Le 16 décembre, Bloomberg Business a publié un long format impressionnant sur la nouvelle passion de George Hotz : construire une voiture autonome dans son garage. Alors que Tesla, Google ou encore Uber s’affairent depuis plusieurs années maintenant à la lourde tâche de rendre la conduite complètement autonome sur un véhicule grand public, le reportage d’Ashlee Vance présente un jeune homme de 26 ans qui aurait réussi l’exploit tout seul, comme un défi entre deux sessions de développement.
Or ce jeune homme n’est pas n’importe quel étudiant en informatique. Vous le connaissez peut-être si vous possédez une PlayStation 3 ou un iPhone. Quand il avait 17 ans, connu sous le pseudo de geohot, il avait réalisé le premier jailbreak du smartphone d’Apple, ouvrant la voie à la personnalisation profonde des fonctionnalités de l’appareil et à l’installation d’applications non distribuées sur l’App Store. Il s’était aussi attaqué à la PS3, parvenant une nouvelle fois le premier à pénétrer les défenses de la console de Sony pour briser ses protections contre le piratage et les homebrews — ce qui lui a valu un procès résolu par un accord amiable.
Autrement dit, Hotz a un CV qui lui permet d’être pris au sérieux quand il raconte que son nouveau passe-temps, c’est de construire tout seul une voiture autonome.
On apprend d’ailleurs très vite dans le reportage de Bloomberg que le jeune homme est déjà en train de faire rouler un prototype de voiture équipée de son installation matérielle et logicielle, qui lui permet de peaufiner ses algorithmes. La vidéo tournée par les journalistes du média est incroyable pour qui se figure la complexité d’un tel système : même si, en apparence, l’engin a l’air fait de brics et de brocs, on voit clairement la voiture suivre la route dans une expérience qui n’a, a priori, pas grande chose à envier à celle que nous faisions il y a quelques mois à bord d’une Tesla Model S.
L’entreprise est d’ailleurs citée a plusieurs reprises, comme autant de piques à celle que l’on présente comme leader sur la techno. D’après Hotz, Elon Musk, CEO de Tesla, lui aurait promis un jour plusieurs millions de dollars s’il arrivait à faire un système plus performant que celui de MobilEye qui fournit aujourd’hui les puces qui donnent la vue aux voitures de la firme.
Hotz finit par affirmer que tout son système, une fois abouti, ne coûterait environ que 1 000 dollars en matériel, ce qui pourrait conduire à une démocratisation bien plus rapide que prévu du pilotage automatique.
Musk contre-attaque
Mais cette vision idéalisée de la technologie d’auto-pilotage n’a justement pas plu à Musk qui a réagi à la parution de l’article en prenant la plume sur le blog de la compagnie. Il y explique que la technologie présentée dans le papier de Bloomberg Business « fonctionne peut-être dans le cadre d’une démonstration ou sur des morceaux de routes connues à l’avance », mais il doute qu’un homme seul puisse parvenir à créer une technologie capable d’être intégrée à des véhicules destinés au grand public.
Pour lui, le problème de la voiture autonome, ce n’est pas d’avoir un prototype fonctionnel 99 % du temps, mais d’avoir un système qui a été « suffisamment débuggé pour couvrir des millions de kilomètres de routes toutes plus différentes les unes que les autres ». C’est toute la différence, dit-il, entre un produit sûr à 99 % et le même produit sûr à 99,9999 %. Les chiffres après la virgule sont autant d’accidents évités et de routes aux courbes étranges correctement suivies.
Musk finit par rappeler que, contrairement à ce que l’article semble avancer, le système d’autopilote de Tesla a été entièrement développé en interne et ne repose pas sur une technologie de MobilEye, qui fournit uniquement la puce qui permet au véhicule de voir. Cette brique technologique est complétée par des caméras, des radars, des sonars, un système de suivi par GPS et bien entendu, une suite logicielle complexe, aussi bien côté voiture que côté serveur, qui fait le lien entre tous ces éléments.
Piqué dans son ego ?
Et pourtant, à la lecture de ce billet, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi quelqu’un d’aussi occupé qu’Elon Musk a pris du temps pour défendre sa société contre une technologie développée par un hacker génial dans son garage. Musk n’a pas pris ces minutes quand Faraday Future a annoncé sa volonté de concurrencer Tesla sur son champ de bataille, soutenue par un investissement d’un milliard de dollars.
Peut-être alors que ce n’est pas tant une réponse à Geohot qu’une réponse au journaliste qui a écrit le reportage que fait Elon Musk. Car, comme le rappelle The Verge, entre Musk et Vance, ce n’est pas qu’une histoire d’amour. Vance a connu son heure de gloire en publiant en mai 2015 une biographie du milliardaire intitulée Elon Musk: Tesla, SpaceX, and the Quest for a Fantastic Future. Même si l’essai est loin d’être un texte à charge contre Musk, il ne fait pas l’économie des témoignages les moins élogieux, notamment sur la relation entre le milliardaire et ses employés.
C’est dans cet essai que Vance évoque la fois où Musk a viré un employé qui avait pris un jour de congé pour voir la naissance de son enfant, une histoire qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Musk l’a qualifiée de « pur bullshit » et a ajouté que le livre n’avait pas été, dans son ensemble, fact-checké de manière indépendante, ce qui n’a pas non plus fait une bonne publicité à l’ouvrage.
Alors est-ce que l’article de Bloomberg, qui dérive à plusieurs reprises de Geohot pour tacler Tesla a rouvert des plaies qui remontent au printemps dernier ? Est-ce que le journaliste a saisi l’occasion de cette publication pour rappeler à Musk qu’il n’était pas le seul humain a pouvoir prétendre au titre de génie altruiste ?
Difficile de démêler ce qui relève de l’affect et ce qui relève de l’information dans les rebondissements de cette histoire. Ce que l’on sait en revanche, c’est que l’excellent article de Vance a permis de montrer que la voiture autonome n’est pas une technologie si inimaginable qu’elle en a l’air pour des véhicules moins onéreux que les Model S — et qu’un esprit brillant y travaille. Reste que Musk est aussi dans le vrai : quand il est question de la sécurité des passagers d’un véhicule lancé à plus de 100 km/h, tous les chiffres derrière la virgule qui nous rapprochent de la sécurité absolue comptent.
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