Prédire l’imprévisible. L’humanité a de tout temps nourri cette fascination pour le pouvoir de repousser l’inconnu. Une ambition légitime face aux incessantes crises sanitaires, politiques, humanitaires. Un progrès rendu accessible par l’étude des systèmes complexes, des cellules jusqu’aux sociétés, en passant naturellement par les marchés boursiers. Le géophysicien français, Didier Sornette, s’est d’ailleurs bâti une réputation internationale au travers de ses modèles de prédiction de l’instabilité financière.
Dans son ouvrage de référence (dont on pourrait traduire librement le titre par « Pourquoi les bourses se crashent »), le scientifique a développé une théorie capable de prévoir des années à l’avance un effondrement économique. Usant de techniques de modélisation physique et statistique, son analyse remonte à ce qu’il considère être la racine du mal : l’apparition d’une bulle spéculative.
Il s’agit d’un phénomène d’ascension fulgurante des prix sur les marchés, déconnectée des réalités, mais alimentée par des spéculateurs qui en viennent à baser leurs comportements sur la seule imitation des autres investisseurs. Par exemple, si votre beau-frère Jean-Marc et votre collègue Corine misent en ce moment sur la tonne de cacao, ce serait dérangeant de les laisser s’enrichir seuls.
Ce mimétisme crée une spirale haussière, un intenable gonflement des cours boursiers, jusqu’à l’inévitable éclatement de la bulle. Avec pertes et fracas pour principales conséquences. L’éclatement de la « bulle des .com » il y a vingt-deux ans avait plongé les États-Unis en récession.
Fort de ses mesures et projections sophistiquées au départ des bulles spéculatives, Didier Sornette est parvenu à anticiper la « fin de l’ère de la croissance » qui se produirait aux alentours de 2050.
Bitcoin, « la mère de toutes les bulles »
À l’heure d’écrire ces lignes, la plus (im)populaire de toutes les cryptomonnaies voit son prix évoluer au-dessus du cap symbolique des 70 000 $ (soit 65 500 euros l’unité). Le bitcoin emmène ainsi un marché des actifs numériques qui pèse actuellement plus de 2 600 milliards de dollars.
Des montants qui ne cachent rien d’autres qu’un « phénomène spéculatif et une bulle », a dernièrement affirmé la journaliste autrice de No Crypto, Nastasia Hadjadji, à Numerama. Le baromètre du sentiment du marché crypto, l’indice Fear & Greed, pointe à ce propos en zone « d’extrême cupidité ». Autrement dit, les probabilités d’une correction, une baisse brutale des prix, augmentent fortement.
À chaque fois que le cours du BTC s’en retourne tutoyer les cieux, des inquiétudes vertigineuses s’expriment spontanément dans les sphères d’information et de décisions politiques. Lors de l’emballement crypto de 2017, le commissaire européen à la Stabilité financière de l’époque s’était alarmé « des risques évidents pour les investisseurs et les consommateurs associés à la volatilité du cours — y compris une perte complète de la mise de départ, une défaillance opérationnelle et de sécurité, une manipulation du marché et des lacunes en matière de responsabilité ».
La Commission européenne reprenait alors à son compte sans autre forme d’analyse des craintes déjà exprimées par des autorités de régulation et des grandes banques.
Habituée à la vindicte depuis son émergence, accusée de toutes les afflictions ou presque, la blockchain Bitcoin avait notamment été taxée de « mère de toutes les bulles » en 2021 par la célèbre enseigne financière Bank Of America.
D’avis de nombreux détracteurs, les séismes à répétition subis par la planète crypto en 2022 ont soutenu l’hypothèse d’une bulle spéculative qui venait d’éclater.
Faire parler les data de la blockchain publique
Fait notable, la littérature scientifique n’a pas encore tranché le débat autour de la Bitcoin Bubble. « Il est extrêmement inhabituel pour une bulle d’exploser, puis de retrouver de nouveaux sommets aussi rapidement », soulignait au début du mois le président de Rockfeller International, Ruchir Sharma, dans une tribune du Financial Times. « Cela suggère qu’il se passe quelque chose de réel et de durable ». Reste à savoir ce qu’il se trame exactement, entre nouvel or numérique, investissement à long terme et monnaie d’échange de l’économie digitale. Et jusque quand le BTC va perdurer.
Voilà planté le décor dans lequel Klaus Grobys s’adonne à ce qui pourrait ressembler à de la voyance ou de la numérologie pour deviner le futur du bitcoin. Mais bien loin des pseudo-sciences, ce docteur en finance de l’Université de Vaasa, en Finlande, s’est inspiré des travaux de Didier Sornette pour bâtir un modèle de prédiction mathématique.
Désireux de faire parler les données du réseau Bitcoin, le professeur finlandais a injecté douze années de statistiques descriptives, soit un échantillon de 4 634 mesures quotidiennes (les changements relatifs de la valeur de l’actif, appelés rendements logarithmiques pour les intimes de la recherche universitaire).
L’heure précise d’un crash financier et son déclencheur demeurent imprévisibles. Mais Klaus Grobys a notamment adapté des modèles de diagnostic des bulles et des krachs du bitcoin pour prédire l’explosivité des prix de la cryptomonnaie. En vue de déterminer une relation mathématique entre les variables susceptibles et ainsi prévoir la date d’un effondrement.
À l’instar d’un électro-encéphalogramme dont le tracé serait plat, les résultats de l’étude de Klaus Grobys à paraître dans la revue Financial Research Letters suggèrent que les prix du BTC atteindront un niveau proche de zéro aux alentours de février 2045.
La « mort cérébrale » du BTC désormais planifiée ?
Compte tenu de cette valeur nulle à venir, « les investisseurs qui souhaitent utiliser le bitcoin comme un investissement à long terme peuvent être confrontés à une tromperie », estime l’auteur. Cet anéantissement coïncide avec l’horizon de temps du scénario-catastrophe de Didier Sornette établi pour les bourses américaines.
Surtout, les résultats de Grobys dévalorisent l’idée selon laquelle la demande pourrait être motivée par des attentes concernant l’utilité future du bitcoin en tant que moyen d’échange. Au contraire, « nous soutenons que cette décadence dans un avenir lointain corrobore la littérature scientifique qui montre que la demande de bitcoins résulte de la spéculation », insiste le docteur en finance de l’Université de Vaasa.
Basée cette fois sur les sciences dites exactes, cette fin annoncée du bitcoin vient rafraîchir une longue tradition de menaces de mort plus ou moins fondées (on en dénombre près de 500 rien qu’en anglais). Mais cela demeure une approche déductive. Aussi étayée soit l’hypothèse chiffrée, les conséquences déduites et observables dans un futur proche ne constituent pas de preuve indiscutable.
Les résultats de l’étude prédisent d’ailleurs une autre zone de turbulences aux alentours de mars… 2129. « En tenant compte des incertitudes, nous ne pouvons pas rejeter l’hypothèse selon laquelle l’arrivée de cette perturbation coïncide avec le moment où le dernier bitcoin sera miné, c’est-à-dire d’ici 2140 », concède Klaus Grobys.
À ce moment-là, les récompenses en BTC laisseront leur place à des frais de participation au réseau. Si les revenus ne couvrent plus les coûts, les mineurs ne seront plus incités à concéder des efforts pour maintenir la blockchain. Une situation dans laquelle certains savants s’attendent à ce que « le bitcoin fasse faillite ». Définitivement. Jusqu’à preuve du contraire, bien sûr.
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