Novembre 2005. À quelques jours du lancement américain de sa nouvelle console Xbox 360, Microsoft est partagé entre sérénité et tension. Point positif : le constructeur est le premier à dégainer sa nouvelle machine. La Wii de Nintendo ne sortira qu’un an plus tard et vise un autre segment du marché quand le rival Sony s’embourbe dans son projet Playstation 3 qui n’aboutira que dans le courant de l’année suivante. Une situation confortable, mais insuffisante pour soulager les équipes de l’entreprise. Car ces dernières s’inquiètent du faible nombre de machines disponibles le jour J. Et elles ont raison : huit jours après le lancement, seulement 326 000 exemplaires de la Xbox 360 auront rejoint un foyer nord américain. En comparaison, la très décriée Xbox One fera trois fois ce chiffre… en une seule journée.
L’arrivée sur le marché de la 360 est donc laborieuse mais s’explique par les difficultés de production de la machine sur les chaînes de montage. À l’époque, Peter Moore, vice-président de Microsoft se verra même obligé de rassurer le marché en déclarant que l’entreprise « fait tout ce qu’elle peut pour approvisionner les boutiques » . Sa réaction répond en fait à une rumeur très en vogue à l’époque : Microsoft limiterait volontairement le nombre d’unités disponibles pour créer de fausses ruptures de stock, qui envoient au monde le signal d’un immense succès. Une accusation « ridicule » selon Moore, qui sait l’impact négatif que pourrait avoir une machine dont les premières unités rendraient l’âme un peu trop vite.
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Tabula rasa
Trois ans plus tôt, le géant Microsoft n’est encore qu’un nain dans le monde du jeu vidéo. Sa première console Xbox connaît un succès tout relatif avec quelques millions d’unités écoulées. Sony, lui, se situe dans une autre dimension, avec une Playstation 2 qui dépassera facilement les 100 millions d’unités. Pour rattraper son retard, Redmond n’a qu’une solution : frapper très fort en sortant rapidement un nouveau produit. La décision est vite prise, la première Xbox sera sacrifiée après seulement quatre ans de présence sur le marché. Le cycle de vie est plus court que la moyenne mais Microsoft dispose d’un atout : le succès tout relatif de la première console permet de ne pas se mettre trop de joueurs à dos.
Et le délai de conception n’est pas un problème, à en croire le patron de la division Xbox de l’époque, Robbie Bach, qui nous confie dans un entretien : « Je suppose que cela vous paraît court mais en fait, nous avions fait la première Xbox en 18 mois ».
Le projet lancé, il lui faut un nom de code. Ce sera « Xenon », et des milliers d’employés de Microsoft se retrouvent affectés au projet. L’idée est d’apprendre des erreurs commises sur la génération précédente.
• L’interface était repoussante ? Elle sera élégante.
• La console et son pad étaient trop gros et trop lourds ? Les nouvelles versions devront flirter avec la perfection.
Pour J. Allard, l’un des pontes de la division, si la Xbox de première génération a été conçue comme une peinture, par ajouts de couches successives, la Xbox 360 doit être pensée comme une sculpture, c’est-à-dire par un processus de réduction de l’inutile.
Mais les meilleures intentions du monde et de très gros moyens financiers ne répondent pas à l’une des questions les plus importantes : que fait Sony de son côté ?
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À ce moment là, le géant japonais travaille avec Toshiba et IBM sur l’élaboration du processeur de la future PS3. Et c’est peut-être ici qu’une partie de la guerre entre les deux constructeurs va se jouer. L’entreprise allonge pas moins de 400 millions de dollars sur 5 ans pour le développement de la puce et pense sans doute mettre toutes les chances de son côté. Mais ce que Sony ne sait pas c’est que Microsoft aussi a approché IBM. Et les équipes de ce dernier auraient été jusqu’à présenter des travaux effectué pour Sony… à son concurrent.
Forcément intéressé, Microsoft signe avec IBM pour le développement d’un processeur élaboré à partir du travail fourni sur le Cell. En nouant le partenariat avec IBM, Sony a accepté que des déclinaisons du Cell soient ensuite vendues à la concurrence, mais le Japonais n’imagine sans doute pas que le projet puisse être dévoilé à d’autres pendant le développement.
L’affaire va tellement mal tourner pour le constructeur japonais que Microsoft se retrouvera en capacité de produire sa propre puce bien avant son concurrent. Une situation ubuesque, racontée en long et en large par d’anciens ingénieurs d’IBM dans le livre The Race for a New Game Machine.
Plus tard, l’un des auteurs du livre polémique clarifiera la situation et indiquera que Microsoft ne savait pas que le projet qui lui avait été présenté se basait sur le Cell et qu’à l’arrivée, les deux processeurs étaient très différents. Mais il maintiendra que les puces sortaient bien d’une base commune et que de grosses tensions se faisaient sentir dans l’équipe de développement du processeur de Sony. A l’époque certains ingénieurs auraient protesté contre le partage de la technologie et se seraient vus répondre que tout cela n’était pas bien différent d’un processeur Intel ou AMD vendu pour équiper un PC Dell ou Hewlett-Packard.
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Irrésistible… mais pas complète
Une fois la console prête et le nom définitif trouvé — Xbox 2 ayant été jugé désuet, c’est l’idée de « 360 degrés de divertissement » qui donnera le nom de 360 — Microsoft doit encore la présenter au public. Pour cela, l’entreprise décide d’officialiser la chose quelques mois seulement avant la sortie. Mais contrairement à l’habitude qui veut que les grosses annonces se fassent à l’Electronic Entertainment Expo (E3) de Los Angeles, le géant étonne en optant pour une courte présentation sur la chaîne de télévision américaine MTV. Pour les gamers, l’événement ne fait que confirmer un design qu’ils connaissent depuis déjà plusieurs jours grâce aux nombreuses « fuites » bien pratiques pour faire monter la mayonnaise. La Xbox était noire et un peu disgrâcieuse, la 360 affiche une élégante livrée blanche et de jolies courbes.
Un beau design, des manettes magnifiques et sans fil et la promesse de jouer en haute définition séduisent rapidement les joueurs. Il ne leur manque plus qu’une donnée pour passer à la caisse le jour de la sortie : le prix. Il sera annoncé quelques mois plus tard et Microsoft va frapper extrêmement fort avec un ticket d’entrée situé à 299 euros. Pour parvenir à un tel tarif sur un produit aussi avancé techniquement, l’entreprise propose un boîtier basique sans disque dur et une manette filaire. Le modèle « premium », proposé à 399 euros, dispose lui d’un boîtier chromé, d’un gamepad sans fil, de 20 Go de disque dur et d’un casque-micro. Sans surprise, la version premium est une meilleure affaire, l’autre n’existant que pour aspirer le public.
Cependant, Microsoft a tout de même dû faire quelques sacrifices pour parvenir à ces prix planchers. Les Xbox 360 de première génération ne disposent pas de WiFi intégré – il faut acquérir un module supplémentaire à 79 euros – et encore moins de prises HDMI. L’intégration de la norme attendra 2007, alors que le WiFi n’équipera la machine qu’à partir de l’année 2010. Du côté des films, la 360 ne lit que les DVD, Microsoft ayant choisi le format HD-DVD (désormais disparu) par le biais d’un lecteur externe commercialisé un an plus tard pour un peu moins de 200 euros. Pas de Blu-Ray. Pour l’entreprise, qui n’avait pas caché son processus créatif de réduction de l’inutile, la logique se tient. Il convient surtout d’être le premier et le moins cher.
Hélas pour Microsoft, de nombreux joueurs vont rapidement constater que le taillage a sans doute été un peu vif. D’abord, la console s’avère extrêmement bruyante lorsqu’elle lit un jeu sur DVD-ROM. À tel point que certains sites sortent assez vite des didacticiels pour éviter les bruits de casserole de la machine.
Les premiers problèmes suivent. Rapidement, de nombreuses plaintes faisant état de disques rayés apparaissent. Pour Microsoft, l’explication est simple et ce sont les joueurs qui auraient bougé la machine pendant la lecture du disque. En réalité, il s’agit bel et bien d’un problème de conception connu bien avant la mise sur le marché du produit.
Et non, à ce moment là, la Xbox 360 ne connaît pas encore sa crise la plus grave.
Coup de chaleur
Quelques mois après la sortie, certains possesseurs de Xbox 360 rapportent une panne soudaine de leur machine. À chaque fois, l’utilisateur peut voir le cercle entourant le bouton d’allumage de la console se teinter d’un inquiétant rouge clignotant. Dans la très grande majorité des cas, le code indique que la console ne peut plus démarrer et doit être renvoyée au service après-vente.
C’est le début de l’affaire du « Red Ring of Death » (RROD). En 2009, le taux de Xbox 360 affectées aurait même dépassé… les 54%. L’affaire, terrible pour l’image de la marque, va rapidement obliger Microsoft à étendre les garanties de ses machines à 3 ans en cas de panne. Et lui coûter au passage plus d’un milliard et demi de dollars.
L’explication la plus connue pour l’apparition du RROD est la surchauffe. Et là encore, des voix se font vite entendre et prétendent que Microsoft connaissait parfaitement le problème avant de mettre la machine sur le marché. Une explication courante est qu’il était plus intéressant d’assumer le risque financier de millions de pannes, que de retarder la sortie de la machine et de perdre l’avantage face à Sony.
Il est vrai qu’avec son extension de garantie, Microsoft la jouait grand seigneur et tirait avantage d’un problème dont il était peut-être bien responsable. Mais voilà qui pourrait expliquer, au moins en partie, pourquoi tant de possesseurs de Xbox 360 ont ensuite préféré opter pour une Playstation 4 plutôt qu’une Xbox One.
[floating-quote float= »right »]En 2009, le taux de Xbox 360 affectées aurait même dépassé… les 54%[/quote]
Quant à savoir ce que la team Xbox ferait si elle pouvait retourner dans le passé, Robbie Bach nous éclaire : « Il y a toujours des choses que vous feriez différemment, mais je ne trouve pas très intéressant de retourner en arrière. La Xbox 360 était un excellent produit, et ça me suffit ».
Mais dix ans jour pour jour après sa sortie, que reste-t-il de la 360 ?
Beaucoup de bons souvenirs sans doute, des jeux de qualité, un Xbox Live qui a toujours été au dessus du lot et des exclus (Halo, Gears of War, Forza Motorsport) marquantes pour de nombreux joueurs. Plus de 85 millions d’unités de la machine ont été vendues, permettant de faire quasi jeu égal avec la Playstation 3. Mais il convient de lire les chiffres avec prudence. En avance, bien moins chère et profitant des erreurs de Sony, la Xbox 360 était partie pour gagner sa guerre sans trop de résistance. Au final, la Playstation 3 s’est hissée au même niveau et l’aurait même légèrement dépassée.
Un peu ironiquement, après cet interlude « console blanche aux courbes élégantes », Microsoft a décidé avec la Xbox One de revenir à ses premières amours avec un énorme boîtier noir. J. Allard n’a pas pu expliquer le processus de création de la Xbox One, il a quitté Microsoft en 2010, tout comme Robbie Bach, qui nous a indiqué que le projet de nouvelle console avait commencé après qu’il ait quitté l’entreprise.
À la suite de la mise au placard de ces deux là, l’épisode Xbox 360 s’est refermé et Microsoft a ouvert une nouvelle page de son histoire vidéoludique, avec d’autres problèmes, de nouveaux scandales mais surtout un retard (en ventes) colossal sur la Playstation 4 de Sony. Il faut dire que cette fois les deux consoles sont sorties en même temps, Microsoft ayant sans doute voulu éviter de reproduire les erreurs commises avec la génération précédente.
Les belles idées
De la Xbox 360, on retiendra aussi le module Kinect, présenté en 2009 et sorti deux ans plus tard. Initialement nommé Project Natal et promettant des interactions incroyables entre le public et une intelligence artificielle, le périphérique sera mis en avant par Peter Molyneux qui, comme à son habitude, en fera des tonnes pour pas grand chose de novateur à l’arrivée. Il faut dire que malmenée par la Wii qui faisait très mal à tout le monde, la Xbox 360 avait besoin d’une réponse. Kinect sera donc cette réponse, avec des jeux très accessibles et finalement destinés à toute la famille. Difficile de blâmer Microsoft d’avoir opté pour une telle orientation : deux ans après sa sortie, Kinect s’est vendu à 24 millions d’unités.
Parmi les autres grandes réussites, on peut également citer XNA, un programme à succès permettant à tout un chacun (ou presque) de développer ses jeux pour la 360. Un ex lead développeur sur le projet, Julien Ellie, nous raconte : « L’idée qui a rendu l’équipe et le projet populaire était de laisser tout le monde écrire ses propres jeux pour la 360. Nous avons, plus d’un an avant l’iPhone et Apple, sorti le concept de l’accès au SDK/App Store de distribution pour 99 dollars par an. »
Grâce à cela, les jeux indépendants (bons ou mauvais) vont inonder le catalogue de la machine. En ouvrant le développement à tous, l’équipe XNA contribuera à sa manière au grand mouvement indépendant qui a vu naître tant de jeux cultes ces dernières années.
Là encore, impossible de ne pas regarder du côté de la Xbox One et de se demander ce qu’est devenu ce beau projet. Pour Julien Ellie, c’est très simple : « Les gens passionnés qui étaient derrière XNA et qui le portaient sont tous partis et la politique de Microsoft a vite eu raison du projet qui ne rentrait dans aucune case avec les partenaires classiques. Les gros studios n’ayant jamais vu d’un bon œil devoir partager le temps d’attention sur le dashboard avec des types dans leur garage… ». Ainsi, la plupart des membres de l’équipe seront réaffectés à d’autres tâches, certains sur le développement de Windows Phone, d’autres au management du contenu Xbox. La belle idée n’aura hélas duré qu’un temps.
Bancale sur certains points comme la fiabilité, fabuleuse sur d’autres avec une logithèque assez exceptionnelle et de dizaines de belles idées, la Xbox 360 restera sans doute une console culte de l’histoire du jeu vidéo. Tout le problème pour Microsoft étant de parvenir à ce qu’elle ne soit pas qu’un one shot. Et la Xbox One semble loin de prendre le même chemin. Peut-être parce que ceux qui la portent ne comprennent pas ce qu’essayait de faire la précédente équipe, à savoir révolutionner le marché du jeu vidéo.
Pour l’instant, on peut dire que la révolution entreprise en 2003 n’a pas eu lieu. Et c’est bien dommage.
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