Apple a présenté sa dernière innovation technologique : le casque de réalité mixte Apple Vision Pro. Cet « ordinateur spatial », comme le présente la firme à la pomme, impressionne les spécialistes, mais fait déjà face à un obstacle : l’intuition collective, imprégnée de nos imaginaires culturels, qui y perçoit une dérive dystopique.

Apple se lance dans une nouvelle aventure technologique : la marque qui a créé l’iPhone vient d’annoncer l’Apple Vision Pro. Ce casque de réalité mixte (que Numerama a déjà pu tester) est prévu pour 2024. Il prend la forme de lunettes, semblables à celles portées pour le ski, qui affichent des éléments numériques — comme des apps — directement devant nos yeux et avec lesquels interagir. Le principe de « réalité mixte » le distingue de la réalité virtuelle : on n’est pas forcément plongé dans le casque, puisqu’il est possible aussi de voir notre environnement tout autour. Apple le présente comme un « ordinateur spatial ».

Apple Vision Pro : bienvenue dans Ready Player One et Black Mirror ?

Si les capacités technologiques de l’objet parviennent à bluffer les spécialistes, sa qualité intrinsèque se confronte d’ores et déjà à un obstacle de taille : il fait peur. En témoigne la première vidéo publicitaire partagée par Tim Cook qui, tout en se voulant vendeuse et positive, déclenche des émotions tout à fait inverses, de rejet, au visionnage. « Le père qui garde ce truc sur la figure alors que sa fille le sollicite pour jouer au ballon avec elle, et que ce soit présenté comme un truc ‘cool’, est l’une des images les plus tristes et terrifiantes de l’histoire de la pub », signale par exemple un internaute, approuvé par des milliers d’autres.

Cette vidéo promotionnelle contient, à elle seule, toutes les inquiétudes portées dans nos imaginaires sur la réalité virtuelle : le risque qu’un monde faux, numérique, qui empiète sur le monde réel ; la crainte de voir nos relations sociales atrophiées, négligées, par ce type d’objets connectés.

La réalité virtuelle (ou ses variantes, comme la réalité mixte) n’a jamais véritablement acquis l’adhésion du public. Ce n’est pas lié qu’au tarif actuellement inabordable, pour le commun des mortels, de ces équipements. L’imaginaire collectif négatif est lié, en grande partie, à l’imaginaire culturel qui s’y oppose depuis la naissance même de la science-fiction : les univers virtuels de type « métavers » sont systématiquement reliés à des mondes sombres, glauques, voire socialement oppressifs, depuis les premiers romans cyberpunk (Neuromancien, Le Samouraï virtuel…) jusqu’aux films et séries d’aujourd’hui.

D’autres séquences vidéos promotionnelles d’Apple pour le Vision Pro nous montrent ainsi nombre d’instants de dialogue casque sur la tête, ou même de FaceTimes à partir de visages reproduits en 3D ; qui apparaissent tout droit sortis d’un film de SF. Ils activent en nous tout cet imaginaire : comme ce père ne retirant pas son casque pour parler à sa fille, on perçoit, durant ces scènes, des rapports humains à l’opposé même de la notion de futur désirable. Une séparation physiquement posée par le virtuel — ce qui est incongru, bizarre.

Du Ready Player One un peu partout

Étrangement, certaines de ces séquences référencent d’ailleurs très frontalement une œuvre en particulier : Ready Player One — le premier long-métrage, signé Spielberg, qui vient à l’esprit quand l’on songe à la VR. La comparaison tient d’abord au design même de l’objet, particulièrement similaire :

L'Apple Vision Pro vs. le casque dans Ready Player One.
L’Apple Vision Pro vs. le casque dans Ready Player One.

Une brève séquence, dans un autre extrait, semble même totalement calquée sur Ready Player One. Un internaute a superposé les deux séquences, pour un résultat frappant :

Apple Vision Pro vs. Ready Player One // Source : Comparaison faite par William Wilkinson (Twitter)
Apple Vision Pro vs. Ready Player One // Source : Comparaison faite par William Wilkinson (Twitter)

La mise en scène est similaire, à la différence que la séquence présentée par Apple se veut utopique, là où celle de Ready Player One s’inscrit dans un monde dystopique. Dans le film de Spielberg (comme dans l’ouvrage de Cline), nous sommes dans un futur proche, dévasté par le changement climatique, la pauvreté, la famine. L’OASIS, monde en réalité virtuelle, sert d’exutoire à la population, où un concours fait aussi miroiter des espoirs aux abois. Un usage qui n’a rien d’enviable, une prédiction futuriste dont personne ne veut prendre le chemin.

D’autres œuvres de fictions, comme Black Mirror, The Orville, Matrix, La Stratégie Ender ou Years and Years à l’écran, ont frontalement abordé la VR et les autres réalités « alternatives ». La technologie en question n’est pas toujours dénoncée en elle-même, mais elle est associée à des usages éthiquement problématiques, des dérives.

La réalité augmentée, en l'occurrence, dans Black Mirror. // Source : Netflix
La réalité augmentée, en l’occurrence, dans Black Mirror. // Source : Netflix

Cela résonne comme une évidence : au-delà de l’appréciation technique de l’innovation d’Apple, peu de monde a envie de se plonger dans un casque pour s’oublier dans un monde virtuel, même s’il se superpose à la réalité. La démarche semble, pour beaucoup, effrayante ou au mieux inutile — a fortiori à l’ère du changement climatique où la réalité elle-même est menacée. En misant sur la réalité mixte, qui ne coupe pas totalement de l’environnement extérieur, et en usant d’ailleurs de son propre terme — ordinateur spatial — sans jamais évoquer la VR dans sa communication, Apple espère rassurer, surpasser ces craintes.

Peut-être que la firme (et les autres qui se lancent sur ce créneau) parviendra, au long cours, à convaincre. Pour l’heure, les vidéos publicitaires, pourtant, ne parviennent pas totalement à dépasser les codes de la dystopie. Il en va peut-être d’une intuition collective : la crainte de dépasser une frontière dans la numérisation de nos existences. L’enjeu pour Apple est donc bien différent, et bien plus complexe, qu’avec la révolution de l’iPhone. Face à l’esprit critique des usagers, l’entreprise de Tim Cook ne peut plus simplement prétendre vendre une utopie, elle doit ici prouver qu’elle ne propose pas une dystopie. Ce n’est pas gagné, car encore faut-il… que ce ne soit réellement pas une dystopie.

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