La confrontation qui se met en place entre Elon Musk et OpenAI n’est pas qu’un conflit judiciaire en devenir. C’est aussi une bataille de communication. En la matière, il faut reconnaître à Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, un certain sens de la répartie. Le 1ᵉʳ mars dernier, il exhumait un vieux tweet d’Elon Musk, datant de 2019, pour lui glisser un tacle subtil, en révélant son changement d’attitude.
Pourquoi remonter un message aussi ancien du milliardaire américain ? Parce que celui-ci a décidé de porter plainte contre OpenAI fin février. Essentiellement, le motif de l’action repose sur le changement de philosophie dans la manière dont OpenAI s’organise. Initialement, cette structure — fondée en 2015 par Sam Altman et Elon Musk — était une association à but non lucratif. Aujourd’hui, elle gagne de l’argent.
Dans les années qui ont suivi, les liens entre Elon Musk et OpenAI se sont distendus. En 2018, le milliardaire a quitté le conseil d’administration. Et les années suivantes, il a régulièrement taclé son ancienne création, en affichant son désaccord avec les orientations de la direction. La mise en place d’une structure à but lucratif en 2019 et le rapprochement avec Microsoft la même année (et qui a continué depuis) ont creusé ce fossé.
Si Elon Musk clame que ChatGPT (le produit principal d’OpenAI) n’existerait pas sans lui, et que certaines orientations du chatbot sont dangereuses, les tensions étaient restées sous un certain seuil. Avec la plainte déposée par Elon Musk, ces frictions changent d’échelle. Au passage, elle illustre aussi que l’entrepreneur n’a pas réussi à tourner la page. Mais cette fois, OpenAI entend réagir, en contrant le narratif d’Elon Musk.
OpenAI dévoile des mails d’Elon Musk
Le 5 mars, OpenAI a pris la parole dans une publication intitulée OpenAI et Elon Musk. C’est la première fois que la société mentionne sur son site le nom de son fondateur dans sa communication, depuis son départ en 2018. Et à l’image de l’intervention de Sam Altman au début du mois, OpenAI n’entend pas réserver ses réponses qu’à l’institution judiciaire. Le groupe entend prendre le public à témoin.
Pour soutenir son argumentaire, OpenAI — incarné ici par cinq des fondateurs (Sam Altman, Greg Brockman, Ilya Sutskever, John Schulman et Wojciech Zaremba) — a publié des échanges de mail. Précisément, ce sont quatre courriers envoyés par Elon Musk aux autres fondateurs, entre novembre 2015 et décembre 2018. Des mails censés montrer l’avis réel de celui qui est maintenant la partie adverse.
Principal point saillant qui ressort de ces extraits : la position d’Elon Musk sur la nécessité de faire évoluer la structure de l’entreprise. Il apparait dans les courriels que l’entrepreneur américain a approuvé l’idée d’une entité à but lucratif, pour générer des financements. À l’époque, les fondateurs admettaient que l’ambition de concevoir une IA aussi générale que possible nécessitait d’être soutenue par des ressources importantes.
Ces réflexions se sont structurées fin 2017 — quelques mois avant le départ d’Elon Musk.
Or, cette transition vers l’entité à but lucratif aurait dû se faire en échange de plusieurs concessions au profit du milliardaire : une participation majoritaire, le contrôle du conseil d’administration et le poste de PDG. Pour mettre la pression sur ces négociations, le financement d’OpenAI a été interrompu par Elon Musk. Un tiers, Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, a alors pris en charge les salaires et les frais de fonctionnement.
« Nous n’avons pas pu nous mettre d’accord avec Elon sur les termes d’une société à but lucratif parce que nous pensions qu’il était contraire à la mission qu’un individu ait un contrôle absolu sur OpenAI. Il a alors suggéré de fusionner OpenAI avec Tesla », poursuivent les cinq fondateurs. Il écrivait alors que « Tesla est la seule voie qui puisse espérer tenir la dragée haute à Google. »
À l’époque, le patron du constructeur automobile était déjà préoccupé par la montée en puissance de la firme de Mountain View dans l’IA : le rachat de la startup DeepMind (qui avait fait sensation avec AlphaGo), ses filiales Brain, Research et Cloud, des technologies comme TensorFlow et ses puces taillées pour booster l’entraînement de l’IA (Tensor Processing Unit), ou bien son influence dans la recherche.
Pourtant, même dans un scénario où OpenAI se fait absorber par Tesla, Elon Musk était circonspect sur les chances de vaincre : « La probabilité d’être un contrepoids à Google est faible. Mais elle n’est pas nulle. » Au passage, cette idée d’intégration d’OpenAI dans Tesla donne un nouveau sens aux remarques récurrentes de l’intéressé qui décrit Tesla comme une société qui n’est pas qu’un fabricant d’automobiles.
Elon Musk ne croyait pas en OpenAI face à Google
Cependant, là encore, cette piste n’a pas abouti. Résultat, Elon Musk a fini par quitter le navire, non sans affirmer que les chances de succès d’OpenAI étaient de zéro, parce que ses recommandations n’étaient pas reprises par ses anciens partenaires. Faute de pouvoir maîtriser OpenAI, le milliardaire a décidé de construire son propre outil, qu’il contrôlera pleinement. C’est ce qui donnera Grok quelques années plus tard
« Mon évaluation de la probabilité qu’OpenAI soit pertinente pour DeepMind et Google sans un changement dramatique dans l’exécution et les ressources est de 0 %. Pas 1 %. J’aimerais qu’il en soit autrement », écrivait-il dans un mail fin 2018. « Même la collecte de plusieurs centaines de millions ne suffira pas. Il faut des milliards par an immédiatement, sinon on oublie. »
Le reste du courrier est censuré. Des passages cachés aux yeux du public, qui risquent de laisser place à bien des fantasmes. En effet, une phrase d’Elon Musk suggère la présence d’un potentiel rival de nature systémique, dont le nom est caché : « Malheureusement, l’avenir de l’humanité est entre les mains de… . » Et il ajoute plus loin « qu’ils font bien plus que cela », tout en espérant « se tromper. »
S’agit-t-il de Google ? D’un autre géant de la tech, comme Microsoft ? Ou bien l’entrepreneur pense-t-il à la Chine ? Les spéculations vont aller bon train. Le conflit judiciaire qui se profile à l’horizon pourrait être l’occasion de lever le voile sur ce mystère. Par la même occasion, peut-être permettra-t-il aussi d’en finir une fois pour toutes avec ce divorce Elon Musk / OpenAI qui ne semble pas tout à fait soldé.
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