Yann Le Cun a une recommandation pour la communauté scientifique : « il faut arrêter avec l’IA générative. »
Le chercheur français, aujourd’hui devenu pilier du groupe Meta dans le domaine de l’intelligence artificielle, s’illustre depuis plusieurs mois par ses appels à la raison, qui prônent le calme dans un milieu où tout va vite. « L’apprentissage automatique est nul par rapport aux humains et aux animaux », argue-t-il d’ailleurs.
De passage à Paris à l’occasion du Meta AI Innovation Day (avec Joëlle Pineau, la vice-présidente de la recherche en intelligence artificielle chez Meta), Yann Le Cun a présenté sa vision d’un futur qu’il estime possible, mais encore très imprévisible. Numerama est allé à sa rencontre.
Les intelligences artificielles sont bêtes
Dans la Silicon Valley, l’intelligence artificielle générative est sur toutes les lèvres. Tout le monde la présente comme une révolution sociétale… sauf une personne. Depuis l’avènement de ChatGPT fin 2022, Yann Le Cun fait régulièrement parler de lui pour ses interventions à contre-courant. Le scientifique français multiplie les tweets qui vont à l’opposée des pensées les plus populaires, n’hésite pas à corriger publiquement Elon Musk et aide le grand public à comprendre les enjeux de l’IA.
Une des grandes positions de Yann Le Cun est que l’intelligence artificielle générale (AGI), que l’on décrit comme aussi douée que le cerveau humain, est impossible. Lui préfère parler d’AMI (Advanced Machine Intelligence), tout en indiquant que la technologie actuelle est loin d’être intelligente. La preuve : « elles ne peuvent pas penser. »
Pour le prouver, Yann Le Cun s’est penché sur le processus de création d’une IA générative, dans le modèle actuel du processus autorégressif (autoregressive suggestion).
Pour faire simple, des scientifiques donnent à un ordinateur du texte « corrompu », auquel ils retirent des mots. L’IA doit le recomposer, en se fondant sur les milliards de documents qu’elle a pu consulter au préalable. « Ce n’est pas de la logique », relève Yann Le Cun, puisqu’un modèle de langage n’a aucune compréhension du monde qui l’entoure. Il se contente de générer le mot d’après, terme par terme. Ces modèles ignorent aussi comment utiliser des outils, ce qui rend toute tâche mathématique complexe impossible. Le fonctionnement est le même pour un générateur de vidéos, avec des séquences manquantes à recomposer.
Autre exemple de Yann Le Cun : à 10 ans, un enfant devient apte à dresser une table en imitant ses parents. Un robot, lui, n’en sera jamais capable de lui-même. « Ils ne sont pas si intelligents », continue Yann Le Cun, qui voit vraiment en l’incapacité pour une IA de comprendre des choses essentielles, comme la gravité ou les distances, un point faible fondamental.
Durant sa présentation, Yann Le Cun a aussi fait une drôle de comparaison entre le cerveau d’un enfant et un modèle de langage de taille standard.
Selon lui, il faudrait 170 000 ans à un humain pour apprendre tous les tokens d’un grand modèle de langage (LLM). Pourtant, avec deux millions de fibres nerveuses optiques qui transfèrent l’équivalent de 10 bytes par seconde, un cerveau humain enregistre 50 fois plus de données qu’un LLM en 4 ans. Sa conclusion ? « L’IA générative est 50 fois moins intelligente qu’un enfant de 4 ans », puisqu’elle ne raisonne pas.
L’émergence d’un nouveau type d’intelligence artificielle
A-t-on tort d’être impressionné par ChatGPT ? Pas forcément, puisque ces outils peuvent être très bons dans ce qu’ils font, pour prendre en charge des tâches de faible niveau, mais pénibles ou chronophages, ou peu cérébrales (comme ordonner une liste contenant de nombreux items). Ce que dit Yann Le Cun, c’est que « la peur » de les voir surpasser l’être humain est erronée, du moins en 2024, et pour un horizon proche.
Pour le Français, l’avenir de l’IA est l’« Objective-Driven AI Architecture » (l’architecture d’IA axée sur les objectifs). Il ne s’agirait plus d’un modèle régressif, avec un mot prédit à la fois, mais d’un modèle planificateur, qui peut anticiper des choses. Il avait déjà évoqué cette piste il y a plusieurs mois, lors des rumeurs sur Q Star, le modèle secret d’OpenAI que certains imaginaient rivaliser avec le cerveau.
Avec un modèle planificateur, l’intelligence artificielle basculerait dans une nouvelle ère. Elle pourrait comprendre le monde, disposer d’une mémoire persistante, planifier des actions en avance avant de générer du contenu, se poser des questions (est-ce que je fais bien ? Est-ce dangereux ?) et réfléchir aux conséquences de ses actes. Le problème est, qu’actuellement, « nous n’avons aucune idée de comment faire », admet Yann Le Cun.
Selon certains chercheurs, l’IA planificatrice pourrait arriver dans quelques mois ou années. Yann Le Cun, lui, est moins optimiste. « C’est une petite communauté. Tout le monde travaille sur la même chose », indique-t-il à Numerama.
Autrement dit, si quelqu’un avait percé le mystère, l’information aurait fuité. Il imagine éventuellement une percée dans les 10 ans, mais sans certitude que ce sera possible. « La chose la plus populaire du moment est l’IA générative, mais je vous dis que le monde devrait passer à autre chose », ironise-t-il.
Et le fameux Q Star, qu’OpenAI n’a toujours pas dévoilé ? Yann Le Cun regrette qu’« OpenAI se soit fermé comme des huitres depuis le partenariat avec Microsoft ». Il indique avoir la certitude que l’entreprise de Sam Altman ou DeepMind (une division de Google spécialisée dans l’IA, comme Brain) travaillent sur le sujet, mais ignore où ils en sont : « Q Star, on ne sait pas ce que c’est, mais ils travaillent sur de la planification. »
Meta, dont le poids dans l’IA est relativement méconnu du grand public, va-t-il pouvoir réussir à apporter l’intelligence artificielle à des milliards de personnes ? Peut-être, mais ce n’est pas le rôle de Yann Le Cun, qui n’a aucune fonction dirigeante aujourd’hui. « Je donne juste des idées aux gens » s’amuse-t-il.
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