes, que nous n’avons pas le temps de préparer pendant les autres grands salons tech, comme le Mobile World Congress ou l’IFA. C’est à cette occasion que j’ai pu voir quelques startups, en tête à tête et organiser une dizaine d’entrevues sur Paris ou d’autres villes en France et en Europe.
Le Web Summit est arrogant, ambitieux et fort. L’émulation autour du salon est énorme, malgré tous ces défauts et une organisation qui laissent de côté ceux qui auraient le plus besoin de ce type d’événement. Ils ont réussi là où nous avons toujours voulu réussir en France : organiser un salon de qualité sur le web de demain. C’est désormais une référence.
Mais voilà, les entrepreneurs expérimentés vous diront toujours la même chose : vous n’avez jamais à payer pour être entendu. Vous n’avez jamais à payer pour accéder aux investisseurs. Vous n’avez jamais à payer pour jouer. Dans une certaine mesure, le Web Summit chevauche cette ligne entre les promotions sordides d’accessibilité à ces richesses et le fait d’être une vitrine bienveillante pour les startups du monde entier.
L’an prochain, le Web Summit prend ses valises et s’installe à Lisbonne, au Portugal. Un échec pour l’Irlande qui n’a pas su accompagner la plus grande conférence dédiée au Web en Europe dans sa montée en puissance ; une réussite pour le Web Summit qui a su se donner les moyens de réussir là où d’autres ont échoué. Finalement, il est une belle incarnation de la startup : elles doivent être prêtes, de l’identité graphique au pitch, elles doivent s’adapter rapidement, observer et agir, même dans le chaos.
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