Les industriels dont les produits sont taxés au titre de la copie privée tentent d’interpréter dans le sens qui les arrange l’arrêt récent de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

La semaine dernière, nous avions rapporté l’analyse faite par une agence de presse de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui concluait que les professionnels ne doivent pas payer la taxe pour copie privée. Nous en déduisions que la France devrait réviser son code de la propriété intellectuelle, qui limite drastiquement les cas de remboursement. Finalement, après lecture attentive de l’arrêt, nous avions donné raison à l’interprétation des ayants droit, qui expliquaient que les termes de l’arrêt étaient respectés en France, au moins sur le papier.

Aujourd’hui, ce sont les industriels qui viennent à la charge, dans un mémo fuité sur PC Inpact. Ils prennent, bien sûr, le contre-pied des bénéficiaires de la taxe pour copie privée. « La rémunération pour copie privée ne peut être appliquée aux appareils et supports mis à disposition d’utilisateurs professionnels dès lors qu’ils sont manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé« , écrivent-ils. Selon eux, la Cour juge que « que l’ensemble des supports et appareils mis sur le marché acquis par des usagers professionnels est présumé ne pas être utilisé à des fins de copie privée d’œuvres protégées« , et donc ces produits ne devraient être taxés.

Cependant, pour autant que l’on aimerait donner raison aux industriels, cette analyse nous semble très contestable.

La Cour dit que « la simple capacité de ces équipements ou de ces appareils à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la redevance pour copie privée, à la condition que lesdits équipements ou appareils aient été mis à disposition des personnes physiques en tant qu’utilisateurs privés« . Pourquoi ? Parce que « ces personnes physiques sont légitimement présumées bénéficier intégralement de cette mise à disposition, c’est-à-dire qu’elles sont censées exploiter la plénitude des fonctions associées auxdits équipements, y compris celle de reproduction (à des fins privées)« .

Elle ajoute qu’il faut partir de cette présomption parce qu’il y a des « difficultés pratiques pour identifier les utilisateurs privés » à qui il faudrait dans l’idéal faire payer la taxe personnellement. Et que c’est précisément parce que ça n’est pas possible en pratique que la taxe est payée non pas par le consommateur, privé ou professionnel, mais par l’industriel qui vend le produit taxé. Elle valide cette modalité fondamentale.

Jamais la Cour ne dit que seuls peuvent être soumis à redevance les appareils mis « exclusivement » à la disposition des personnes physiques. Elle dit que pour être équitable la redevance ne doit concerner que des appareils qui sont entre autres, voire même surtout, destinés dans leur conception et leur mode de commercialisation à des personnes physiques. Mais l’exclusivité n’est pas à rechercher.

En revanche, l’arrêt se conclut bien sur une invitation à ne pas assujettir à la taxe pour copie privée les produits « non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé« . C’est-à-dire, pour le coup, à ne pas taxer des produits qui seraient exclusivement dédiés aux professionnels, ce qui n’est pas le cas des DVD ou CD vierges, clés USB, baladeurs MP3, etc.

Paradoxalement, l’arrêt de la CJUE est tellement mal formulé qu’il a peut-être créé plus encore d’incertitudes qu’avant.

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