Ces posts prétendent que l’animateur de Quotidien, Yann Barthès, aurait qualifié Ève Gilles, Miss France 2024, « d’irresponsable ». Selon d’autres versions, c’est l’animatrice du 13H de TF1, Anne-Claire Coudray, qui aurait critiqué la Miss, ou encore Léa Salamé, la présentatrice de l’émission Quelle Époque. Dans tous les cas, l’émission aurait « été interrompue par les autorités », mais en vain, car Ève Gilles aurait déjà « tout raconté ». La vedette aurait révélé en direct une « information financière d’une telle envergure » qu’elle pourrait « ébranler les fondements de la société française ».
C’est ce qu’un ou plusieurs escrocs veulent faire croire aux utilisateurs de Facebook et d’Instagram. Depuis le 26 décembre 2023, près de 590 publicités frauduleuses utilisant l’image d’Ève Gilles ont été publiées sur les réseaux sociaux — 68 d’entre elles sont encore actives aujourd’hui. Les données de la bibliothèque publicitaire de Meta montrent que des centaines de milliers de Français ont vu ces publicités, qui n’ont qu’un seul but : vous convaincre de vous rendre sur un site de trading bancaire extrêmement louche, et subtiliser votre argent.
Des centaines de publicités utilisant l’image d’Ève Gilles
Toutes les publicités que Numerama a pu voir se ressemblent, et utilisent plus ou moins les mêmes propos. Il est ainsi toujours question d’une apparition d’Ève Gilles dans une émission télévisée : Quotidien sur TMC, le 13H de TF1, ou bien encore Quelle Époque, sur France 2. La Miss aurait ensuite été « qualifiée d’irresponsable » par le ou la présentatrice de l’émission. Ève Gilles aurait en effet révélé « en direct » aux spectateurs une « information financière » qui pourrait « ébranler les fondements de la société française ».
Sous le texte, une photo apparait. Plusieurs versions existent : certaines photos montrent Ève Gilles sur le plateau d’une émission, avec une fausse citation apparaissant en gros sur l’image, laissant penser que la Miss France 2024 aurait dit au présentateur de l’émission « tais-toi », ou « comment osez-vous ? ». D’autres versions, particulièrement glauques, utilisent des photos où l’on peut voir Ève Gilles le visage couvert d’hématomes, la lèvre en sang, comme si elle avait été battue — un montage grossier lorsqu’on regarde de près, mais qui peut passer inaperçu sur les réseaux sociaux. Une légende sous la photo dit que « toute la France [est] sous le choc ! ».
En accompagnement du texte et des photos, on trouve ensuite un article semblant provenir du journal Le Monde — ou, parfois, de Libération. Entre le titre aguicheur, les photos clickbait, et le faux article du Monde ou de Libération, tout est fait pour faire cliquer les internautes et les attirer dans le piège.
Lorsqu’on clique sur le lien, on tombe sur un site ressemblant trait pour trait à celui du Monde, ou de Libération, selon la pub. Le titre est toujours le même : « Miss France Ève Gilles risque une sévère condamnation pénale », tout comme le texte de l’article, extrêmement long.
Celui-ci explique qu’un « scandale » aurait éclaté « lors d’une émission en direct, lorsque Ève Gilles (sic) a accidentellement révélé son secret sur le programme ». Peu après, l’émission aurait été « interrompue par un appel de la Banque de France, qui a exigé que le programme soit immédiatement arrêté. » Heureusement, il est expliqué que les journalistes auraient réussi à obtenir un enregistrement de l’émission, qui est reproduit dans l’article. L’auteur du texte prend le temps de prévenir qu’il pourrait « bientôt être supprimé » et que les lecteurs devraient « plutôt consulter le lien qui nous a été fourni par Ève Gilles elle-même. »
L’article est étonnement long et plutôt travaillé, malgré quelques fautes d’orthographe et de traduction (une image est notamment accompagnée d’une légende en espagnol). Il explique qu’Ève Gilles aurait découvert une plateforme d’investissement miracle, qui promettrait des rendements hallucinants grâce aux crypto-monnaies. « Donnez-moi 250 euros, et avec la plateforme Immediate Cipro Ai j’en tirerai un million en 12 à 15 semaines ! », aurait indiqué la Miss. À la suite, sans surprise, le texte donne un lien vers ce fameux site de trading.
Les sites de trading
Curieusement, les liens que Numerama a repérés ne menaient pas tous vers le même site, bien que ce soient tous de pseudos sites de trading, promettant à leurs utilisateurs de les rendre riches grâce aux crypto-monnaies et à de l’intelligence artificielle. Certains liens redirigeaient vers une plateforme nommée Immediate Cipro AI, d’autres vers Immediate Edge, d’autres Immediate Connect, d’autres encore sur SeguroFx.
Pour aller jusqu’au bout de l’arnaque, Numerama a tenté de s’inscrire sur ces sites, mais nous avons rencontré un étrange problème : nous avons été bloqués. Au moment de confirmer notre inscription, les sites Immediate Cipro AI, Immediate Edge, et Immediate Connect ont affiché un message d’erreur. Sur SeguroFx, nous avons réussi à passer la première étape, mais au moment de faire un dépôt d’argent (et donc, de tomber dans l’arnaque), nous n’avons pas pu aller plus loin : le site indique qu’un représentant du service clientèle doit nous contacter pour terminer le processus d’inscription.
Si les recherches Whois ne permettent pas de remonter jusqu’aux créateurs des sites (les informations les concernant sont cachées), elles montrent que les trois sites ont été créés en 2023. De rapides recherches sur Internet indiquent également que les 4 plateformes sont bien frauduleuses. SeguroFx est signalé comme une arnaque sur le site Warning Trading ; et Immediate Cipro AI, Immediate Connect et Immediate Edge semblent usurper l’identité d’autres sites portant le même nom (et qui n’ont également pas l’air fiables). Contactées, les plateformes de trading n’ont pas répondu à nos questions.
Une campagne toujours active
Que conclure de toute cette vaste campagne ? Ce n’est pas la première fois que la fonction publicité de Facebook et Instagram est détournée pour promouvoir des arnaques, comme on a pu le voir avec de fausses combines pour gagner de l’argent, ou avec de fausses opérations caritatives au début de la guerre en Ukraine.
Ici, ce qui est étonnant, c’est l’ampleur de l’opération. Le nombre de publicités engendrées est impressionnant, tout comme leur portée : la plupart d’entre elles ont été vues plusieurs milliers de fois, certaines plus de 100 000 fois. La campagne a, de plus, été aidée par le fait que Meta n’a que très peu modéré les publicités : seules quelques-unes ont été retirées parce qu’elles ne respectaient pas les conditions d’utilisation du site. La vaste majorité est passée sous le radar.
Interrogée, Meta a simplement répondu en citant ses conditions d’utilisation, et en rappelant que « les annonces ne peuvent pas promouvoir les plateformes d’échange de crypto-monnaies, les logiciels et les services et produits connexes qui permettent la monétisation, la revente, l’échange ou la mise en jeu de crypto-monnaies sans autorisation écrite préalable. » L’entreprise a également rappelé que « le contenu qui tente de tromper, de mentir intentionnellement ou d’exploiter de quelque manière que ce soit les autres pour obtenir de l’argent ou des biens » était systématiquement supprimé.
Numerama a pu voir que cela n’était pas toujours le cas. Interrogée plus spécifiquement sur les mesures prises contre cette campagne publicitaire frauduleuse, Meta n’a pas répondu. Au moment de publier cet article, la campagne était toujours active. Elle a même commencé à toucher d’autres personnalités : Numerama a retrouvé exactement les mêmes publicités utilisant l’image de Virginie Efira.
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