En défendant le créateur de Wawa-Mania au nom de la lutte pour la liberté de diffusion des oeuvres sur Internet, l’ATILD cherche à faire de l’ancien webmaster du forum pirate un martyr. Mais ne sont-ils pas en train de porter sur leurs épaules celui qui mettra (et met déjà) le feu à la lutte contre Hadopi ?

Avouons-le, nous sommes très mal à l’aise devant l’action menée la semaine dernière par la nouvelle Association pour le Téléchargement sur Internet et la Libre Diffusion (ATILD), dans les locaux de l’ALPA, et le fait d’avoir fait du créateur de Wawa-Mania le martyr de leur cause.

L’action est d’abord fascinante dans ce qu’elle montre de l’escalade que pourrait prendre l’opposition entre ceux qui souhaitent préserver un contrôle des œuvres assis sur l’idée d’une propriété exclusive, et ceux qui estiment qu’au contraire les œuvres sont la propriété de tous et doivent pouvoir être partagées librement. Nous avons plusieurs fois analysé la montée d’un néo-communisme dans la société numérique, et l’action autant que le vocabulaire de l’ATILD ne sont pas sans rappeler certains mouvements révolutionnaires d’extrême gauche. Avec cette particularité que les néo-communistes qui défendent le partage des œuvres sont idéologiquement beaucoup plus proches des ultra-libéraux économiques que des trotskistes, avec cependant une forte dose d’humanisme. C’est cette complexité idéologique qui fait que le sujet est passionnant à suivre et à commenter au quotidien.

Mais nous ne nous retrouvons pas dans le combat de l’ATILD et surtout pas dans son choix de défendre Wawa-Mania. Le site est un forum, un « board warez », où les membres s’échangent en toute conscience des fichiers piratés, qu’ils ont sélectionnés, décrits, hébergés sur différentes plateformes. Il est organisé par et pour les pirates, sans qu’il y ait là la moindre ambiguïté. Son créateur Zac gagne ou a gagné de l’argent avec Wawa-Mania, peu selon les uns, énormément selon les autres. Etant donné le volume du site (un peu moins de 100 millions de pages vues par mois), et notre expérience du marché publicitaire, nous pensons que la vérité se situe un peu entre les deux, mais que les gains ne sont certainement pas négligeables et dépassent largement les frais engendrés par sa gestion et son hébergement. Nous doutons très fortement qu’ils ne suffisent pas à verser les 20.000 euros nécessaires à sa caution.

Pour l’avoir dénoncé dans un billet dont on trouve ici la copie, le blogueur Bluetouff a été victime lundi d’une attaque DDOS, qui l’a obligé à fermer ses portes. Il assure que l’attaque provenait de membres de Wawa-Mania, fâchés de voir le site pris pour cible. L’affaire est un paquet de noeuds et de batailles d’égos que que nous avons renoncé de tenter de dénouer. Vous trouverez des résumés et des points de vue différents chez Kusanageek, Paul Da Silva, ou encore Keeg.fr.

Le problème, c’est ce choix de vouloir faire de Wawa-Mania en France un martyr de la cause anti-Hadopi, comme le Parti Pirate suédois a su faire de The Pirate Bay le martyr de la cause des libertés numériques à travers l’Europe. Zac veut se présenter comme une sorte de Peter Sunde qui mange des croissants au petit déjeuner plutôt des Kripsrolls. Mais il y a deux différences essentielles entre Wawa-Mania et The Pirate Bay : la légalité et la légitimité.

The Pirate Bay est défendable. Ils n’indexent pas du contenu warez, ils indexent tous les contenus, donc y compris du warez, par conséquence plutôt que par objectif. Ils accompagnent leur service d’un discours politique jusqu’au-boutiste, parfois mal compris. Leur idée n’est pas de spolier les ayants droit, mais de défendre une idéologie extrême de la liberté d’échanger l’information et les œuvres sur Internet. Ils ont mis The Pirate Bay au service de cette idéologie, sans fournir eux-mêmes aucun contenu piraté, mais en laissant les utilisateurs se l’approprier. On peut ne pas aimer le résultat, mais l’idée est défendable aussi bien sur un plan juridique qu’idéologique.

Wawa-Mania, lui, est indéfendable sur le plan juridique. Et sur le plan idéologique, il faut s’accrocher. Le site semble réalisé uniquement dans le but de gagner de l’argent, soit en creux parce qu’il en fait économiser à ceux qui téléchargent, soit directement parce qu’il en fait gagner à ceux qui l’administrent. Il n’a pas d’autre message que celui de dire à l’industrie qu’elle doit s’adapter. Ce qu’elle doit certainement faire, mais est-ce la meilleure manière de l’y inciter ?

Après la polémique née de l’attaque de Bluetouff, l’Atild a modéré son soutien dans un communiqué. « Notre soutien envers Zac existe pour la simple raison que Zac est un adhérent de l’association (…) L’atild ne cautionne pas le téléchargement illégal et n’acceptera jamais d’être assimilée à une bande d’ado-geek-pirate en mal de notoriété« , précise ainsi l’association. Une mise au point bienvenue.

Faire de Wawa-Mania le symbole de la lutte anti-Hadopi, en en faisant un martyr, c’est se tirer une balle dans le pied. C’est offrir aux médias et aux lobbys du droit d’auteur, et emballer dans un joli papier cadeau, un amalgame détestable entre ceux qui organisent la spoliation des créateurs à leur propre profit, et ceux qui se battent contre l’Hadopi pour tout ce qu’elle représente de violation des droits fondamentaux et d’anachronisme. A nos 10 bonnes raisons de combattre la loi Hadopi, nous aurions dû ajouter la mauvaise raison : défendre le piratage.

Se battre contre la loi Hadopi ça n’est pas, pour nous, se battre pour le piratage. C’est se battre pour une adaptation du droit d’auteur et de la rémunération des créateurs à l’ère numérique. Le piratage n’est qu’une conséquence de cette inadaptation. C’est n’est pas une finalité.

C’est en tout cas notre point de vue. Dites-nous si vous le partagez.

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