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En 2016, on m’a proposé de tester l’HoloLens, le casque de réalité augmentée de Microsoft. L’appareil permettait en théorie de mêler des éléments virtuels au réel, en projetant des hologrammes sur des lunettes teintées. Dans la pratique, j’ai vite été confrontée à des difficultés plus absurdes que techniques. Le casque n’arrêtait pas de glisser à cause de mes cheveux longs, me forçant à le serrer si fort autour de mon crâne que je suis sortie de mon test avec un début de migraine. Les lentilles n’étaient pas non plus adaptées à mes yeux, m’empêchant parfois de distinguer les fameux hologrammes. J’avais décrit cette expérience dans un article qui avait été mal reçu. « Je voulais lire un article sur la high tech, pas le magazine ELLE », avait gentiment commenté un lecteur.
Je repense souvent à cette anecdote. Pourquoi interroger la relation entre mon corps et un objet technologique serait moins important que de parler des capacités de l’objet en question ? À quoi me sert un smartphone trop grand pour mes mains, un casque de réalité virtuelle qui me donnera immanquablement la nausée, une montre connectée trop épaisse pour mon poignet ? J’ai donc été moins enthousiaste que la moyenne de mes confrères journalistes tech lorsqu’Apple a dévoilé, lundi soir, son Vision Pro. Ce casque de réalité mixte permet à la fois d’utiliser la réalité virtuelle (complètement immersive) et augmentée. Il donne l’illusion d’être des lunettes, mais cette transparence est factice : on regarde en fait un écran qui diffuse une vidéo de l’extérieur grâce à des caméras positionnées sur le casque (on appelle ça de la « video passthrough »).
«Utiliser le Vision Pro pendant des heures pose la question de ce que signifie vivre dans le monde réel »
Sur le papier, les performances techniques semblent impressionnantes. Reste à savoir qui pourra vraiment utiliser ce genre de technologies au quotidien. Mark Gurman, journaliste pour Bloomberg qui a révélé la majorité des informations sur le casque d’Apple avant son lancement, a par exemple souligné que l’entreprise déconseillait son utilisation aux personnes avec la maladie de Menière (qui affecte l’oreille interne), qui souffrent d’épilepsie, qui sont enceintes, sujettes aux vertiges ou aux migraines. On ne peut d’ailleurs pas l’enfiler avec des lunettes de vue. Il faudra soit porter vos lentilles, soit en acheter auprès d’un partenaire d’Apple.
Il y a bien des manières d’aborder l’accessibilité dans les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de s’adapter à différents handicaps (un sujet hélas encore trop souvent ignoré) ou plus généralement à la diversité de nos corps et de nos expériences. Cette réflexion a aussi un aspect genré. De nombreuses études scientifiques ont démontré que les femmes souffraient davantage de cinétose en utilisant des casques de réalité virtuelle. La migraine est aussi un mal qui touche plus les femmes. Il existe d’autres sujets d’exclusions moins graves, mais pas si futiles. Quand je vois que le Vision Pro comporte une batterie à ranger dans sa poche, je me rappelle que beaucoup de mes vêtements n’ont tout simplement pas de poches. Je me demande aussi si on peut le porter avec du maquillage. Bref, ce futur de technologies immersives me donne par avance la gerbe et des traces de mascara sur les joues.
Utiliser la technologie, c’est confier son corps à une industrie qui oublie régulièrement que le monde n’est pas fait que d’hommes valides. Je n’ai pas testé le Vision Pro (et ça ne sera sans doute pas le cas pendant un long moment). Les rares journalistes qui ont pu prendre le casque en main — pendant 30 minutes et sous le contrôle de l’équipe de communication d’Apple — ne mentionnent pas de problèmes de nausée ou d’inconfort. Lauren Goode, journaliste pour le magazine Wired, souligne tout de même qu’il est impossible d’ignorer que l’on porte un casque sur la tête. « Il est sur votre visage, il recouvre vos yeux, des organes et des sens qui sont essentiels à l’expérience humaine (…) Utiliser le Vision Pro pendant des heures pose la question de ce que signifie d’utiliser l’informatique, mais aussi de vivre dans le monde réel.» Les nouvelles technologies ne s’adaptent pas toujours à moi. Mais est-ce que j’ai vraiment envie de les utiliser ?
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