À mesure que l’adoption des actifs numériques s’étend, leur intégration aux modes opératoires criminels s’intensifie, alerte Broker Defense. Au point que la plateforme française d’aide aux victimes d’arnaques financières s’est spécialisée en traçage de cryptomonnaies.

La distinction entre crime organisé « tradi » et « crypto » ne tient plus la route. L’utilisation de l’argent digital participe à l’évolution des typologies d’escroqueries, en particulier dans les systèmes bancaires clandestins. « Les criminels ne renonceront pas de sitôt à abuser des cryptomonnaies. Ces dernières jouent un rôle central dans leurs stratagèmes financiers », dénonçait encore récemment le général Jean-Philippe Lecouffe, directeur adjoint en charge des opérations d’Europol.

Loin de constituer une simple inquiétude théorique de gendarme face à des technologies de transfert de valeur donnant du fil à retordre aux enquêteurs, l’adoption crypto au travers de toutes les sphères criminelles relève d’un phénomène préoccupant sur le terrain. « Depuis un an, nous assistons à l’explosion de l’utilisation des cryptomonnaies dans des arnaques à l’investissement classiques », nous confie Yann Skorochod, directeur général de Broker Defense France, une agence d’assistance aux victimes d’escroqueries financières installée à Tours. « Il ne s’agit pas de placements atypiques, mais de prétendues opportunités dans l’immobilier, l’or, le vin, le trading, des actifs classiques. »

À la seule différence qu’au moment de la transaction, plutôt que d’amener leurs proies à réaliser un virement bancaire, les malfaiteurs ont désormais pris l’habitude de renseigner un portefeuille crypto. « Les escrocs ouvrent un wallet auprès d’un exchange classique et ils ne s’embêtent même pas à chercher des options plus exotiques, ils recourent aux grosses plateformes crypto qui ont pignon sur rue, dont je ne citerai pas les noms », précise le DG de Broker Defense dans un sourire entendu.

Une fracture numérique mise à profit

Depuis la chute symbolique de la plateforme crypto FTX en novembre 2022 et les débats internationaux qui en ont découlé, avec une régulation plus stricte à la clé, autorités politiques et financières aimaient à croire que la perception du monde des monnaies numériques avait radicalement changé. « Les cryptoactifs sont devenus le premier sujet sur lequel notre service, qui reçoit les plaintes des épargnants, est saisi », avait insisté Marie-Anne Barbat-Layani, la présidente de l’Autorité des marchés financiers (AMF) lors du Forum Fintech d’octobre dernier.

Sans compter les incessantes mises en garde sur des propositions d’investissements douteux ou frauduleux, ainsi qu’une documentation croissante sur les techniques et les schémas d’arnaques — l’AMF fournissant même un diagnostic rapide pour évaluer le niveau de risque d’un placement.

Logiquement, qu’un intermédiaire commercial exige d’effectuer un virement sur un wallet dans le cadre d’une offre de placement classique devrait, au moins, éveiller des doutes. « Cependant, les victimes succombent aux méthodes de persuasion des escrocs, qui parviennent à inspirer la confiance et même à prendre la main à distance sur les ordis pour remplir les KYC (coordonnées bancaires du client, ndlr), parce que les personnes ne sont pas à l’aise avec les nouvelles interfaces technologiques. Les fraudeurs exploitent la fracture numérique, la moyenne d’âge des victimes restant très sénior », souligne Yann Skorochod.

Le Bitcoin  // Source : Kanchanara / Unsplash
Le Bitcoin // Source : Kanchanara / Unsplash

Expertise crypto par la force des choses

Si les arnaques financières déploient une mécanique rituelle (des promesses de rendement élevé aux performances mirobolantes dès les premiers versements) pour galvaniser la confiance et inciter à gonfler les prises de position, le simple recours aux comptes crypto donne une autre dimension.

« En parvenant à convaincre de placer l’argent sur des wallets, les sommes sont rapidement et facilement transférées sur des wallets décentralisés, puis atomisées en plein de petites sous-transactions, et passées dans des mixeurs, des logiciels qui mélangent des fonds pour dissimuler l’historique des transactions », détaille le directeur général de Broker Defense France.

Offrant originellement un espace d’écoute et de conseils, de mise en relation avec des avocats spécialisés et de méthodes d’investigations, afin d’apporter les soutiens matériels de nature à faciliter les procédures judiciaires, la plateforme française a dû s’adapter à cette nouvelle réalité : développer une expertise crypto.

« Nous avons élaboré un service de traçage de cryptomonnaies, alimenté par nos bases de données internet, qui permet de retracer les transactions sur diverses blockchains et de ‘démixer’, c’est-à-dire cibler un wallet de sortie. Cela permet à la police ou un avocat d’identifier le détenteur final des montants volés », affirme Yann Skorochod.

Il convient de vérifier toutes les opérations de paiement effectuées, les dater, les référencer. Certains explorateurs blockchain permettent d’obtenir une partie de ces informations, mais les recherches manuelles et la collecte de données brutes se montreraient insuffisantes dans le cadre d’une investigation.

Un constat de vol blockchainisé

Broker Defense produit des rapports d’analyse détaillés pour identifier une cible juridiquement pertinente. Une personne, une entreprise, une plateforme crypto, dont il faut évaluer l’implication, la complicité et l’ampleur des activités illicites. Ces dossiers servent alors à engager des procédures qui, qu’elles soient pénales, civiles ou pré-contentieuses, doivent s’appuyer sur des éléments factuels.

Mais le temps de la police comme celui de la justice s’avèrent souvent longs. Or, les vitrines web du crime financier ont généralement, elles, une durée de vie bien plus courte. Une contrainte supplémentaire, car, pour démontrer le caractère réel de l’escroquerie en ligne, une capture d’écran infalsifiable du site et de ses propositions d’investissement frauduleuses devrait idéalement être produite.

La plateforme d’accompagnement aux victimes collabore à cet égard avec Chainote. Cette startup lyonnaise a mis au point une solution pour fournir un constat internet opposable en justice. Via un horodatage certifié sous norme européenne (eIDAS) doublé d’un enregistrement blockchain, la technique permet de prouver l’existence, l’intégrité et la date d’une info numérique. Et ce, en respectant les prérequis techniques suivis par les huissiers de justice pour réaliser des constats internet garantissant la neutralité du constat par l’absence d’altérations technique ou humaine (norme Afnor Z67-147), revendique-t-on chez Chainote.

Autant de munitions administratives pour armer les victimes sur le parcours du combattant qui les mènera éventuellement jusqu’à une indemnisation.

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