Qui veut la paix, doit pouvoir se battre dans tous les champs de conflictualité émergents (cyber, espace, fonds marins…). Mais aussi tirer parti des ruptures technologiques qui se dessinent. Il vaut mieux ne pas rater le coche, car les innovations pleuvent : drones, robots, IA, furtivité, hypervélocité, ou bien calcul quantique. Malheur aux retardataires.
C’est dans ce cadre que la Direction générale de l’Armement (DGA), dont le rôle est de préparer les futurs systèmes de défense du pays, a annoncé le 7 mars des accords-cadres auprès de cinq sociétés françaises — Alice & Bob, C12, Pasqal, Quandela et Quobly. Leur mission ? Développer des prototypes d’ordinateurs quantiques universels.
Ce programme doit « permettre le développement des technologies les plus prometteuses, depuis des prototypes de laboratoire, jusqu’à des solutions de calcul quantique à large échelle utilisables pour les besoins de la Défense », fait savoir la DGA. Au fil des ans, un écrémage aura lieu, afin de se focaliser sur les meilleures solutions.
Sur le papier, un ordinateur quantique « universel » est censé pouvoir faire les mêmes calculs qu’un PC classique, mais bien plus efficacement. C’est en réalité vrai pour certaines opérations, qui mobiliseront des algorithmes bien précis et conçus spécifiquement pour le quantique. Des calculs qui sont ainsi infaisables aujourd’hui, car trop longs, deviendraient possibles.
Un exemple ? Il faudrait des milliers de milliards d’années pour factoriser des nombres ayant quelques centaines de chiffres, y compris pour un super ordinateur. Mais avec un ordinateur quantique, même de taille modeste, cela ne prendrait que quelques heures. Cela serait un changement de paradigme profond, par exemple dans les communicaitons.
Impossible aujourd’hui de savoir qui de ces cinq startups se détachera de ce projet, baptisé PROQCIMA. Mais toutes savent les échéances décisives qui les attendent. D’ici à 2028, elles ne seront plus que trois. Puis en 2032, les deux plus performantes seront retenues. Deux prototypes de calculateurs devront alors être proposés.
En 2032, la marche à atteindre sera une machine capable de traiter 128 qubits logiques. Ces qubits logiques sont à distinguer des qubits physiques. Pour un ordinateur quantique, la quantité de qubits physiques pour donner un qubit logique est estimée de 5 à 48, rappelait le docteur en informatique de l’Inria Razvan Barbulescu, en 2022.
« Les ordinateurs quantiques sont sensibles aux moindres perturbations des champs électromagnétiques », notait-il dans un article sur les profonds changements à attendre de cette percée technologique. Ainsi, « pour éviter les erreurs de calcul, des qubits ‘sans erreur’ sont réalisés à l’aide de ‘codes correcteurs quantiques’. » Ce sont les qubits logiques.
La différence entre bit, qubit, qubit logique et qubit physique
Le qubit est l’unité de base des ordinateurs quantiques (c’est la contraction de quantique — ou quantum — et bit). C’est le pendant du bit pour un PC classique. Si le bit peut prendre deux états séparément (0 ou 1, c’est-à-dire la base du système binaire), le qubit a la particularité de pouvoir les avoir simultanément. On parle alors d’état « superposé ».
Ce premier horizon à dix ans du programme PROQCIMA doit permettre de déboucher un terme sur des « produits industriels utilisables par leurs premiers clients. » Ces machines devront alors non pas fonctionner sur 128 qubits logiques, mais seize fois plus. La DGA fixe un objectif à 2048 qubits logiques après l’horizon 2030.
2048 qubits logiques constituent déjà un premier jalon notable. À l’époque, Razvan Barbulescu faisait remarquer que le record d’alors était 127 qubits pour l’ordinateur Eagle, construit par IBM. C’est si faible, ajoutait-il, que l’on parle plus d’une « preuve de concept » que d’un PC quantique fonctionnel. Le cap est estimé à 10 000 qubits.
« Dans le scénario le plus optimiste, celui d’un doublement du nombre de qubits tous les ans, les premiers calculs quantiques […] qui se comparent aux calculs classiques seront possibles au plus tôt dans dix ans », notait le spécialiste. Une prévision qui s’approche du calendrier fixé par la DGA dans le cadre de son programme.
Permettre à la France « de tenir son rang »
PROQCIMA traduit en tout cas « de manière concrète les engagements pris par le président de la République en matière de stratégie nationale quantique », pointe la Direction générale de l’Armement. Début 2021, Emmanuel Macron avait, en effet, dévoilé un plan quantique, avec 1,8 milliard d’euros pour les cinq ans à venir.
« Le quantique revêt une importance majeure pour les Armées », continue la DGA, et cette révolution est susceptible de changer la guerre. Dans les communications et la cryptographie en particulier, des bouleversements sont à attendre — mais des parades émergent, comme la cryptographie post-quantique.
Cette nouvelle donne est prise en compte dans la loi de programmation militaire 2024-2030. « Pour maintenir la supériorité opérationnelle de nos armées, une transformation doit être entreprise pour anticiper les sauts technologiques et les usages associés », rappelait d’ailleurs un rapport du Parlement citant cette architecture informatique.
En particulier, il était demandé à l’Etat « une vigilance particulière » et un investissement dans la recherche quantique, « afin de développer et de protéger des filières souveraines. » Cela, pour permettre à la France « de tenir son rang au sein des nations capables de s’adapter aux défis liés aux champs nouveaux. »
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