On croyait que la journée du 12 septembre 2023 serait intégralement consacrée à la sortie de l’iPhone 15 et de ses variantes, en raison du keynote organisé par Apple à Cupertino. C’était sans compter sur la France, qui s’est glissée dans cette séquence comme un grain de sable dans un rouage. De façon inattendue, elle a remis l’iPhone 12 sur le devant de la scène.
En cause ? Un dépassement d’ondes émises par ce smartphone. Il n’en fallait pas davantage pour lancer la suspension commerciale de l’iPhone 12 sur le territoire national. En l’absence d’un correctif logiciel déployé sur ce modèle, sa remise sur le marché ne pourra pas se faire. Et, si rien ne bougeait, un rappel pourrait être décidé, y compris sur les exemplaires déjà vendus.
Spectaculaire et forte, cette mesure n’est pas inédite. Elle est néanmoins rare : si l’on remonte les cinq derniers rapports d’activité de 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021 de l’agence qui supervise ces contrôles, on relève quelques retraits de produits du marché et des rappels ponctuels des constructeurs. Hormis le Razer Phone 2, les modèles en cause ne sont pas des produits de premier plan.
Cette mesure a surtout donné lieu à une escalade inattendue. Le ministre délégué en charge du numérique, Jean-Noël Barrot, est monté au créneau sur ce dossier, sur Twitter et dans Le Parisien — et le 13 septembre, sur France Info. C’est très rare, pour ne pas dire inédit. Nous n’avons pas souvenir d’une telle prise de parole pour ce genre d’évènement, qui survient de temps à autre.
Est-ce parce que Apple n’est pas une entreprise comme les autres ou, du moins, que c’est l’un des principaux vendeurs de smartphones ? Toujours est-il que l’iPhone 12 n’aurait pas dû dépasser un seuil précis, fixé à 4 watts par kilogramme (W/kg). Or, il a été flashé à 5,7 W/kg. Ce seuil et ce dépassement concernent un plafond fixé pour les membres — en l’occurrence, les mains.
Une décision française qui étonne Apple
Cette dramatisation surprend, y compris jusqu’à Cupertino, le quartier général d’Apple. En déplacement au siège de la marque pour suivre la présentation de l’iPhone 15, Numerama a pu discuter de cet évènement avec l’entreprise, qui a fait part de son étonnement — aussi bien sur la décision elle-même que son timing, le jour de la présentation de son nouveau téléphone.
Selon nos informations, Apple considère que l’iPhone est dans les clous, y compris vis-à-vis des règles françaises de maîtrise des ondes. La marque soutient que son produit répond aux normes en vigueur et a passé avec succès tous les tests internationaux. Dans tous les cas, l’entreprise considère que les choses vont rentrer dans l’ordre prochainement.
Il reste à voir si cette rectification passera par un dialogue avec les parties prenantes, et si elle impliquera une mise à jour logicielle. Au fil des ans, divers modèles de différentes marques ont été épinglés pour les mêmes raisons. En général, le déploiement d’un patch dans les jours qui suivent permet de réduire le DAS fautif en dessous de la limite maximale.
Le DAS, acronyme de débit d’absorption spécifique, s’exprime en W/kg. Il sert à quantifier, via un indicateur chiffré, l’énergie des ondes émises par un équipement radioélectrique qui est absorbée par le corps humain. Plusieurs limites de DAS (tête, tronc, membres) existent : 4 W/kg pour les membres, 2 W/kg pour le reste. Plus la valeur du DAS est basse, mieux c’est.
Un dépassement très limité
Au-delà de la coïncidence surprenante entre la décision de l’ANFR sur l’iPhone 12 et le keynote sur l’iPhone 15, des éléments laissent à penser que l’affaire relève plus d’une tempête dans un verre d’eau que d’un scandale en devenir. Outre le fait que l’iPhone 12 n’est pas le premier mobile à se faire taper sur les doigts (ni ne sera le dernier), le dépassement en cause est limité.
Jean-Noël Barrot l’a d’ailleurs reconnu dans son interview au Parisien : « L’iPhone 12 ne dépasse que très légèrement la norme. » Surtout, seule la mesure concernant le DAS membre est fautive. Le seuil pour le DAS tronc est conforme, selon l’ANFR. Quant au DAS tête, il n’est pas mentionné. Il n’y a donc, sur les trois limites, qu’un seul débordement en cause.
Il convient de noter que le DAS membre, qui est au centre de la polémique, est un critère assez récent. Il a fait l’objet d’un arrêté en novembre 2019, nous a fait remarquer l’avocat Alexandre Archambault, spécialiste des réseaux, avec une entrée en vigueur début juillet 2020. Or, l’iPhone 12 est arrivé sur le marché en septembre de la même année.
Il est possible, dès lors, qu’il y ait eu un télescopage de calendrier : les spécifications de l’iPhone 12 étaient sans doute figées lorsque l’arrêté est devenu applicable, car Apple se devait de préparer la production de masse de l’appareil pour pouvoir livrer le produit dans le monde envier à l’automne.
Un protocole de mesure extrême
Il faut également souligner que la politique de l’ANFR pour la mesure du DAS, qui est confiée à un laboratoire accrédité en Allemagne, est « extrême ». Il s’agit de voir « la puissance moyenne maximale que peut produire le téléphone », selon l’ANFR, à travers des configurations techniques variées. Cela ne reflète pas le DAS réel que l’on peut observer au quotidien.
En conséquence, il peut y avoir une divergence entre le DAS courant, quand on se sert du téléphone normalement dans des conditions classiques, et le DAS maximal — qui reflète, par exemple, un usage continu et une couverture radio très faible, ce qui nécessite d’émettre plus fortement pour capter. Une situation qui n’est pas croisée systématiquement dans la réalité.
« Pour une communication vocale, le téléphone n’émet statistiquement qu’environ 50 % du temps, le téléphone n’émettant pas lors de l’écoute ; en outre, la durée moyenne d’une communication est inférieure à 3 minutes », rappelle d’ailleurs l’agence nationale des fréquences. La réglementation française se base donc sur des mesures de DAS très spécifiques.
Sur son site web, Apple dit en tenir compte. L’entreprise américaine a publié une fiche regroupant les informations sur l’exposition aux radiofréquences de l’iPhone 12. Le DAS membre n’est pas cité, mais les deux autres si — on constate que l’iPhone 12 respecte les plafonds exigés, quand bien même il a été éprouvé dans des circonstances atypiques.
Une procédure curieuse
Last but not least, la procédure ayant mené à l’interdiction provisoire de l’iPhone 12 est aussi commentée sur un plan plus juridique. Comme l’a fait remarquer maître Alexandre Archambault à Numerama, on parle d’une décision d’interdiction qui n’a toujours pas été publiée au Journal officiel. D’ordinaire, la communication n’a lieu qu’à la suite de cette publication au JO.
« Comment voulez-vous rendre opposable une mesure d’interdiction non publiée à défaut de ne pas avoir été notifiée ? », remarque l’avocat. Et, donc, la rendre effective au-delà d’Apple, au niveau des circuits de vente opérés par des tiers, mais aussi au niveau de tout le marché du reconditionné. « Du petit lait pour les avocats en contentieux administratif ! », analyse-t-il.
À cela s’est ajoutée la communication du gouvernement, par la voix de Jean-Noël Barrot, qui a émergé immédiatement après la réception du rapport de l’ANFR. Avec pour conséquence une exposition immédiate de l’entreprise. Là encore, nous n’avons pas souvenir qu’un autre constructeur pris dans une situation analogue ait été brocardé de la sorte.
Et maintenant ?
On peut raisonnablement penser que les choses vont rentrer dans l’ordre, après discussion avec les autorités et l’ANFR, ou via une mise à jour logicielle de l’iPhone 12 — ce type de débordement est de cette façon corrigé, dans la plupart des cas. En clair, la suspension des ventes de l’iPhone 12 devrait être très provisoire. Dans les jours à venir, elles devraient reprendre.
L’iPhone 12 a été mis en vente en 2020 et sa carrière commerciale est largement passée. Un arrêt des ventes en France n’aurait pas d’incidence sur Apple aujourd’hui. Un rappel, en revanche, pourrait donner à d’autres suites à cette affaire. Cela aurait aussi des conséquences fâcheuses pour les propriétaires de ce produit, qui devraient le rendre. Mais, nous n’en sommes pas là.
Que faire si vous avez un iPhone 12 ?
Quant à celles et ceux qui se demandent que faire en cas de possession d’un iPhone 12. La réponse est simple : rien. Plus exactement, il n’est pas nécessaire de changer de téléphone pour cette raison. Les effets néfastes pour la santé humaine en raison des ondes provenant des smartphones (dans le cadre d’un usage normal) n’ont pas été scientifiquement prouvés.
Le mieux à faire est d’attendre le déploiement d’un correctif logiciel. Vous n’aurez sans doute même rien à faire de particulier : il pourrait être poussé vers votre mobile automatiquement. Vous pouvez également attendre la fin du psychodrame. Et, si vous comptez changer de smartphone, libre à vous, mais ce sont d’autres raisons qui devraient peser dans votre décision.
Si vous avez vraiment un doute, une solution est de passer par du main libre. C’est ce que rappelle Apple : « Pour réduire l’exposition à l’énergie de radiofréquence, utilisez une option mains libres, telle que le haut-parleur intégré, des écouteurs ou d’autres accessoires similaires ». Les ondes se dispersent dès quelques centimètres d’écart, ce qui atténue davantage l’exposition.
Et n’achetez pas de patchs anti-ondes, ça ne sert à rien.
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