« Imaginez un enfant qui fête ses treize ans dans un monde où tous les visages autour de lui n’existent pas. » Les enfants du court-métrage Imagine d’Anna Apter n’existent pas. La réalisatrice française a adopté un parti pris artistique : pour parler de l’artificialité de nos vies connectées, elle a utilisé une intelligence artificielle.
Comme beaucoup, elle a découvert les capacités des IA récemment, lors du développement de Midjourney et de ChatGPT. « Ça m’a effrayé autant que ça m’a fasciné. Je trouvais ça fou », confie la réalisatrice et scénariste à Numerama. « Je me suis demandée ce que je pouvais faire de créatif, comment je pouvais créer quelque chose à partir de ça. »
Découvrez notre interview vidéo d’Anna Apter :
Le résultat est étonnant, fascinant. En partie perturbant. Imagine met en scène l’artificialité de nos vies à travers plusieurs niveaux de lecture — les images présentées, le texte et l’usage de l’IA pour concevoir l’œuvre –, tout en apportant plus de questions que de réponses. La démarche d’Anna Apter a d’ailleurs conquis le Nikon Film Festival, lors de son édition 2023 : Imagine a remporté le Prix de la critique et le Prix de la mise en scène.
« J’étais très étonnée de recevoir un prix. Je m’y attendais pas, mais alors vraiment pas », confie Anna Apter. « Je n’ai jamais communiqué sur mes réseaux sur le fait que je l’avais soumis au Nikon et je ne pensais pas du tout qu’il serait remarqué. Il y avait 2 250 films. Je pensais qu’il serait perdu dans les méandres du Nikon Film Festival. »
Elle est reconnaissante aussi que le jury ait su percevoir la part de l’IA… c’est-à-dire, surtout, la part de l’humaine dans le travail artistique de l’ensemble. Il lui tenait à cœur de « ne pas laisser la machine créer complètement quelque chose de A à Z ». À l’heure où les IA chamboulent des métiers, notamment dans l’art, la question est importante. Mais contrairement aux idées reçues, la réalisatrice ne s’est pas contentée d’appuyer sur un bouton : Imagine n’est pas le travail d’une IA, mais le travail d’une humaine ayant utilisé une IA.
De Midjourney à Photoshop, Anna Apter raconte son processus créatif
Tout a commencé avec un texte — celui qu’elle prononce avec sa propre voix tout au long du court-métrage (et qui n’est écrit que par elle, sans ChatGPT). « Et je me suis dit, ‘Tiens, qu’est-ce que j’aurais envie d’avoir comme image ?’ J’ai réfléchi comme je l’aurais fait avec un storyboard. J’ai décrit à Midjourney les images précises que j’aurais dessiné en storyboard et donné à une équipe si j’en avais une. »
Parmi les prompts (requêtes envers l’IA), par exemple, Anna Apter a demandé un enfant triste au regard vide, qui fixe la caméra, dans une chambre. Ses prompts étaient très précis : tout ce que l’on voit à l’écran, c’est parce qu’elle y a pensé dans les détails — la pièce, l’heure de la journée, la région du monde, les fenêtres, etc. « Je décrivais exactement ce qu’on voyait. Si l’on voit des trophées de football derrière l’un des enfants, c’est parce que je les ai demandés. »
Le travail ne s’arrête pas là. Elle a généré de très nombreuses images de ce type jusqu’à obtenir ce qu’elle voulait, ce qui prend du temps. Puis quasiment toutes ont été retouchées sur Photoshop — pour enlever ou ajouter des éléments des décors, notamment. « J’ai changé ce qu’il y avait dans les tableaux », détaille-t-elle par exemple. « À un moment, j’ai mis une peinture de mon chien. J’avais envie de mettre un petit clin d’œil à mon chien qui a été ma seule équipe pendant ce projet. »
Puis, dernière étape humaine, et pas des moindres : elle a animé les images à partir de plusieurs logiciels et outils déjà largement utilisés.
« J’avais envie de parler de cette solitude numérique »
Anna Apter estime que les IA peuvent être des outils, qu’il faut apprendre à maîtriser à bon escient. « J’ai envie de comprendre comment ça marche. J’ai envie de de maîtriser l’outil avant qu’il ne me maîtrise moi. » Mais l’outil n’est « pas dans le but de remplacer qui que ce soit ». En l’occurrence, l’usage de l’IA, dans Imagine, est aussi intégré à la mise en scène et au message : cela faisait sens, dans le propos, de l’utiliser, estime-t-elle. « J’avais envie de tester quelque chose. J’avais envie d’essayer de parler de cette solitude numérique et de nos existences artificielles sur les réseaux », explique Anna Apter à Numerama.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le thème du court-métrage est aussi celui de l’enfance. « J’ai choisi un enfant de treize ans parce que c’est l’âge qui est requis pour avoir un compte Instagram. C’est aussi l’âge d’Instagram », détaille Anna Apter. « Je me suis posé la question : qu’est-ce que c’est que de grandir avec tout ça, avec tous ces réseaux sociaux, toutes ces nouvelles technologies et avec ces frontières entre le réel et le virtuel qui sont de plus en plus flous ? »
Ainsi, si l’outil lui semblait pertinent pour ce projet spécifique, utiliser des IA « n’est pas mon ambition sur le long terme », tient-elle à préciser. Et comme elle l’indique aussi elle-même, Imagine montre qu’aujourd’hui, « c’est possible de faire un film tout seul, chez soi, sans argent ».
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