Un projecteur diffuse un portrait pixelisé sur un mur blanc, et juste à côté, un écran passe en boucle une vidéo montrant de la fumée s’élever au-dessus de deux mains tendues. Pas de doute, je suis dans un musée d’art moderne — au Centre Pompidou, à Paris, pour être exacte. Mais la salle dans laquelle je me trouve est unique en son genre, même pour le musée, qui accueille déjà des œuvres inhabituelles : ici, il n’y a que des NFT.
Les NFT, pour non fungible tokens (jetons non échangeables en français), ont bouleversé le monde de l’art depuis l’explosion de leur popularité en 2021. Ils fonctionnent comme des certificats d’authenticités hébergés sur une blockchain, et permettent de rendre « uniques » des fichiers immatériels. Cette particularité a rapidement attiré des artistes, qui ont été nombreux à lancer des collections de NFT.
En février 2023, le Centre Pompidou a fait sensation en annonçant avoir acquis plusieurs NFT, dont un CryptoPunk — l’une des collections les plus prisées de NFT. Depuis le début du mois de mai, les 18 œuvres sont désormais exposées, et selon le musée, soulignent l’impact de la blockchain dans l’art numérique.
Des NFT animés projetés sur des écrans
Il faut savoir où aller pour tomber sur les NFT du musée. C’est dans deux salles discrètes du 4e étage, aux lumières tamisées, que l’on peut trouver la collection. Le fameux CryptoPunk trône dans la pièce, visible en premier, accompagné des autres non fungible tokens du Centre Pompidou.
Ici, pas de métaverse ou de casque de réalité virtuelle. Les NFT sont projetés directement sur le mur, ou alors diffusés sur des écrans. Certaines œuvres sont animées, à l’image du NFT « BitchCoin » qui tourne sur lui-même, ou d’un bouquet de fleurs, qui est même accompagné de musique. Mais d’autres sont statiques, à commencer par le CryptoPunk. Le logo Bitcoin est lui aussi immobile, tout comme trois autres tableaux, qui affichent simplement des couleurs. Au final, par rapport à d’autres salles du musée, rien ne change drastiquement.
Pourtant, le musée insiste sur le côté novateur de ces NFT. Un panneau précise qu’ils reflètent « la diversité des cultures artistiques qui est propre au paysage du Web3 », et qu’ils semblent « répondre aux interrogations posées dès le 20e siècle par l’authentification et la circulation d’œuvres immatérielles ».
Quel futur pour les NFT ?
La seule véritable différence avec les autres œuvres du musée n’est pas observable par les visiteurs : le certificat d’authenticité en lui-même. Il prend la forme d’une suite de caractères inscrits dans la blockchain, et pointe seulement vers les œuvres en elles-mêmes, qui ne sont pas stockées sur la chaîne.
Cette particularité soulève une question : que restera-t-il demain des œuvres ? La blockchain en elle-même a pour but d’être en permanence accessible, et doit exister perpétuellement. Ce n’est pas forcément le cas des œuvres, qui peuvent prendre la forme de fichiers hébergés sur Internet — et qui peuvent donc disparaitre pour de bon. Certains acheteurs ont en déjà fait les frais, et si on peut se douter que le Centre Pompidou a pris des précautions, ce n’est pas forcément le cas de tout le monde.
Que restera-t-il donc demain des NFT en tant que mouvement artistique ? À la différence des précédents courants, celui-ci reste en grande partie intangible. Alors que les NFT sont eux-mêmes censés représenter la permanence de la blockchain, le paradoxe est notable.
L’arrivée des NFT à Pompidou se fait également à un moment critique. Après avoir connu un pic de popularité en 2021, les ventes des jetons non fongibles sont en chute. Alors que certaines collections ont été accusées d’être des entourloupes et que des investisseurs ont perdu beaucoup d’argent, leur réputation a pris du plomb dans l’aile.
L’attrait de la nouveauté passé, les NFT peuvent-ils se maintenir, et réellement s’imposer comme un support artistique ? Le Centre Pompidou fera-t-il office d’archives pour jeton non fongibles, s’ils disparaissent dans quelques années ? Pour l’instant, impossible de le dire. En attendant, vous pouvez admirer par vous-même ces images, animées ou non, dans l’enceinte du musée.
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