En France, Amazon n’a pas toujours une très bonne image. Comme l’a montré la polémique entre l’humoriste Blanche Gardin et le géant de l’e-commerce, beaucoup de Français se posent des questions sur le rôle que doit avoir l’entreprise américaine. On reproche souvent à Amazon de ne pas payer assez d’impôts, ou d’exploiter les employés de ses centres de distribution.
Il y a quelques semaines, Numerama a demandé à Amazon s’il était possible de se rendre dans un de ses centres de distribution, afin de pouvoir se faire sa propre idée. Amazon a accepté de nous ouvrir les portes d’un de ses plus grands entrepôts le 21 juin 2023, à Augny. Pendant plusieurs heures, nous avons pu parcourir les immenses allées de cet endroit pas comme les autres, où une grande partie du travail le plus répétitif a été automatisé.
Comment fonctionnent les centres de distribution d’Amazon ?
Avant de vous raconter notre visite, il est préférable de commencer par une rapide introduction sur le fonctionnement des centres de distribution Amazon en France. L’entreprise, qui expédie des millions de colis, a mis au point un système bien rodé pour livrer rapidement ses clients.
En France, Amazon compte 8 centres de distribution. Mais, tous n’ont pas le même rôle :
- 1 centre est dédié aux gros objets, qui font plus de 45 cm de longueur et/ou plus de 12 kg. C’est lui qui livre, par exemple, les téléviseurs, les ordinateurs, les meubles et tous les grands objets que l’on commande sur Amazon. Il se trouve à Amiens.
- 6 centres s’occupent des petits objets. Celui d’Augny en fait partie. Amazon ne stocke là-bas que des objets faciles à envoyer et à manipuler.
- 1 centre s’occupe de la redistribution des colis. Il reçoit les produits expédiés par des vendeurs tiers et s’occupent de les distribuer aux différents centres.
En ce qui concerne les retours, ils ne sont pas gérés par le centre expéditeur, mais toujours par celui d’Orléans. Le rôle d’une agence de distribution d’Amazon est seulement de stocker des produits, de les isoler, de les emballer et de les envoyer.
En France, la plupart de ces centres sont encore « à l’ancienne », avec un très grand nombre d’actions effectuées par des humains. Deux centres plus récents sont robotisés, dont celui d’Augny, qui a ouvert en septembre 2021.
4 000 employés en CDI, des milliers de robots et un système extrêmement bien rodé
Première question : un centre robotisé est-il un centre sans humain ? La réponse est non. Augny, par sa grandeur (55 000 m2 au sol, 180 000 m2 au total), est le site de distribution Amazon avec le plus d’employés en France. L’entreprise est fière de revendiquer la présence de 4 000 salariés en CDI, dont 3 300 agents logistiques. Cet été, des intérimaires viendront leur prêter main forte, afin de remplacer les employés partis en congé. Amazon assure à Numerama avoir un « turnover d’environ 1 % » (les employés qui partent), ce qui est une preuve selon lui que l’« on vient chez Amazon pour faire une carrière ». Amazon indique d’ailleurs que 65 % de ses employés n’avaient pas de travail avant (les critiques que l’on peut lire sur le Google Maps du site montrent une satisfaction plus nuancée).
Pour livrer les millions de commandes reçues par le géant du commerce en ligne chaque jour, le centre d’Augny tourne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les employés sont répartis dans 5 équipes différentes, pour autant de plages horaires. Les pauses sont toutes prises en même temps, puisque les machines s’arrêtent quand les employés s’en vont.
Interrogé par Numerama, Pierre-Louis Debroise, le directeur du site d’Augny, explique que les employés ont le choix de leurs horaires. Si un salarié de nuit demande à travailler la journée, il a un préavis de 7 jours le temps d’être remplacé, mais il peut changer librement d’emploi du temps (la nuit, Amazon paye 30 % plus, ce qui inciterait les jeunes à préférer ces tranches horaires). Les tâches données aux employés changent d’ailleurs à chaque pause, pour que le travail ne soit jamais trop répétitif.
À l’entrée du site, un tableau géant où chaque employé peut écrire une idée pour améliorer son quotidien est présent, de la même manière que les bureaux des syndicats sont situés directement dans l’entrée. Amazon se dit très à l’écoute de ses équipes, dans ce qui ressemble à un drôle de mix entre la culture américaine et la culture française du travail.
Les armoires qui se déplacent toutes seules, un système digne d’un film
À première vue, le centre d’Augny est très loin des idées reçues que l’on peut se faire sur la méga distribution. Tout est propre, la sécurité est ultra-présente (personne ne nous avait autant demandé de nous accrocher à la rampe de l’escalier depuis la maternelle) et les quelques employés que nous avons pu approcher semblaient loin de vivre un enfer.
La seule chose qui nous interroge vraiment est le bruit, très fort et continu. Des tapis roulants mécaniques s’étendent sur des kilomètres, avec des machines très bruyantes qui en rajoutent une couche. Puisque les écouteurs sont interdits, on se demande bien comment les employés qui ne portent pas de bouchons d’oreille font pour ne pas avoir envie de s’enfermer dans une salle sourde en rentrant chez eux.
Durant notre visite à Augny, nous avons eu l’opportunité de suivre « le parcours d’un colis ». La première étape est l’arrivée des produits, qui arrivent dans des camions. Plusieurs palettes sont amenées aux centres de distribution par des robots, avant qu’un autre robot ne se charge de les séparer. C’est une particularité du centre d’Augny, où une grosse machine se charge de soulever les caisses, afin de faire gagner du temps aux préparateurs qui attendent à l’étage. La réception de la marchandise et l’expédition sont au rez-de-chaussée, le stockage et la préparation des colis ont lieu au 2ème, 3ème et 4ème étage.
Ensuite, chaque produit est étiqueté. Une tâche une nouvelle fois robotique, même si Amazon explique « qu’un robot n’est pas meilleur à cette tâche qu’un humain ». Sa décision de robotiser viendrait du fait que ce métier n’est pas le plus intéressant, et qu’il préfère donc mettre des humains ailleurs. Ici, nous avons pu voir à quel point les machines d’Amazon étaient au point. Une erreur s’est produite, le robot a immédiatement arrêté le circuit, récupéré le produit à l’origine de l’erreur, puis recommencé. Sans la moindre intervention humaine.
À l’étage, nous avons pu voir la fameuse mise en stock. Première et immense surprise : les 30 millions d’articles présents à Augny sont rangés aléatoirement. Oui, vous avez bien lu, Amazon ne trie absolument pas ce qu’il reçoit. Les 55 000 étagères de rangement sont les mêmes et les employés humains ont pour mission de mettre chaque produit qu’ils récupèrent là où ils trouvent de la place. Comment ne pas tout perdre ? La machine est tout simplement capable de détecter dans quelle case est entré un objet, afin de pouvoir le retrouver grâce au système informatique dès que nécessaire. Ce choix peut paraître étonnant, mais s’explique. « On ne range pas les téléphones avec les téléphones et les chaussettes avec les chaussettes, car le client ne commande jamais la même chose 10 fois d’un seul coup », nous explique le directeur du site.
Ensuite, il y a la préparation de commande. C’est ici que nous avons le plus été surpris, en découvrant les armoires qui se déplacent toutes seules d’Amazon. Quelqu’un a commandé un rasoir, un livre et un jeu-vidéo ? Trois armoires vont se mettre les unes derrière les autres, et avancent chacune leur tour devant un humain, qui se charge de prendre les bons produits et de les mettre au bon endroit.
Les armoires viennent voir le préparateur toutes seules, grâce à une sorte « d’aspirateur robot » qui leur permet de se déplacer (ils se rechargent seuls à des endroits dédiés). Si un objet tombe, des techniciens avec un gilet spécial peuvent rentrer dans l’espace des étagères. Leur présence interrompt automatiquement le déplacement des armoires. Oui, c’est impressionnant.
Après ce passage à Narnia, nous sommes redescendus au rez-de-chaussée pour voir l’emballage des colis, encore opéré par des humains. Cependant, les choix des employés sont ici très limités. Pour chaque colis, une intelligence artificielle dit au préparateur quel type de carton prendre, pour optimiser le plus l’espace. Une bonne idée en théorie, mais moins en réalité. « Le système ne fonctionne pas toujours très bien. Il dit parfois de prendre un emballage, mais il aurait fallu prendre inférieur ou supérieur », nous confie un employé. Le directeur du centre parle lui d’un service en apprentissage, qui s’améliore progressivement.
Enfin, chaque colis est pesé et scanné par une machine, qui les emmène ensuite vers un dernier tri, puis dans le bon camion. Voilà l’histoire d’un colis.
« La caverne d’Ali Baba »
Comment éviter les problèmes dans un centre aussi gros, avec autant d’employés et d’objets ? Pierre-Louis Debroise reconnaît lui-même que c’est impossible, en nous montrant un stock d’ordinateurs arrivé par erreur, alors qu’ils sont trop grands pour son centre. Le directeur du site confirme aussi que les 30 millions d’objets stockés ici créent d’inévitables tentations : « Il y a du vol, c’est normal, c’est la caverne d’Ali Baba », tout en indiquant qu’Amazon fait le maximum pour empêcher ces situations. Pierre-Louis Debroise nous raconte aussi que sa position lui permet d’observer certaines tendances du marché, comme le dernier Zelda : « les plus grande folies que j’ai vues, c’est le dernier Astérix et la Nintendo Switch. On en avait des camions entiers. »
Les autres centres sont-ils amenés à connaître la même robotisation ? Pas forcément, explique Amazon. Si les futures ouvertures adopteront sans doute des systèmes similaires, voire encore plus sophistiqués, Amazon a pour habitude de faire coexister plusieurs manières de faire d’un endroit à l’autre. Le géant du web explique d’ailleurs que les décisions en France sont prises par l’Europe, et pas les États-Unis.
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