Que serait un week-end en France sans une bonne polémique ? Qu’importe l’exactitude, il faut s’agacer ! Et à ce titre, le week-end des 18 et 19 novembre a fait fort. Tout est parti d’un tweet (X), de Nicolas Denescheau, qui a produit un savant cocktail capable d’enflammer le réseau social : attaquer une cible facile (l’IA), ajouter un peu d’indignation technocritique et entourer, sur une photo, l’objet de la colère.
Cet objet, c’est donc une publicité adressée aux Parisiens, les invitant depuis leur morne métro à aller en vacances au ski, particulièrement à Chamonix. On apprend qu’elle a été commandée par l’Office du Tourisme de Chamonix-Mont Blanc et qu’elle présente, somme toute, un message très banal : « se reconnecter à la nature ». Ce n’est pas la punchline qui dérange Twitter, mais bien le petit texte en bas à gauche : « image générée par IA, sublimée par l’Homme ». Il n’en a pas fallu plus pour que le tweet devienne viral : une photo de la nature générée par une intelligence artificielle, de qui se moque-t-on ?
Et si c’était effectivement le cas, comme le tweet initial semble le dire, on pourrait imaginer que le message de l’Office du Tourisme est effectivement mauvais. Travestir la nature avec une image générée, alors qu’elle regorge de beautés très justement naturelles, voilà qui aurait été osé. Mais comme souvent, quand on creuse, on s’aperçoit que la réalité est très différente.
La photo n’est pas générée et l’IA n’est pas de la flemme
Premièrement, il n’y a pas eu de « flemme de prendre une photo d’une montagne à Chamonix », comme le dénonce le tweet. Plusieurs montagnards, entre deux réponses offusquées au message, ont jugé bon de préciser que la photo est bien réelle. Il s’agit du Col de Voza et du Mont Blanc, pris depuis les Houches, commune qui fait bien partie du label touristique « Chamonix Mont-Blanc ». Nous sommes donc en présence d’une véritable photographie, ce que confirme le président de l’Office du Tourisme à France 3 Régions.
Deuxièmement, en plus de s’être servi du travail d’un véritable photographe, ce qui enlève toute flemme et toute idée caricaturale que l’IA nous remplacera, l’Office du Tourisme a également payé une deuxième personne pour son affiche : un graphiste qui a utilisé Midjourney. Ce que l’on comprend, c’est donc que les personnages à l’avant-plan et les renards ont été créés par l’IA et ajoutés à la scène bien réelle.
En d’autres termes, rien de nouveau sous le soleil : les publicités sont toutes des compositions de plusieurs morceaux graphiques, travaillés, retouchés, surperposés, intégrés, mélangés. Un autre graphiste aurait probablement détourné des personnages et des animaux d’une autre photo et les aurait ajoutés au cliché initial. Ici, le tout a été fait avec une mention claire de l’utilisation d’une IA qui apporte une transparence totale à la personne qui regarde, ce que d’autres n’auraient peut-être pas fait.
Difficile donc de comprendre la vague de colère que Chamonix a suscité ce week-end quand on creuse le sujet : deux professionnels de l’image ont été payés pour leur travail et l’un d’eux se sert de nouveaux outils modernes qui changent sa manière de travailler. Faire passer ce travail bien réel pour de la flemme est de mauvaise foi : on comprend très bien, si on utilise un peu Midjourney, qu’il n’a pas simplement appuyé sur un bouton « faire une publicité » qui aurait donné un résultat parfait. Le photographe a fait marcher son appareil et son talent, le graphiste a composé la publicité dans son ensemble — et a utilisé un outil inclus dans une large palette d’outils numériques, tous plus perfectionnés les uns que les autres. L’IA est aussi moderne en 2023 que lasso de Photoshop l’était il y a 20 ans.
Dès lors, où est le problème ? Peut-être ailleurs.
Fantasmer la montagne, le vrai problème
Si la polémique initiale est aussi gratuite qu’injuste, on peut en revanche tiquer sur un aspect de la campagne de Chamonix – Mont Blanc. Il est lié à la mise en évidence de l’IA sur l’affiche. Si l’on reconnaît à l’agence une transparence bienvenue, il va sans dire que ce logo n’a pas non plus été mis là complètement par altruisme. Une publicité n’est pas un média et n’a pas une exigence de transparence. Alors pourquoi mettre cela autant en avant ?
On trouve un indice dans l’interview de Nicolas Durochat à France 3 Régions : « Ça fait parler de nous. Parmi les 850 000 personnes qui ont vu le post, certaines viendront peut-être skier dans notre station », lance-t-il au magazine régional. On comprend alors très bien que la volonté de mettre en avant l’IA était calculée. Est-ce que l’Office du Tourisme cherchait à surfer sur une tendance et pensait être salué pour cela ? Le fait qu’il se satisfasse aussi bien d’un bad buzz que d’un buzz montre que ce détail a été sciemment ajouté pour faire parler. Une petite phrase en bas à gauche de la pub précisant la même chose serait passée inaperçue.
Mais c’est dans un entretien à Mon Séjour en Montagne qu’on comprend un peu mieux la stratégie de Nicolas Durochat pour Chamonix : utiliser les nouvelles technologies… à tout prix. Une méthode dite solutionniste qui, bien souvent, ne fonctionne pas. In fine, faire de la génération par IA par principe, sans que cela serve un besoin, apporte bien plus souvent des problèmes que des solutions. Ici, derrière la polémique infondée, c’est le sous-texte qui peut effrayer : est-ce que l’avenir de la montagne passe par une vision de science-fiction, qui semble tout droit sortie d’un casque de réalité virtuelle avec ses petits personnages faits de polygones ?
Et sans même parler du buzz qui a fait réagir le web français, la comm’ de Chamonix, si techno-enthousiaste soit-elle, semble immédiatement datée. Alors que les enjeux de protection de nos patrimoines naturels nous imposent d’authentiques précautions et un rapport humble à la montagne, l’IA n’a servi qu’à ajouter au paysage des touristes côtoyant des renards et des bouquetins. Très loin, en somme, de ce qui reste à ces majestueux ensemble à nous offrir.
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