En 1998, les États-Unis ajoutaient dans leur corpus législatif la très décriée loi DMCA, pour Digital Millennium Copyright Act. Comme son nom le laisse transparaitre, son objectif était d’adapter le cadre de la loi concernant la propriété intellectuelle afin de répondre aux nouveaux enjeux et défis portés par l’avènement du numérique dans la société américaine.
L’une des grandes dispositions de ce texte visait à interdire strictement le contournement des mesures techniques de protection (MTP, ou DRM en anglais) afin d’éviter de soustraire certains contenus (notamment culturels) au contrôle des ayants droit. C’était du moins la position des promoteurs de cette loi, qui estimaient que le cassage des DRM était le signe manifeste d’une tentative de piratage. Il fallait donc condamner et marginaliser cette pratique au plus vite.
En France, la loi DADVSI – transposition de la directive européenne EUCD – présente la même logique face au contournement des mesures techniques de protection : il est interdit de contourner de pareils dispositifs ou de posséder ou d’utiliser des moyens techniques prévus pour un tel contournement. Cela étant, la loi DADVSI n’a jamais été complétée jusqu’à présent et aucune condamnation en lien avec cette loi n’a eu lieu.
Les plus attentifs d’entre vous auront à coeur de souligner par la même occasion que le Conseil d’Etat avait porté un léger coup de canif à la mécanique de cette loi, en rétablissant le contournement des mesures techniques de protection à des fins d’interopérabilité. Cette victoire fut saluée par l’APRIL en son temps, puisque elle assurait un cadre juridique plus souple pour les « auteurs, distributeurs et utilisateurs de logiciels libres« .
Ainsi donc, les ayants droit étaient parvenus pendant un temps à interdire des deux côtés de l’Atlantique le droit de contourner une protection à des fins de copie privée ou d’interopérabilité. Et si la France avait introduit une certaine souplesse grâce à la décision du Conseil d’Etat, il était bien naturel de se demander si les USA allaient finir par emprunter le même chemin.
C’est chose faite. Le bureau américain de la propriété intellectuelle, rattaché à la bibliothèque du Congrès, a rajouté une exception à la loi afin d’autoriser le contournement des mesures techniques de protection dans certains cas bien précis. « Alors qu’un titulaire de droits pourrait chercher à restreindre les programmes pouvant être exécutés sur un système d’exploitation particulier, les lois de propriété intellectuelle ne sont pas le vecteur pour imposer de pareilles restrictions » est-il rapporté (p. 96) dans le document relayé par Wired.
À l’origine de ce retournement de situation, nous retrouvons l’action menée par l’Electronic Frontier Foundation (EFF), une organisation non-gouvernementale américaine. Très au fait de ces problématiques, elle savait que le bureau américain de la propriété intellectuelle se penchait tous les trois ans sur d’éventuelles exceptions à intégrer au DMCA. l’EFF avait donc tout intérêt à se préparer pour cette échéance. Et parmi les exceptions nouvellement intégrées, nous retrouvons le fameux jailbreaking, une activité que certains possesseurs d’iPhone connaissent bien.
Concrètement, le jailbreak est un « déplombage » de téléphone. En clair, c’est un processus visant à casser les restrictions éventuellement intégrées dans un téléphone, afin de limiter certains usages par exemple, ou pour tout simplement empêcher des applications indésirables (bien souvent du point de vue du constructeur) d’être installées sur un smartphone.
Dans ce domaine, le cas le plus célèbre est bien évidemment l’iPhone d’Apple. En effet, depuis le lancement de son tout premier téléphone en 2007, la firme américaine a souhaité maitriser toute la chaine verticale du mobile, depuis l’App Store (une boutique en ligne regroupant les applications validées par l’entreprise) jusqu’au mobile de l’utilisateur. Ainsi, la firme peut avoir un contrôle non-négligeable sur ses mobinautes.
Pour la firme de Cupertino, l’interdiction de contourner des DRM était pourtant une « restriction positive ». En effet, elle estimait que le jailbreak de ses téléphones pouvait compromettre la sécurité d’un iPhone et l’intégrité des données présentes à l’intérieur. « Cela peut annuler la garantie et rendre le téléphone instable et peu fiable » avait réagi une porte-parole à l’issue de cet évènement.
Apple changera-t-il pour autant de stratégie ? Rien n’est moins sûr, la firme ayant d’ailleurs laissé entendre qu’elle ne comptait pas changer sa politique dans ce domaine. On devrait donc continuer à voir des mises à jour plus ou moins importantes intégrant à chaque fois des contre-mesures pour tenter de colmater les failles exploitées par les bidouilleurs en tout genre.
Grâce à une intégration verticale et un verrouillage minutieux de son environnement, Apple a pu construire un modèle économique qui, s’il est critiqué, n’en demeure pas moins fonctionnel et performant. Ce contrôle a d’ailleurs causé quelques frictions avec la concurrence ou les utilisateurs, au point que les autorités de régulations américaines ont décidé de s’intéresser davantage aux choix d’Apple.
Mais pour les régulateurs, poussé par l’argumentaire de l’EFF, cette décision va au-delà du seul intérêt d’Apple. Car en effet, cette exception vise l’ensemble des téléphones portables présents sur le marché ou à venir. Car l’un des points avancés par l’ONG était la question de l’interopérabilité entre appareils.
Mais il va sans dire que si le jailbreaking est autorisé, toutes les actions en découlant ne le sont pas pour autant. Ainsi, des infractions au droit d’auteur, via un jailbreak, resteront évidemment condamnées par le législateur américain, tout comme d’éventuelles tentatives de nuisance.
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