Interrogé dans le cadre du rachat d’Activision par Microsoft, Satya Nadella, le patron de l’entreprise, a expliqué souhaiter la fin des jeux exclusifs. Si le point de vue est compréhensible, il tuerait néanmoins toute la magie des consoles de jeux.

Microsoft va-t-il réussir à racheter Activision ? Depuis le début de l’année 2022, le géant du logiciel se bat avec les autorités de la concurrence du monde entier pour prouver qu’il n’est pas mû par l’envie de causer du tort aux PlayStation, en mettant notamment la main sur la licence Call of Duty. Une longue lutte sans pitié, qui force les représentants de Microsoft à s’exprimer devant la FTC américaine au mois de juin 2023, dans l’espoir d’obtenir un feu vert.

Auditionné par les autorités américaines, Satya Nadella, le patron de Microsoft, a fait une déclaration surprenante : « Si cela ne tenait qu’à moi, j’aimerais me débarrasser de toutes les exclusivités sur les consoles, mais ce n’est pas à moi de le définir, surtout en tant qu’acteur à faible part de marché. L’acteur dominant a défini la concurrence sur le marché à l’aide d’exclusivités, c’est donc le monde dans lequel nous vivons. Je n’aime pas ce monde. » C’est The Verge qui a retranscrit ces propos.

Tous les jeux sur toutes les consoles, vraiment ?

Satya Nadella a raison sur une chose : le monde dans lequel nous vivons est un monde d’exclusivités. Les titres forts de Sony, comme The Last of Us, Uncharted, Horizon, God of War ou Spider-Man, sont effectivement des exclusivités PlayStation.

Même chose chez Nintendo, que Microsoft a souvent tendance à oublier dans ses déclarations. Le géant japonais se démarque des autres avec ses innombrables jeux Mario, Pokémon ou Zelda. La force des écosystèmes de Sony et Nintendo n’est pas tellement la console en elle-même, mais plutôt tout ce qui l’entoure. Peu de fans achètent une Switch pour ses manettes Joy-Con ou son système d’exploitation, mais beaucoup le font par amour du plombier à casquette.

Marvel's Spider-Man 2 // Source : Capture YouTube
Le jeu Marvel’s Spider-Man 2 est le prochain gros hit de la PS5. Il ne sera pas disponible ailleurs. // Source : Capture YouTube

En troisième position sur le marché des consoles, Microsoft sait qu’il est dans son intérêt de présenter les exclusivités comme un problème, même s’il y a une part d’hypocrisie dans cette stratégie (Halo ou Forza sont des licences exclusives qui lui profitent). Microsoft doit estimer que convaincre les autorités que les exclusivités desservent l’industrie pourrait l’aider à obtenir le droit de racheter Activision. L’entreprise se présenterait alors comme l’acteur d’un nouveau monde libre qui ne voit pas les exclusivités comme un point fort.

Dans le monde idéal de Satya Nadella, les utilisateurs ne changeraient pas de consoles pour des jeux, mais pour des spécificités techniques. C’est, selon nous, une grave erreur, puisque les consoles ne sont pas des PC. Les amateurs de caractéristiques compliquées peuvent fabriquer des appareils sur mesure, les personnes qui veulent juste jouer choisissent l’écosystème qui leur plaît le plus. (La preuve, la plupart des gens ne jouent pas en qualité optimale).

Si Microsoft n’a pas encore réussi à créer un écosystème aussi séduisant que ceux de Sony ou Nintendo, malgré son Xbox Game Pass, c’est son problème. Penser qu’il serait plus fort avec les titres de la PS5 et de la Switch n’est pas la bonne manière d’aborder le problème.

Halo Infinite // Source : Microsoft
Halo Infinite est une exclusivité Xbox. // Source : Microsoft

Dans l’industrie tech, les exclusivités sont partout

Plus généralement, les propos de Satya Nadella sont en contradiction avec les autres pratiques de Microsoft sur les marchés qu’ils dominent.

Après avoir été condamné pour sa volonté d’imposer Internet Explorer sur les PC de ses utilisateurs, Microsoft tente désormais de mettre son navigateur Edge partout. L’entreprise l’a même rendu obligatoire pour accéder à son nouveau Bing avec ChatGPT début 2023, qu’il voit comme un moyen de renforcer sa position sur le web. De nombreuses applications Microsoft sont aussi disponibles en exclusivité sur Windows, ou alors bien plus complètes.

encart sur Chrome dans Edge
Peut-on vraiment donner des leçons sur la concurrence quand on est connu pour ses stratégies pas toujours très honnêtes ? // Source : Capture d’écran

« Le monde dans lequel nous vivons », comme Satya Nadella le dit, est en effet un monde de concurrence. Apple ne partage ses applications et services avec personne (iMessage, FaceTime, AirDrop…), Google réserve des exclusivités logicielles à ses smartphones (gomme magique, enregistreur vocal avec transcription du texte…) et Amazon ne permet pas d’utiliser ses objets domotiques avec d’autres assistants vocaux qu’Alexa. Tous le font dans un but précis : développer un écosystème qui donne envie aux clients de les choisir eux plutôt que les autres. C’est une approche très capitaliste, mais c’est cette concurrence qui permet aux entreprises de grandir et de s’affronter.

Dans un monde où tout serait disponible partout, les acteurs seraient-ils vraiment plus nombreux ? Si une PS5 peut faire tourner les titres Xbox et Switch, n’est-il pas plus probable de voir les ventes de Xbox et de Switch s’effondrer, au profit d’une console unique ? Le message de Satya Nadella est utopiste, mais pas en phase avec la réalité actuelle du marché.

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