Binance a-t-il utilisé un programme pour chômeurs afin de convaincre des Françaises et des Français d’employer sa plateforme ?
C’est exactement ce dont l’accuse le Financial Times. Dans une longue enquête parue le 5 décembre, le journal économique décortique les pratiques troubles de la plateforme d’échange crypto la plus importante au monde. Le FT conclut qu’il s’agit plus de techniques marketing utilisées pour attirer de nouveaux clients que de véritables initiatives caritatives.
Dans l’article, il est question en particulier d’un programme d’initiation au code et à la blockchain, donné avec l’école informatique Simplon et subventionné par le gouvernement. Le programme, qui devait former 10 000 personnes aux enjeux de la blockchain en un an, est loin du compte, selon le Financial Times — et Binance pourrait avoir des comptes à rendre.
L’arrivée de Binance en France, une volonté politique
Binance a officiellement obtenu l’enregistrement PSAN de la part de l’Autorité des marchés financiers en mai 2022, un statut crucial qui permet à la plateforme d’exercer en France. Cet enregistrement a fait la « fierté » du gouvernement français, rappelle le FT — notamment de Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, qui voyait l’arrivée de Binance dans le pays comme l’opportunité de faire de la France le prochain hub européen des crypto-monnaies.
Pourtant, assure le FT, Binance ne respecterait pas le cadre légal imposé. « Un examen plus approfondi des activités de Binance suggère que la plateforme pourrait avoir dépassé les limites. […] Derrière un programme caritatif apparemment bienveillant, Binance a utilisé des tactiques agressives pour inciter les gens à utiliser ses services dans certaines des zones les plus défavorisées de France. »
Le programme promettait de « former des étudiants de tous horizons aux compétences techniques requises pour trouver un emploi dans les industries liées à la blockchain, y compris en tant qu’ingénieurs ». En partenariat avec l’école Simplon, ce programme devait former 10 000 étudiants en un an. Si l’objectif original était louable, les faits étaient tout autres.
La journaliste du FT a assisté à un cours donné par Binance : « il a duré une demi-journée et a consisté en un diaporama sur la technologie blockchain, suivi d’un court exercice pratique avec Solidity, un langage de programmation blockchain », écrit-elle. Les étudiants auraient aussi dû télécharger MetaMask, une application pour accéder à des fonctionnalités pour les crypto-monnaies, et auraient reçu une énorme quantité de goodies floqués du logo de Binance.
Des pratiques commerciales agressives
Et, c’est tout. Pas de cours avancé de code et pas d’approche plus poussée sur la blockchain. « Sur les 10 000 personnes que Binance a l’intention de former d’ici à la fin de 2023, moins d’une centaine auront reçu des cours de code. Les autres recevront des ‘cours de sensibilisation’ », comme ceux que la journaliste a pu suivre.
Enfin, pour avoir une preuve qu’ils avaient bien suivi l’enseignement, les étudiants auraient dû obligatoirement se créer un compte Binance, et récupérer un diplôme sous forme de NFT. Si jamais ils ne complétaient pas leur inscription à Binance, les élèves recevaient une myriade de rappels par mail les invitant à rejoindre Binance. Cet élément-là, en particulier, pose un problème : selon Aurore Lalucq, une eurodéputée interrogée par le FT, « cela ressemble plus à une opération de marketing qu’à autre chose ». Selon elle, il n’est pas rare de voir des entreprises monter des initiatives caritatives pour recruter de nouveaux clients.
Un autre témoin du FT, qui a souhaité rester anonyme, raconte que le principal indicateur de succès de la formation pour Binance n’était pas le nombre de personnes formées, mais le nombre de nouveaux utilisateurs. Pourtant, une telle pratique est illégale : comme le rappelle le journal, les entreprises PSAN n’ont pas le droit de faire du démarchage à des fins marketing.
Interrogé par Numerama, Binance nie avoir eu des pratiques illégales. « À aucun moment un compte Binance n’était requis pour terminer le cours », a indiqué un porte-parole. « Il est vrai qu’un diplôme NFT facultatif était disponible pour les étudiants ayant terminé le cours et souhaitant le réclamer. Cependant, cela n’était pas une exigence obligatoire. Les prétendus ‘e-mails marketing’ censés avoir été reçus par les participants étaient en fait des e-mails de rappel standard pour les utilisateurs ayant commencé à créer un compte, mais n’ayant pas terminé la procédure KYC obligatoire pour activer leur compte. »
« Les objectifs de Binance Charity avec ce projet étaient simplement de contribuer à fournir une éducation dans un secteur qui deviendra de plus en plus important pour l’inclusion financière à l’avenir et de soutenir la création d’emplois en France. Il est décevant qu’une publication aussi prestigieuse que le Financial Times ait publiée des affirmations fragiles provenant d’une source anonyme de provenance douteuse », ajoute l’entreprise.
Dans tous les cas, l’initiative de Binance et Simplon ne sera pas reconduite en 2024. Interrogée par BFMTV, l’école explique qu’elle avait déjà demandé un « recadrage » du programme de Binance, à cause d’un « certain mélange des genres » opéré par la plateforme. « Depuis, Simplon et Binance ont décidé de retirer toute communication mentionnant la bourse crypto et son programme éducatif sur le site de la start-up. De même, ils ne souhaitent pas renouveler l’expérience en 2024 », rapporte BFMTV.
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