Au plus haut sommet de l’État aussi, on s’irrite au sujet de la jeune législation européenne sur l’intelligence artificielle. S’exprimant à Toulouse le 11 décembre à l’occasion d’un point d’étape sur le plan France 2030, Emmanuel Macron a jugé que l’Europe ne se rendait pas service en légiférant trop tôt sur l’IA. « Je pense que ce n’est pas une bonne idée », a-t-il lancé.
Un texte défavorable aux intérêts de l’Europe ?
La crainte du président de la République ? Que le Vieux Continent se mette des obstacles qui finiront par la désavantager dans la compétition internationale — en particulier face aux États-Unis et à la Chine, deux pays dans lesquels les moyens, les avancées et les ambitions sont les plus hauts. « On est tous très loin des Chinois et des Américains », a prévenu le chef de l’État.
La remarque d’Emmanuel Macron survient alors que l’Hexagone voit quelques champions émerger dans le champ de l’intelligence artificielle. Mistral AI d’abord, qui a récemment bouclé une importante levée de fonds et a publié un deuxième modèle de langage. Kyutai ensuite, un laboratoire de recherche poussé entre autres par Xavier Niel, le fondateur d’Iliad (Free).
Plus généralement, la France a un écosystème qui croît et plusieurs noms sont en train de se démarquer. LightOn (conception de grands modèles de langage), Aleia (plateforme fournissant des logiciels en IA), Giskard (plateforme pour évaluer la qualité des algorithmes en IA), mais aussi Dust (utilisation de grands modèles de langage) ou bien Hugging Face (apprentissage automatique).
« On peut décider de réguler beaucoup plus vite et beaucoup plus fort que nos grands compétiteurs, mais on régulera des choses qu’on ne produira plus ou qu’on n’inventera pas », a-t-il averti. Une « étrange semaine », selon lui, que celle qui a vu Mistral AI innover et lever des fonds, signe du « génie français comme on aime à le voir et à le célébrer », et Bruxelles fixer des limites juridiques.
Un texte sur l’IA avec 4 niveaux de risque
L’AI Act a connu le 8 décembre une avancée importante avec un accord en trilogue entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement. Le texte doit toutefois encore être validé formellement par le Parlement et le Conseil. Une fois cette étape franchie, il sera d’application directe dans les États membres. Ces étapes peuvent encore prendre des mois.
Dans les grandes lignes, le texte entend maitriser le développement de l’IA selon une approche fondée sur le risque de tel ou tel système. Au-delà de l’IA générative incarnée par des services comme ChatGPT ou Midjourney, il s’agit aussi de traiter d’enjeux très sensibles : la reconnaissance faciale, la police prédictive, la notation sociale, la justice algorithmique, etc.
Quatre niveaux de risque pour l’IA ont été mis en place : minime, limité, élevé et inacceptable. Chaque cran doit suivre des règles particulières, de plus en plus contraignantes à mesure que l’on monte dans l’échelle du danger — le dernier échelon est censé déboucher sur une interdiction pure et simple de l’outil au niveau européen.
Le texte approuvé en trilogue est toutefois contesté — pour les raisons évoquées par le chef de l’État, mais aussi parce que la législation taperait à côté des cibles les plus critiques, comme la reconnaissance faciale. Ce procédé biométrique utilise les traits du visage d’une personne, stockés dans une base de données, sur lesquels on peut appliquer des règles.
Évaluer le texte et le modifier si nécessaire
Emmanuel Macron assure cependant ne pas être hostile à l’idée une réglementation sur le principe. « C’est une bonne chose » parce qu’elle va « consolider un modèle français de la régulation », a-t-il concédé. Cependant, le président plaide pour une évaluation régulière. Et, comprendre en creux, pour une correction rapide s’il s’avère que le texte impose trop de freins.
« La France est sans doute le premier pays en termes d’intelligence artificielle en Europe continentale, on est au coude à coude avec les Britanniques. Mais eux n’auront pas cette régulation sur les modèles fondationnels », a souligné le chef de l’État. La Chine et les États-Unis non plus, même si les lignes sont en train de bouger à Washington.
« Il faut donc qu’on soit toujours à la bonne vitesse et en tout cas au bon rythme » dans cette « révolution en cours ». Sinon, on risque de perdre des leaders et des pionniers, a-t-il prévenu, et de laisser aux autres nations le soin de prendre la tête de l’IA. Dans cette guerre de l’IA se mêlent aussi des enjeux de puissance, de gouvernance, d’influence et de modèle — y compris de société.
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