En 2024, Apple va prendre un gros risque. Le créateur de l’iPhone, à qui l’on reproche souvent d’être devenu trop prudent pour rester innovant, va lancer un casque de réalité mixte qui répond au nom d’Apple Vision Pro. Apple est convaincu que « l’ordinateur spatial » peut transformer les interactions numériques, en intégrant la technologie au milieu de la vision. Un rêve pour des millions de technophiles, une dystopie pour beaucoup d’autres.
Le 6 juin 2023, Numerama a eu la chance de devenir le premier média français à accéder à l’Apple Vision Pro. Dans un bâtiment construit autour de l’Apple Park de Cupertino, j’ai eu l’opportunité d’essayer l’Apple Vision Pro pendant une demi-heure. Une expérience assez mémorable, que je vais vous raconter dans cet article.
Une visite chez l’ophtalmo avant l’essai
Pour Apple, les enjeux autour du Vision Pro sont immenses. De par sa nature, le casque de réalité mixte ne peut pas être essayé à distance. Les millions de personnes qui connaissent désormais son existence peuvent imaginer son fonctionnement, mais n’ont aucunement la possibilité de le voir à l’action. Ce n’était pas le cas avec les précédentes annonces majeures d’Apple, avec lesquelles une vidéo de prise en main suffisait pour comprendre l’interface.
Sans surprise donc, Apple organise des essais très contrôlés. Pas de photos, pas de vidéos, pas de possibilités d’enregistrer quoi que ce soit… Tous les essais ont lieu dans un bâtiment provisoire installé à l’extérieur de l’anneau de l’Apple Park, qui ressemble à une immense salle d’attente. Quatre casques sont exposés autour de canapés, tandis que les essais ont lieu dans des salles dédiées et fermées, dans lequel chaque testeur a le droit à une expérience privative. Pour y accéder, j’ai dû passer deux tests :
- Apple m’a fait modéliser mon visage avec un iPhone, pour mesurer l’écart entre mes oreilles et adapter la diffusion audio.
- Une ophtalmologue m’a posé des questions sur ma vision, pour me proposer des lentilles Zeiss adaptées à ma vue. Il se trouve que je ne porte pas de lunettes, ce qui m’a donc dispensé de ce test.
Quelques minutes plus tard, j’ai été escorté vers la fameuse « demo room ». Apple m’a dit de m’asseoir au milieu d’un canapé, m’a expliqué comment mettre le casque et le régler (il y avait deux sangles, une pour le tour de tête et l’autre pour le dessus du crâne) et m’a demandé de poser la batterie à ma gauche. J’ai enfilé le casque, et démarré l’expérience.
La navigation avec les yeux est aussi impressionnante que troublante
Première chose, le casque Vision Pro n’est pas lourd. Si je ne peux pas non plus le qualifier d’ultra léger, force est de reconnaître que la présence d’une batterie externe allège vraiment la sensation de contrepoids sur la tête. C’est plutôt une bonne nouvelle, même si l’on préférerait ne pas avoir à se soucier de cette batterie aussi épaisse que deux iPhone.
Au premier démarrage, le casque d’Apple affiche la mention « hello » emblématique des Macintosh. On passe ensuite à la configuration du suivi des yeux, indispensable pour piloter le casque. Il faut regarder des points lumineux qui apparaissent et disparaissent au milieu de son champ de vision pour calibrer le suivi du regard. À la fin de ce paramétrage, un appui sur la couronne digitale en haut à droite du casque permet d’afficher l’écran d’accueil au milieu de sa vision. Bienvenue dans visionOS.
Par défaut, l’Apple Vision Pro montre la réalité. Les 12 caméras présentes autour du casque filment le vrai monde, ce qui permet d’avoir l’impression que l’on ne porte rien (les écrans devant les yeux diffusent une représentation fidèle de la réalité). Dans mon champ de vision, je voyais donc le salon de ma zone de test, les représentants d’Apple, ainsi que les icônes rondes de l’écran d’accueil.
Premier test, Apple m’a demandé de me rendre dans l’application Photos en la regardant. Cette méthode d’interaction me semblait tout sauf naturelle au premier abord, puisque je n’avais jamais utilisé mes yeux pour lancer une application. Hésitant, j’ai donc regardé l’icône de Photos, puis effectué un pincement de doigts pour valider. Surprise, tout a immédiatement fonctionné.
Dans l’application Photos, on m’a demandé d’effectuer des gestes de droite à gauche pour passer d’une photo à une autre, de zoomer, d’afficher un panorama en réalité virtuelle ou de regarder des souvenirs filmés en 3D (une fonctionnalité dont l’utilité ne m’a pas convaincu)… Le tout juste en regardant des boutons et en pinçant.
S’il m’est arrivé trop souvent de bouger inutilement la tête, alors qu’incliner les yeux aurait été suffisant, j’ai été incroyablement surpris par la justesse de ce système. Sur la centaine de manipulations que j’ai réalisées en 30 minutes, absolument toutes ont fonctionné. Le suivi du regard d’Apple est absolument révolutionnaire, et le casque peut détecter un pincement même quand la main est au niveau de la jambe. La vraie prouesse d’Apple est là !
Multitâche, cinéma et FaceTime… Les démos sont impressionnantes
L’autre chose bluffante avec l’Apple Vision Pro concerne sa qualité d’affichage. Oubliez les pixels trop visibles des casques VR classiques, le texte d’une page web est ici parfaitement lisible. La profondeur des effets 3D n’a aussi aucun équivalent sur le marché, on croirait voir des choses situées à plusieurs dizaines de mètres, sans aucune déformation. Jamais un produit immersif ne m’a autant impressionné, même si j’aurais aimé que la qualité visuelle de la réalité mixte (quand on voit le vrai monde grâce aux caméras) soit un peu meilleure. L’Apple Vision Pro fait mieux que le Meta Quest Pro, mais propose toujours quelque chose d’un peu bruité.
Tout au long de ma démo, Apple m’a fait découvrir son casque en me proposant de passer d’une application à une autre, sans jamais vraiment me tenir la main. On me dit de déplacer une application ? J’ai tenté de regarder la barre blanche sous elle et de pincer les doigts, puis d’avancer ma main, et ça a fonctionné. On me dit de mettre deux applications côte à côte ? Même raisonnement, toujours en regardant des icônes et des boutons. La couronne digitale, comme le bouton « Home » des iPhone en son temps, permet d’afficher les icônes par-dessus ce que l’on fait déjà. Une fois que l’on a compris ça, il n’y a rien d’autre à savoir.
Pour me montrer le potentiel de son casque, Apple m’a fait essayer les activités suivantes :
- Toutes les applications connues des adeptes de l’iPhone et de l’iPad sont disponibles dans visionOS. Safari, Messages, Photos… On peut les ouvrir et les afficher au milieu du vrai monde. La qualité d’affichage est telle que les applications sont toujours parfaitement nettes.
- À défaut de proposer des activités sportives, l’Apple Vision Pro propose des expériences de méditation. J’ai pu en essayer une, qui consiste en un son immersif et des gouttes bleues géantes qui tournent autour de sa personne.
- Sur l’écran d’accueil, un sous-menu « Environnement » permet de remplacer le vrai monde filmé par les caméras par des décors virtuels, complètement immersifs. J’en ai essayé un, qui m’a propulsé dans un champ, toujours avec une profondeur démentielle.
- Avec la couronne rotative, Apple m’a appris à passer de la réalité mixte (on voit le vrai monde) à la réalité virtuelle (on est complètement coupé du monde). Quand quelqu’un s’approche ou quand on met ses mains, on les voit instantanément, sans mauvais détourage. Bluffant.
- Dans l’application Apple TV+, Apple m’a proposé trois expériences : regarder un film en projetant une sorte de télé géante sur son mur (Avatar 2), regarder un film dans une salle de cinéma virtuelle qui isole du monde et participer à plusieurs expériences ultras immersives. Concert d’Alicia Keys, match de football, safari avec des animaux, escalade… À chaque fois, la 3D était impressionnante. Il ne s’agit pas que d’un petit effet de dépassement, mais vraiment d’une représentation réaliste du monde. Avec un ordre de grandeur réaliste.
- J’ai eu droit à la démonstration d’une app conçue pour montrer le potentiel de la réalité augmentée. Un dinosaure est sorti du mur et réagissait à mon comportement, en s’approchant de moi. Seul problème, cette expérience ne s’est pas déroulée comme prévu chez moi. Un bug logiciel a gâché son bon déroulement. Dommage, c’était la seule démo qui incitait à se déplacer avec la batterie dans la poche.
- Enfin, il y a une autre chose qui m’a complètement halluciné : FaceTime. Grâce aux « Persona », des sortes d’avatars 3D ultra réalistes qui utilisent les capteurs du casque pour modéliser un visage, Apple est en mesure de proposer des conversations dignes d’un jeu vidéo PS5 entre deux porteurs du casque. Tous les mouvements sont simulés en temps réel, ce qui donne l’impression de parler à un vrai proche. Seul regret : je n’ai pas pu créer mon propre Persona.
Parmi les autres choses que j’ai apprises pendant ma démo : le centre de contrôle s’affiche en regardant le plafond, toutes les applis iOS et iPadOS marchent sur le Vision Pro (dans un dossier « Applications compatibles »), le casque est vraiment autonome et peut être configuré même si on ne possède pas d’iPhone et Eye Sight, la technologie qui donne l’impression que le casque est transparent (un écran extérieur utilise votre Persona pour répliquer vos yeux en temps réel) n’est active que lorsqu’il y a quelqu’un d’autre dans la pièce. Bref, l’Apple Vision Pro est un vrai monstre de technologies.
Les défauts du Apple Vision Pro
Hormis les quelques bugs rencontrés (j’ai aussi du mal à basculer en mode cinéma dans Avatar 2, il a fallu réessayer plusieurs fois), j’ai tout de même identifié deux défauts avec cette première version de l’Apple Vision Pro :
- La réalité mixte est un peu trop bruitée. On sait que l’on regarde à travers des écrans et que les personnes en face ne sont pas réelles. C’est d’autant plus dommage que les écrans Micro OLED du casque sont si bons que le virtuel est vraiment parfait.
- Le champ de vision du casque n’est pas aussi grand que ce que les vidéos promotionnelles laissent penser. Dans les coins, on peut apercevoir un peu de noir. Mais Apple est en phase avec les meilleurs casques proposés actuellement.
D’ici 2024, peut-être qu’Apple améliorera ces quelques aspects. Toujours est-il qu’ils n’ont rien de dommageable et que les éléments les plus importants, comme la navigation, sont de leur côté réussis.
Pourquoi j’ai envie de croire en l’Apple Vision Pro
Si je n’ai pas pu faire tout ce que je rêvais de faire avec l’Apple Vision Pro (piloter un Mac par exemple, modéliser mon visage ou essayer Optic ID), ce premier essai a confirmé mon impression selon laquelle Apple avait pris une belle avance sur la concurrence, aussi bien sur le matériel que sur le logiciel. S’il me semble évident que l’Apple Vision Pro n’est pas encore un produit conçu pour tous, les bases qu’il pose m’intriguent. Dans 5 ans, quand Apple aura simplifié l’accès à cette technologie, l’Apple Vision Pro pourra-t-il devenir un ordinateur comme un autre ? Après tout, pourquoi acheter un écran collé à un clavier, une télé ou un smartphone quand on peut avoir un produit capable de servir à tout. Apple a tué l’iPod avec l’iPhone, peut-il tuer le Mac avec sa future gamme Vision ?
Ce qui me rassure dans l’approche d’Apple est que la marque ne semble pas vouloir couper du monde ses utilisateurs. L’Apple Vision Pro est fait pour être utilisé ponctuellement, pour travailler ou pour des tâches précises, ce qui devrait empêcher Apple de tomber dans la dystopie que beaucoup craignent (coucou le métavers). Je ne sais pas si la réalité mixte et augmentée est le futur, mais je crois désormais beaucoup plus aux chances d’Apple de changer l’informatique. Au moins sur le long terme.
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