Si le sujet des consoles PS4 qui auraient été utilisées par les terroristes du 13 janvier pour planifier leursattaques a été largement modéré et questionné, ce serait naïf de croire que ces groupes n’utilisent pas des moyens modernes pour communiquer. Une application revient tout particulièrement dans les analyses qui ont été faite de la propagande de Daesh avant les attentats du 13 novembre : Telegram. On peut alors poser la question légitimement : pourquoi les djihadistes utilisent-ils ce service plutôt qu’un autre ?
Pourquoi Telegram ?
Telegram est avant tout une application de messagerie instantanée sécurisée. Elle a l’avantage d’être disponible sur iOS, Android et Windows Phone, mais aussi dans une version Web, une application MacOS, Windows et Linux. L’appel est complet : oui, il est possible d’utiliser Telegram confortablement sur à peu près toutes les plateformes possibles et imaginables. Cela donne à l’application un argument certain, mais qui n’est peut-être pas le plus intéressant pour les personnes qui l’utilisent, terroristes ou citoyens conscients de la sécurité de leurs échanges.
Car Telegram, c’est surtout un client de messagerie qui met toutes les options de sécurité les plus avancées à la portée de n’importe quel individu sans avoir besoin de la moindre connaissance technique. Sur sa page de présentation, l’application présente ses caractéristiques clefs de la manière suivante :
On note dans le lot qu’il est possible de chiffrer ses communication (l’application utilise un protocole end-to-end EE2E, qui garantit un chiffrement des messages de client à client et non uniquement du serveur au client), de programmer des messages qui s’auto-détruisent, d’envoyer des documents et surtout, de créer des conversations de groupe qui bénéficient de toutes ces options jusqu’à 200 personnes. Très largement de quoi réunir une cellule terroriste pour transmettre de la propagande ou un groupe qui aurait décidé de planifier une attaque, d’autant que l’application ne demande pas de nom d’utilisateur pour être utilisée : des salons Telegram liés à Daesh auraient déjà été repérés par le groupe Anonymous.
Enfin, comme tout ce qui se passe côté client est ouvert (seul le code côté serveur est propriétaire) n’importe qui peut adapter l’application à ses besoins en ajoutant de nouveaux outils. Notons enfin que Telegram se vante d’avoir des serveurs un peu partout dans le monde, ce qui lui donne une résilience toute particulière si un état souhaiterait faire fermer l’un des points d’accès sur son territoire. Point d’accès qui ne serait de toutes façons pas obligatoire puisque les utilisateurs peuvent choisir de ne pas les utiliser (et perdre la synchronisation de leurs messages sur toutes leurs plateformes).
Sceptiques sur sa sécurité ? Telegram a lancé un concours dont le prix pour le gagnant est de 300 000 dollars pour inviter à pirater et révéler des échanges. À ce jour, personne ne l’a encore gagné.
Pour résumer, nous avons donc une application disponible sur toutes les plateformes, partiellement ouverte, qui permet de chiffrer ses communications, de faire des groupes de discussion jusqu’à 200 personnes et d’envoyer des fichiers sans limite de taille. Mais toute cette architecture technique ne serait rien si elle n’était pas soutenue par une philosophie, celle du chef d’entreprise russe et business angel libertarien Pavel Durov.
Pavel durov, le libertarien russe
Même s’il n’est pas directement impliqué dans Telegram en tant qu’entreprise, le siège de la compagnie étant situé à Berlin, Durov est celui qui permet au projet d’exister. Telegram est gratuit et le sera toujours d’après la FAQ de l’entreprise et ne possède pas de pub : l’application n’a donc pas de business model et se fonde uniquement sur la bienveillance de Durov et des millions d’utilisateurs à travers le monde qui pourront être un jour amenés à faire des dons pour que l’application survive.
Pavel Durov et son frère Nikolai qui s’occupe de la technique sont connus pour avoir fondé le réseau social russe VKontakte, concurrent direct de Facebook en Russie qui revendique 276 millions d’utilisateurs dans le monde. À cause de leurs idées et de leurs actions, les deux frères ont souvent été ennuyés par le Kremlin qui a pu leur demander, par exemple, de fermer des groupes qui appelaient à lutter contre la politique gouvernementale. Ce qu’il a refusé, bien entendu, avant de s’exiler définitivement de sa terre natale qu’il a jugé « incompatible avec le business sur Internet ».
Toutes les discussions sur Telegram et dans les groupes sont les territoires privés de leurs participants
Pour les Durov, la communication sur Internet est une affaire privée qui va bien au-delà des considérations habituelles sur la question. « Toutes les discussions sur Telegram et dans les groupes sont les territoires privés de leurs participants respectifs et nous ne nous permettons aucune requête qui leur seraient liés ». Cette notion de territoire a de l’importance, parce qu’elle ancre le virtuel dans une réalité : discuter sur Telegram, c’est comme si vous discutiez chez vous, dans un fauteuil.
Si on la compare à des concurrents comme WhatsApp qui revendique aussi son chiffrement, Telegram a donc un atout pour les groupes terroristes ou les dissidents politiques : elle n’est pas reliée à une multinationale américaine et son principal actionnaire est un adepte libéral du laisser-faire. Idéologiquement, on imagine mal un Durov qui a déjà tenu tête au Kremlin et à l’Iran se soumettre aux requêtes des états qui pourraient lui demander de fermer tel ou tel salon.
Reste qu’un flux chiffré laisse des traces et même si on ne sait pas ce qui transite, une bonne écoute peut permettre de révéler un protocole de transfert et donc de déterminer, petit à petit, qui parle à qui. Une information primordiale qui mène à la certitude que les groupes terroristes utilisent aujourd’hui non pas un seul protocole ou une seule application, mais un large éventail de ressources pour communiquer.
Afin de bien choisir sa messagerie sécurisée, découvrez notre guide du chiffrement.
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