Il y a 10 ans, Libon connaissait son heure de gloire. Développée par Orange Vallée, la filiale d’Orange dédiée à l’innovation, cette application de voix sur IP voulait rendre les appels à l’international gratuits. Face à un Skype ou à un WhatsApp, le logiciel avait un avantage : il permettait d’appeler directement des numéros de téléphone, pour ne pas forcer son correspondant à installer une application (et à être connecté à Internet). En 2013, Orange a décidé d’ajouter Libon à ses forfaits, ce qui a fait monter le service dans le classement des applications les plus téléchargées. En vacances, ou en France pour appeler à l’étranger, Libon était le moyen le plus abordable de communiquer à l’international (on se souvient aussi de World & You, le concurrent de Libon par Bouygues Télécom).
Une décennie plus tard, le monde a changé. Les forfaits sont de plus en plus complets, la 4G et la 5G rendent la VoIP plus accessible et les logiciels dédiés aux appels ne manquent pas (WhatsApp, Messenger, Google Meet, FaceTime, Skype, Snapchat, Instagram…). Pourtant, Libon réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires en millions d’euros, alors que plus personne n’en entend parler. Numerama s’est longuement entretenu avec Julien Hodara, son patron et propriétaire, pour en savoir plus sur cette incroyable transformation.
Libon et Orange, une séparation plutôt qu’un divorce
L’histoire de Libon est assez passionnante. Lancée en 2012 par un Orange qui en était alors très fier, l’application était à l’époque très en avance sur son temps. Orange la voyait comme un véritable atout pour prouver qu’il avait su prendre le virage des applications.
Avec le temps, son intérêt pour Libon a diminué. Comme tous les grands groupes, Orange a dû gérer une multitude de projets différents, ce qui a forcément eu des conséquences sur son investissement. Julien Hodara, qui a pris la direction de l’application en 2016 (après avoir dirigé WorMee, qui a fini par fusionner avec Deezer), explique que l’application a été contrainte de se recentrer sur les appels, faute de budget pour se diversifier. En 2017, Orange lui porte le coup de grâce en la retirant des forfaits Sosh. Tout laisse alors penser que l’heure de Libon est arrivée.
Julien Hodara a alors une idée improbable : racheter Libon. Très rapidement, il entame des discussions avec Orange. « Au comex d’une boîte comme ça, c’est un caillou, Libon » ironise le patron de l’application. Cependant, pour Orange, la solution la plus simple n’était pas la vente. Tuer Libon apparaissait comme l’option la plus logique, puisqu’elle aurait permis à l’opérateur de s’assurer que personne ne jouerait avec l’image d’un produit que beaucoup associent à l’opérateur.
Pourtant, Julien Hodara réussit son coup. Pour une somme qu’il ne souhaite pas communiquer (mais qu’il présente comme un vrai bon coup), il récupère l’application… et obtient même un prêt de la part d’Orange pour commencer à la relancer. Le 6 août 2018, Libon devient une application indépendante, gérée par six associés.
Un demi-million de clients, majoritairement en Afrique
Au risque de vous surprendre, Libon était rentable au moment où Orange l’a vendu. Non pas grâce au marché français, mais grâce à un improbable coup de chance à plusieurs milliers de kilomètres. En effet, en 2015, Libon signe avec des opérateurs philippins et cambodgiens. Un partenariat « complètement lunaire » pour une entreprise comme Orange, comme l’admet aujourd’hui son patron. L’application gagne soudainement en popularité dans ces pays d’Asie où l’Internet mobile est moins répandu. En conséquence, avant même sa vente, la majorité des revenus de Libon provenaient de l’étranger.
Après avoir repris Libon, Julien Hodara décide de poursuivre cette stratégie, mais change de continent. Il développe notamment une nouvelle technologie de « télécom sur le cloud » pour pouvoir passer des appels « à un prix défiant toute concurrence », puis s’attaque à l’Afrique et à la diaspora africaine, très présente en France. Son objectif est de faire de Libon l’application idéale pour échanger avec ses proches en Afrique, à petit prix.
En 2019, sur ce qui ressemble presque à un malentendu, Libon touche le gros lot. Une boutique congolaise demande à l’app si elle peut générer des bons d’une valeur de 5 euros qu’elle vendrait à ses clients (environ 15 minutes d’appel par bon), Libon s’exécute (en imprimant des cartes chez un imprimeur de quartier). Résultat : une seule boutique au Congo lui rapporte des milliers de clients. Libon inaugure alors un nouveau marché : celui de la vente de cartes prépayées, qui deviennent rapidement un immense carton.
En 2022, Libon revendique un demi-million de clients, dont 380 000 personnes qui achètent régulièrement des minutes. L’entreprise est fière d’avoir intégré le classement French Tech 120, alors qu’elle a la plus petite levée de fond du classement. Libon dépasse aujourd’hui les 50 employés et doit son succès à un enchaînement de faits improbables, qui lui ont permis de créer une recette inédite.
La fintech, nouvel axe de développement de Libon
Dix ans après son lancement en France, Libon, l’application pour téléphoner à l’étranger, propose des services de paiement. Oui, tout dans son histoire a de quoi surprendre.
« Quand tu es en diaspora, souvent, la vie est dure, tu es seul et tu as laissé ta famille et les gens veulent t’arnaquer », explique le patron de l’application. « Ces gens-là, ils payent trop cher pour des services et personne ne leur offre un service premium. On s’est dit que nous, on pouvait le faire. »
Aujourd’hui, Libon rêve d’être vue comme une application de confiance pour les Africains vivant en France. Son idée est simple : remplacer le transfert d’argent par des services. Au lieu de permettre à des ressortissants africains vivants en France d’effectuer des virements, sans contrôle sur ce qui en sera fait, Libon leur propose d’offrir des gigas d’Internet, de payer des factures d’électricité ou de régler en avance des factures d’eau. Le concept est ensuite le même qu’avec les appels, les clients peuvent tout faire depuis l’application ou acheter des cartes prépayées. Dans le futur, Libon s’imagine proposer de payer des mutuelles, des frais scolaires ou d’autres services « avec des paiements récurrents ».
Évidemment, Libon se rémunère grâce à des commissions, même s’il jure que son objectif est d’offrir un service honnête à ses clients. « Je veux pouvoir dormir la nuit, si en plus, je peux faire un peu de bien, je n’ai pas honte de gagner 1 euro », estime Julien Hodara. L’homme d’affaires, qui voit son entreprise comme une start-up qui essaye « de tout hacker », est le témoin d’un succès pas comme les autres, bâtis sur un nombre de coïncidences plus élevé que la moyenne. Lui-même s’en amuse beaucoup, alors qu’une partie des anciens utilisateurs français de Libon est convaincue que l’application n’existe plus.
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