De nombreux consommateurs témoignent ne pas être à l’aise avec cette innovation. Les raisons de la défiance du public incluent à la fois une réticence d’ordre psychologique et des obstacles fonctionnels.

Cette semaine encore, Marc Zuckerberg défendait les mérites du « métavers » dont il rêve. Il pourrait même nous permettre de dialoguer avec des personnes décédées. À quelques jours du lancement du casque de réalité virtuelle Quest 3, le fondateur de Facebook rappelle par la même occasion qu’il n’a pas renoncé à ses ambitions affichées il y a un an, lorsqu’il renommait son groupe « Meta » : connecter les personnes et les entreprises via le métavers plutôt que via les plates-formes traditionnelles de médias sociaux. Des questions se posaient en effet bel et bien sur ses intentions actuelles, le système qu’il défend semblant peu populaire auprès des consommateurs.

Le métavers est un monde virtuel interactif, immersif et collaboratif partagé par les internautes ou, plus précisément selon Jooyoung Kim, professeur à l’université de Géorgie, un « réseau persistant interopéré d’environnements virtuels partagés où les gens peuvent interagir de manière synchrone par le biais de leurs avatars avec d’autres agents et objets ». Le terme provient du roman de science-fiction Snow Crash publié en 1992 par Neal Stephenson. Monde virtuel tridimensionnel habité par des avatars de personnes réelles, le développement du métavers est lié aux progrès de la réalité virtuelle et des technologies immersives.

Des risques et des menaces

Pourquoi les consommateurs seraient-ils réticents à une innovation aussi attrayante que le métavers ? Telle a été la question qui a animé notre recherche récente. Il ne va pas de soi que tous les consommateurs allaient parfaitement accepter une telle technologie. Les résultats d’une étude qualitative auprès 66 consommateurs indiquent qu’il existe deux grands types de barrières à l’adoption du métavers : des barrières psychologiques et des barrières fonctionnelles.

Une barrière psychologique se dresse lorsqu’une innovation entre en conflit avec les normes et valeurs sociales d’une personne. Elle apparaît également lorsqu’une innovation est perçue comme risquée ou menaçante. Dans le cas du métavers, l’étude révèle sept sous-types de barrières psychologiques :

  • une mauvaise compréhension du métavers et de ses particularités,
  • l’absence ou insuffisance de régulation pour superviser et gérer efficacement le métavers,
  • des inquiétudes quant au potentiel de dépendance du métavers,
  • la crainte que le métavers entraîne des pertes de relations sociales réelles,
  • la peur d’être coupé du monde et déconnecté de la réalité,
  • les problèmes de confidentialité des données personnelles que pourraient créer le métavers,
  • et enfin la perception du métavers comme quelque chose de peu éthique au niveau écologique et où tout serait en œuvre pour faire consommer les consommateurs toujours plus.
Horizon Worlds, le métavers de Meta. // Source : Numerama
Horizon Worlds, le métavers de Meta. // Source : Numerama

Un enquêté, âgé de 25 ans, a ainsi pu nous détailler ses craintes :

« Je pense qu’il sera impossible de réglementer, car c’est justement le principe du métavers que de donner le maximum de liberté aux gens. Mais du coup, ça devient effrayant… un monde sans limites ! Je pense qu’il y a un vrai risque que cela devienne une véritable anarchie, sans aucune règle. Et dans ce cas, ça laisse la porte ouverte à beaucoup d’excès. »

Un quadragénaire nous a lui fait part de sa peur de devenir accro :

« J’ai toujours l’impression qu’il vaut mieux ne pas trop mettre le doigt sur ce genre de choses. Il doit être assez facile de s’y laisser prendre et de ne pas pouvoir en sortir. À mon avis, il vaut mieux ne jamais commencer parce qu’on peut vite se retrouver piégé et dépendant. Je préfère ne pas prendre le risque. »

Il est d’ailleurs intéressant de noter sur ce point que d’ordinaire, les freins à l’adoption d’une innovation sont liés au fait que l’innovation ne serait pas suffisamment bonne. Or ici, on observe le phénomène inverse : certains individus s’opposeraient au métavers parce qu’il serait trop bon !

Peu d’intérêt, incrédulité et nausée

Une barrière fonctionnelle émerge dès qu’un consommateur perçoit les attributs d’une innovation comme dysfonctionnels ou inadaptés à ses besoins personnels et à ses attentes d’utilisation. Trois types de résistance fonctionnelle sont mis en évidence par nos travaux.

La première, à l’image de ce que témoigne cette enquêtée de 41 ans, réside dans l’incapacité à percevoir les avantages du métavers, notamment en comparaison à l’Internet actuel :

« C’est séduisant, c’est sûr… D’une certaine façon, ça fait un peu rêver. Mais je ne sais pas… Je ne vois pas vraiment l’intérêt de la chose. Peut-être que j’ai raté quelque chose. Mais là, j’avoue que ce n’est pas clair pour moi. Peut-être que ce n’est pas pour moi ? »

Une femme avec un casque de réalité virtuelle HTC Vive // Source : Pexels
Une femme avec un casque de réalité virtuelle HTC Vive // Source : Pexels

Cet homme de 21 ans semble, lui comme bien d’autres, incrédule quant à la possibilité que le métavers soit pleinement fonctionnel dans un avenir proche :

« Je ne pense pas que ce soit pour tout de suite. Je n’y crois pas. J’ai l’impression que Mark Zuckerberg et tous ceux qui promettent le métavers sont allés un peu vite. Avant que tout ce qui est promis soit en place et fonctionne bien, si cela arrive un jour, il faudra des décennies. »

Un ensemble de barrières physiques (symptômes de nausée, de désorientation et de malaise) causées par les techniques de réalité virtuelle utilisées par le métavers sont enfin évoquées.

Cette dernière barrière, comme d’autres (un métavers qui isole du monde réel, les risques liés à l’usage des données personnelles…), semblent stables, et donc très difficiles à éliminer. Elles vont sans nul doute persister dans le temps, indépendamment de la façon dont le métavers va se réaliser. Contrairement à elles, des craintes plus conjoncturelles, comme le manque de compréhension de ce qu’est le métavers ainsi que sur son utilité, peuvent être levées à moyen terme en fonction de l’évolution de la technologie et du niveau d’information des individus. Les concepteurs devraient s’y intéresser de près.

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Damien Chaney, Professeur, EM Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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