Cela a été indiqué à plusieurs reprises dans nos colonnes. L’Espagne fait figure d’exception sur la scène internationale en matière de pénalisation du piratage. Depuis plusieurs années maintenant, le pays a établi une jurisprudence particulièrement protectrice envers les internautes et les opérateurs de sites de liens, à la faveur des nombreux procès intentés par les ayants droit.
Les premiers signes sont apparus dès 2006, lorsqu’une juge a considéré que le partage non-marchand sur les réseaux peer-to-peer était licite, évitant ainsi aux internautes les foudres de l’industrie du divertissement. Celle-ci avait d’ailleurs noté dans ses attendus que le partage via ces réseaux était désormais une « pratique socialement admise » et « un comportement largement pratiqué où le but n’est pas de s’enrichir illégalement mais d’obtenir des copies privées« .
Par la suite, la protection s’est étendue aux sites de liens de façon plus générale, comme l’ont montré certains procès en 2008 et en 2010. Dans cette dernière affaire, le juge avait d’ailleurs expliqué que « le système de liens hypertextes constitue la base même d’Internet. Une multitude de pages et de moteurs de recherche (comme Google) permettent techniquement de faire ce que la plainte veut interdire : trouver des liens vers les réseaux P2P« .
Pour autant, cela ne signifie pas que la justice espagnole ferme systématiquement les yeux face au piratage. En effet, si la législation espagnole ne condamne pas les échanges non-lucratifs, elle reste néanmoins vigilante devant les tentatives de certains de s’enrichir au prétexte de partage et de diffusion de la culture.
C’est donc dans ce contexte particulièrement favorable, confirmé encore récemment par un nouveau procès remporté par un site de liens, qu’OpenBitTorrent a décidé de migrer en Espagne pour ne plus subir les assauts des ayants droit. Comme nous l’avions expliqué alors, le site web répond largement aux critères de la législation espagnole pour se préserver.
En effet, OpenBitTorrent est un système ouvert et décentralisé dans lequel aucun contenu n’est hébergé. Comme l’ont expliqué les responsables du site, ce n’est même pas un site BitTorrent classique, puisque OpenBitTorrent ne fait finalement office que de tracker. Impossible, dans ces conditions, de savoir exactement les contenus échangés.
En définitive, OpenBitTorrent a un rôle particulièrement limité dans le processus de téléchargement. Sa seule mission est de simplifier l’interconnexion des différents clients entre eux en prenant comme critère la valeur de l’empreinte (hash) du fichier. Fichier que ne connait pas OpenBitTorrent.
°videmment, cela n’a pas empêché les ayants droit de chercher à contrer OpenBitTorrent, malgré une configuration a priori à l’avantage des responsables du projet (pas de fichiers hébergés, pas d’implication dans le processus de téléchargement, pas la possibilité de savoir qui échange quoi…). C’est ainsi que Hollywood s’était attaqué à l’hébergeur suédois d’OpenBitTorrent, avant que ce dernier ne migre il y a quelques jours en Espagne.
À l’époque, l’avocate Monique Wadsted avait justifié l’action des studios de cinéma ainsi : « OpenBitTorrent est utilisé pour le partage de fichiers, et nous suspectons qu’il s’agit là du tracker de The Pirate Bay, sous un nouveau nom. En effet, OpenBitTorrent est ajouté par défaut à tous les fichiers proposés sur The Pirate Bay« . Et d’asséner que le nom de domaine du projet avait déposé par Fredrik Neij, l’une des personnalités-clés de The Pirate Bay.
Devant l’impossibilité d’opérer convenablement sans être menacé par les ayants droit, OpenBitTorrent a donc jeté son dévolu sur l’Espagne pour continuer à interconnecter les utilisateurs. Sans doute le site espérait-il dissuader les ayants droit de venir se frotter à la législation espagnole. C’était sans compter la détermination des détenteurs de droits.
En effet, Torrentfreak nous apprend que l’IFPI a tout de même décidé d’avertir le nouvel hébergeur d’OpenBitTorrent, SoloGigabit, en expliquant que ce site web facilite l’infraction au droit d’auteur puisque les utilisateurs de The Pirate Bay peuvent utiliser ce tracker pour s’échanger des fichiers.
« Le tracker joue une fonction-clé pour le partage de fichiers fourni par The Pirate Bay » note l’IFPI, en rappelant que « The Pirate Bay a été jugé illégal dans de nombreux autres pays« . Des propos qui font directement référence au procès perdu par les administrateurs de The Pirate Bay en Suède, face aux ayants droit.
« Le tracker OpenBitTorrent n’héberge pas lui-même de contenus protégés par le droit d’auteur, mais permet l’infraction de fichiers musicaux et d’autres contenus en jouant un rôle dans le service fourni par The Pirate Bay. Et ces fichiers sont mis à disposition des utilisateurs d’OpenBitTorrent et de The Pirate Bay » a poursuivi l’IFPI.
Cette pression, SoloGigabit n’est pas prêt à la supporter. Selon nos confrères, l’hébergeur aurait indiqué aux responsables d’OpenBitTorrent de rechercher dès à présent un nouvel hébergeur espagnol, ou d’une autre nationalité, avant fin juillet. Le recul de SoloGigabit peut se comprendre. Malgré une jurisprudence très nettement favorable, l’hébergeur n’a sans doute ni le temps, ni les moyens, ni même l’envie de se confronter à une organisation telle que l’IFPI.
Mais quel que soit la décision de SoloGigabit, OpenBitTorrent reste déterminé à continuer son activité. Que ce soit en Espagne ou ailleurs.
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