Alors que le débat sur le P2P est brûlant, je me permets de faire une analogie risquée avec un autre type de combat. En effet, ce matin, les haut-parleurs de ma station de métro m’annoncèrent une grève sur la ligne C du RER (pas la mienne ! yesss). Par une connexion neuronale dont le mécanisme m’échappe, je fis un rapprochement avec l’annonce parue hier sur la suppression de 2300 postes de guichetiers SNCF, ceux-ci étant en effet de moins en moins sollicités suite au développement du site voyage-sncf.com grâce auquel il est possible de commander et recevoir un billet de chez soi. Par une seconde connexion neuronale, encore moins explicable et beaucoup plus perverse, je rapprochais ces faits du sujet sur lequel j’ai la chance de passer une partie de mes journée : le P2P. Balaise le mec nan ? Nan ? Bon d’accord… Mais laissez moi tenter de m’expliquer.
Les guichetiers de la SNCF, qu’on peut imaginer mécontent de voir leur poste supprimé (mais après vérification ce n’est pas la cause de la grève de ce matin sur la ligne C… Peut-être de demain ?), tentent de se défendre bec et ongle, avec leurs moyens (la grève). Leur travail est en effet mis en péril par la technologie des réseaux. Internet permet de les remplacer partiellement (j’insiste sur ce partiellement : les guichetiers restent nécessaires). Une bonne base de données, un serveur solide, quelques ninformaticiens chevronnés, un chouilla de marketing, et une énorme demande, font de voyage-sncf.com une » killer ap » du web.
Les guichetiers ne sont pas les seuls à » souffrir » de la technologie des réseaux. Les vendeurs de CD morflent particulièrement. Le réseau permet en effet de supplanter bien des défauts de la galette de polymère. Portabilité poussée, taille réduite des lecteurs, manipulation simple, gain de place (j’aime bien les étagères à CD IKEA gavées que j’ai dans mon salon, elles s’accommodent bien avec ma table Conformama, mais je préfère le disque dur de mon ordinateur portable, moins décoratif mais moins encombrant).
L’analogie est intéressante aussi lorsqu’on compare les moyens de défense employés pour faire face à cette évolution pourtant irrémédiable de la société vers les déclinaisons possibles d’emploi du Réseau. Mouvement social, manifestation d’un côté. Poursuite des utilisateurs du réseau de l’autre. Heureusement que je ne suis pas poursuivi par un guichetier licencié pour avoir utiliser le site voyages-sncf lorsque j’ai commandé mes derniers billets de trains… Celui-ci peut en effet difficilement se le permettre, voyages-sncf étant légal, licite. Il a apporté un vrai plus, a permis aux gens utilisateurs d’Internet de modifier du tout au tout leur comportement.
La SNCF a admirablement anticipé le potentiel du réseau. Un comportement qu’on peut féliciter (je réserve aujourd’hui tous mes billets sur leur site), diamétralement opposé à celui de l’industrie du disque… On pourra certes me répondre que ce n’est pas la même chose qui est vendue. Oui, mais non. La musique encore plus que les billets de train peut profiter du réseau pour être distribué (eh oui il y a encore un envoi postal de billets physique dans le processus d’achats de billets sur le ouèbe). Si l’un au moins des producteurs de disques avait anticipé, lancé une plateforme disposant d’un vrai répertoire et d’un tarif honnête, le débat auquel on assiste n’aurait peut être pas lieu. Mais bon, ils ont préféré se dire qu’ils étaient plus forts que le Réseau. Ils ont oublié que c’est la demande qui dicte sa loi (en général). Ils ont estimé qu’ils pourraient contraindre leurs clients à ne pas profiter d’une révolution technologique. Ils sont restés convaincus que le CD restait et devait rester LE support. Je comprends tout à fait qu’ils aient mis les oeillères. On m’annoncerait la fin imminente de mon usine à cash, j’aurais du mal à l’admettre. Ce qui est plus critiquable c’est qu’ils ont ouvert les yeux aujourd’hui, connaissent l’ampleur de leur « fausse route », mais semblent préférer blâmer leurs clients (qui se sont tournés vers l’illégalité du Réseau, à défaut d’offre licite sur le Réseau, et ont pris une mauvaise habitude : la gratuité) plutôt qu’essayer de recoller les pots cassés. Ils trainent tellement des pieds que le jour où ils se décideront enfin à proposer une alternative crédible (avec un catalogue intéressant, un tarif plus réaliste – il faut débourser plus de 65.000 francs pour remplir son iPod de 10.000 chansons sur iTunes, et une compatibilité technique minimale), nous serons peut être déjà passés à la technologie suivante.
Le plus dingue dans cette histoire de connexion neuronale, c’est que la conclusion (très voire trop rapide, je l’admets) de cette petite réflexion est la suivante : dans l’économie de réseau, le service public et monopolistique est plus performant, réactif ou visionnaire que les acteurs privés sur un marché concurrentiel.
La SNCF plus réactive et performante que Sony, ça vous fait pas bizarre à vous ? Moi je trouve ça beau ! Tiens, pour la peine, je vais aller acheter un billet sur idTGV pour aller voir ma grand-mère. Mais j’irai pas sur e-compil. La nouvelle économie c’est vraiment le monde à l’envers !
Antoine Bouteilly
Juriste, 25 ans, stagiaire en quête de travail, Antoine tient son blog (le »Blogototo« ) à propos de la culture, du P2P et du logiciel libre.
(Note de la rédaction : Si vous souhaitez publier vos propres réflexions dans les colonnes de Ratiatum, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante : )
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