Il y a une nouvelle intelligence artificielle générative en ville, et elle s’appelle Grok. Surtout, c’est le projet d’Elon Musk pour venir chasser sur les terres d’OpenAI (ChatGPT) et Google (Bard). À l’été 2023, le projet xAI était officialisé, avec l’intention de proposer un chatbot qui dirait la « vérité ». Quelques mois plus tard, Grok fait désormais ses premiers pas.
Des premiers pas pour l’instant très modestes, puisque l’accès à Grok est restreint : seule une poignée d’internautes aux États-Unis ont la possibilité d’explorer l’agent conversationnel, encore au stade de prototype. Il est toutefois possible de s’inscrire sur une liste d’attente, en renseignant son compte X (ex-Twitter) ainsi qu’un mail pour recevoir une alerte.
En attendant de pouvoir mettre la main dessus, une question peut légitimement se poser : pourquoi ce chatbot a-t-il été affublé d’un nom pareil ? On pourrait croire qu’il s’agit d’une énième facétie d’Elon Musk, en optant pour un nom qui a tout l’air d’une onomatopée. Il s’avère qu’il y a bien un sens caché — exactement comme Bard et ChatGPT.
Grok, un mot issu de la science-fiction
Le site CNBC a trouvé l’explication, le 5 novembre 2023. L’expression n’est pas une invention d’Elon Musk, mais d’un romancier américain, Robert A. Heinlein. L’écrivain a utilisé « grok » dans un roman de science-fiction en 1961, intitulé En terre étrangère (Stranger in a Strange Land). Plus de soixante ans après, le voilà réutilisé pour servir d’identité à un chatbot.
Selon l’auteur Éric Picholle, physicien au CNRS et spécialiste d’optique non linéaire et quantique à l’institut de physique de Nice, ce livre « deviendra l’un des livres-culte du mouvement hippie ». Il « fera passer dans la culture populaire américaine le seul mot martien qui y est explicité, to grok », analyse-t-il dans La Sémantique générale : rêve ou cauchemar de science-fiction ?
Un mot pour dire que l’on pige quelque chose
Grok, qui a sa propre page sur le Wiktionnaire, est un verbe traduit en français par gnoquer. C’est une sorte d’argot pour dire quelque chose comme « piger » ou « capter ». Il est utilisé dans la phrase suivante, selon la traduction de Frank Straschitz : « Mais avant de pouvoir la juger, il fallait gnoquer selon quels critères la juger. »
En 2018, Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS et spécialiste en linguistique, analysait pour Le Figaro les œuvres de science-fiction qui mettent en scène le premier contact avec les aliens. Il expliquait alors, dans le cas de gnoquer, que « c’est typiquement un mot qui vient de la culture des Martiens que les humains ne comprennent pas ».
Le verbe gnoquer « signifie comprendre pleinement et ne faire plus qu’un avec l’objet de sa réflexion », ajoutait-il, dans l’article Comment parler aux extraterrestres en huit questions. Selon CNBC, gnoquer est un verbe signifiant « comprendre profondément et intuitivement ». Il s’agit d’exprimer une empathie ou une intuition très profonde à l’égard de quelque chose.
L’influence du roman dans la culture hippie américaine pourrait expliquer le choix du mot grok pour désigner le chatbot, d’autant qu’il s’est aussi propagée à la science-fiction et au monde du hacking. Même le dictionnaire Oxford lui accorde une entrée. Se servir d’une formule signifiant « piger » ou « capter » pour nommer un chatbot n’est donc pas tout à fait absurde, finalement.
Va-t-on gnoquer quelque chose de censé ?
Cela étant dit, il reste à constater comment l’outil va fonctionner. Selon le message promotionnel, le chatbot « est conçu pour répondre aux questions avec un peu d’esprit et a un côté rebelle ». Les internautes qui détestent l’humour sont ainsi invités à ne pas s’en servir, dixit xAI. L’outil se vante de pouvoir parler de l’actualité, à la différence des autres outils, mais c’est inexact.
Surtout, on peut se demander ce que l’on va bien pouvoir « capter » ou « piger » avec Grok. Selon xAI, Grok s’établit sur les contenus échangés sur X — et, donc, sur ce que disent les internautes — pour s’alimenter en données « Il répondra également à des questions épicées rejetées par la plupart des autres systèmes d’IA », est-il ajouté.
On peut légitimement se poser la question de savoir si Grok formule des réponses fondées sur ce qu’il circule sur X en temps réel. Le réseau social est souvent pointé du doigt pour son insuffisante modération à l’égard de la désinformation, et depuis des mois. En réalité, il est à crainte que Grok ne nous aide pas forcément à gnoquer énormément de choses si l’IA se focalise trop sur X.
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