Emmanuel Macron a fait le lien entre les émeutes liées à la mort de Nahel et les jeux vidéo, qui « intoxiqueraient » les jeunes et les pousseraient aux violences. Les propos sont potentiellement absurdes. Mais s’en indigner ne fait que décentrer le débat.

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Mardi 27 juin, un jeune homme de 17 ans, Nahel, a été tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre. Sa mort a provoqué le choc et la colère dans sa ville et dans d’autres quartiers dits populaires en France, entraînant un mouvement de révolte contre les violences policières et les discriminations racistes et systémiques. Après plusieurs nuits de heurts, Emmanuel Macron a donné une conférence de presse vendredi 30 juin, fustigeant le rôle des réseaux sociaux dans la crise et, plus inattendu, celui des jeux vidéo. « On a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués », a déclaré le président de la République.

Ce discours reliant jeux vidéo et violence est une vieille rengaine politique, quoiqu’un peu surprenante de la part d’un chef d’État qui revendiquait jusqu’ici un intérêt poli (et très relayé par ses équipes de communication) pour l’esport et le streaming.

De nombreuses personnes ont critiqué ses propos, en faisant exactement la même blague ironique : j’adore jouer à [le nom d’un jeu vidéo], ça me donne envie de [une activité absurde liée à ce jeu, par exemple jeter une peau de banane sous une voiture pour la faire déraper] ! Là encore, il s’agit d’une vieille rengaine, mais de l’autre côté de la barrière. Le milieu du gaming a tendance à rejeter toute critique de leur hobby par une personnalité publique, même quand elle est justifiée (cela arrive).

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Ne nous trompons pas de sujet.

Plus généralement, dans une situation aussi grave que celle de la mort de Nahel et des révoltes qui ont suivi, on cherche tous et toutes une bonne manière de réagir. Selon vos expériences de vie, il sera parfois plus simple de défendre les jeux vidéo que de parler des thématiques lourdes comme la réforme de la police ou le racisme systémique. « Beaucoup de posts de mauvais goût sont liés à une croyance commune : que le seul moyen de montrer qu’on prend au sérieux une actualité serait d’en faire des contenus en ligne », écrivait l’autrice Anne Helen Petersen l’année dernière, alors que la guerre en Ukraine éclatait.

À chaque évènement dramatique, on retrouve cette même tension, celle d’être (càd endosser une identité en ligne, en fonction de nos valeurs personnelles, en suivant et partageant les bonnes personnes) et de produire (des contenus qui pourraient avoir une forte audience, puisque surfant sur une actualité brûlante). C’est souvent bien intentionné. C’est aussi confortable de ne parler politique que lorsqu’il s’agit d’évoquer les sujets qui nous concernent directement.

Les jeux vidéo ou TikTok sont bien un leurre médiatique qui détourne l’attention des vrais problèmes. « Le coupable, c’est le malaise démocratique », insiste Asma Mhalla, spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques des nouvelles technologies, quand on l’interroge sur le rôle supposé des réseaux sociaux comme amplificateurs des révoltes. Il ne s’agit pas d’ignorer les enjeux numériques de cette crise. Plutôt de se demander pourquoi on en agite certains et qu’on en ignore d’autres.

Car on peut tout à fait remettre en question nos pratiques en ligne et la responsabilité des plateformes. On peut, par exemple, s’interroger sur la légalité et la moralité de la cagnotte lancée par un proche d’Eric Zemmour en soutien à la famille du policier qui a abattu Nahel (jugée « conforme » à ses règles par la plateforme GoFundMe, elle a été finalement clôturée par son créateur dans la nuit de mardi à mercredi). On peut aussi remarquer que l’on ne parle pas de jeux vidéo, ni d’intoxication, quand les réseaux sociaux sont utilisés par des milices racistes pour organiser des descentes violentes dans nos rues et menacer de mort toute personne identifiée comme « gauchiste ».

Enfin, on peut s’inquiéter que quand notre président invente le concept « d’e-meutes », c’est pour le coller aussitôt à l’un des mots préférés de l’extrême droite, la « décivilisation ». En 2020, lors de la mort de George Floyd aux mains d’un policier américain, j’écrivais qu’il fallait parler de racisme avant de parler de nouvelles technologies. Si on doit évoquer les deux, ne nous trompons pas de sujet.

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