La journée du 15 juillet restera dans les annales du Peer-to-Peer. Deux évènements distincts mais aux conséquences rapprochées avaient lieu au sein de l’Etat en ce lendemain de fête nationale. Tout d’abord, le Sénat a adopté l’amendement autorisant la collecte des IP par les majors. Ensuite, la table ronde du 15 juillet a vu la naissance d’accords entre ces dernières et les FAI, y compris la déconnexion des internautes condamnés. Bilan de la journée.

Le Sénat examinait aujourd’hui le projet de loi relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, modifiant la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. Sans surprise, l’hémicycle a adopté la mesure permettant aux regroupements d’ayant droits de collecter les adresses IP lorsqu’ils constatent des actes de piratage.

L’article 9 de la fameuse loi de protection de la vie privée prévoit désormais que « les personnes morales victimes d’infractions ou agissant pour le compte desdites victimes pour les stricts besoins de la prévention et de la lutte contre la fraude ainsi que de la réparation du préjudice subi  » pourront désormais traiter les données personnelles des pirates présumés. Les actions entamées contre les utilisateurs par la SCPP, et annoncées par l’IFPI, seront largement facilitées puisque le juge ne pourra plus refuser l’adresse IP collectée sur les réseaux P2P comme mode de preuve et d’identification.

Espérons que le juge soulevé de ce type d’affaire saura considérer que l’adresse IP est un élément de preuve extrêmement fragile. Le cas récent de Razorback ne fait qu’appuyer ces doutes, soulevés depuis longtemps aux Etats-Unis lorsque par exemple une femme s’est vue accusée d’avoir téléchargé du Puff Daddy sur Kazaa alors qu’elle avait 66 ans et qu’elle possédait un Mac (Kazaa étant indisponible sur cette plateforme). De plus, le développement du Wifi rend le « vol de connexion » de plus en plus facile et donc la désignation du coupable de plus en plus aléatoire.

Résultat mitigé de la table ronde du 15 juillet

Côté gouvernement, Nicolas Sarkozy accueillait aujourd’hui à Bercy le ministre de la culture et de la communication Renaud Donnedieu de Vabres et le ministre de l’industrie, Patrick Devedjian. Le trio ministériel recevait selon le communiqué officiel « l’ensemble des professionnels et des organismes concernés par la question de la piraterie sur Internet, en particulier les représentants des industries du disque, du cinéma, du logiciel et du jeu vidéo, et les représentants des fournisseurs d’accès à Internet et des opérateurs de télécommunications« . Visiblement, les consommateurs, eux, n’étaient pas concernés, puisque le communiqué n’y fait pas allusion.

Les acteurs invités se sont mis d’accord pour signer une charte comprennant les mesures suivantes :

– Des actions pédagogiques dans les collèges et les lycées, avec notamment la présentation de films montrant les méfaits de la piraterie et l’intervention d’artistes, ainsi que des actions de sensibilisation des fournisseurs d’accès à Internet à destination de leurs abonnés sur le caractère illégal et dangereux (virus) du piratage ;
– le développement et la promotion de l’offre de musique légale en ligne, en particulier avec l’augmentation, d’ici la fin de l’année 2004, de 300 000 à 600 000 titres du catalogue actuellement disponible. Cette offre devra être compétitive, ergonomique et les règles de facturation sûres, transparentes et simples ;
– l’engagement des fournisseurs d’accès d’adresser systématiquement un message d’avertissement aux internautes surpris sur le net en train de pirater, le désabonnement des personnes qui auront été condamnées pour piratage par la justice et le blocage des sites en cas d’injonction des juges.

Si les deux premières mesures n’auront qu’un effet limité (on notera que la seconde s’adresse tout spécialement à Sony Connect), l’engagement des FAI de désabonner les personnes condamnées en justice pour piratage devrait soulever les foules. Si la personne a été condamnée en justice, pourquoi la condamner à nouveau alors qu’elle a déjà payé les frais de son comportement passé. Pirate un jour, pirate toujours ?

En outre, le ministre Donnedieu de Vabres a rappelé son appel à abaisser la TVA sur les CD, mais également sur les téléchargements. De cette manière, le gouvernement encourage les majors à ne pas moderniser leur modèle économique et à profiter d’une baisse du prix des CD qui ne profitera en rien aux consommateurs. Car quelle que soit la répercussion de la TVA sur le prix final dans les bacs, l’argent collecté au nom de l’Etat par cet impôt devra être collecté par ailleurs pour compenser la perte, et au final, le pouvoir d’achat culturel du consommateur ne sera pas plus important.

Une reconnaissance de l’intérêt légal des technologies P2P

Histoire d’éclaircir le sombre tableau de la journée, accueillons cependant favorablement certaines prises de position. Le ministre de la culture a ainsi laissé entendre dans son discours d’ouverture de la journée que seul un juge pourra exiger l’identité des abonnés. Cela exclue a priori un projet de loi qui, a l’instar de ce qui existe aux Etats-Unis, permettrait aux majors de demander l’identité d’un abonné directement aux fournisseurs d’accès, sans passer par la case « justice ».

« Les partenaires de la table ronde conviennent que le filtrage généralisé des sites de Peer to-Peer présente un certain nombre de difficultés techniques,
d’autant plus que certains échanges de fichiers, grâce au système de Peer-to-Peer, sont parfaitement légaux et utiles.
« , précise également le communiqué. Nous ne pouvons donc qu’accueillir favorablement le fait que l’Etat et les partenaires privés prennent ainsi officiellement conscience que la bête noire « Peer-to-Peer » connaît de nombreuses applications légales et utiles.

Toutefois, l’Etat n’écarte pas toute possibilité de filtrage. M. Donnedieu de Vabres, qui s’est montré particulièrement pressé d’aboutir à des actions, demande que « ces techniques [de filtrage] devront pouvoir donner lieu à des expérimentations rapides auprès d’un panel d’abonnés, afin d’en valider l’efficacité« .

Enfin, le ministre a considéré l’importance de l’interopérabilité des systèmes de gestion numériques des droits. Parlant de sa proposition de mise en place d’un plan d’action contre la piraterie au niveau européen, le ministre précise qu’il « aurait aussi pour effet de stimuler les travaux de la commission européenne sur l’interopérabilité ou compatibilité des systèmes.« . Il ajoute que « c’est en effet un aspect essentiel, qui crée là encore une alliance nouvelle et inattendue, cette fois entre les producteurs et les consommateurs, qui souhaitent ensemble que les offres puissent être facilement accessibles sur un maximum de supports.« . EUCD.info, dont l’on souhaite qu’ils puissent prendre une place importante dans la mise en place de ces solutions interopérables, ne pourra qu’apprécier.

Le refus d’une licence légale sur Internet

Répondant à l’ADAMI, mais également aux nombreuses propositions plus respectueuses de l’intérêt des internautes et des artistes (comme la Licence de Diffusion Culturelle), le ministre de la culture s’est opposé à ces idées de modernisation du droit d’auteur.

« Gardons-nous des fausses bonnes idées, qui détruiraient un modèle de financement de la création qui a fait ses preuves pour un système dont personne ne sait s’il serait capable d’assurer correctement le financement de la création« , prévient-il ainsi.

Pour le ministre, la création n’a de valeur qu’a travers son prix : « La gratuité, c’est une société qui efface les traces de ses pas. […] Le mythe de la gratuité détruit la valeur de la création. Lorsque tout est gratuit, on ne perçoit plus la valeur de la création, que l’on prend et que l’on jette« .

Les auteurs qui diffusent leurs œuvres sous Creative Commons seront certainement ravis de l’apprendre.

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