Par Romain Fonck : Contrer la communication par la communication

Avez-vous été sur le site internet de la SCPP ? Vous auriez-là une excellente démonstration de mauvaise foi ; sur la page d’accueil s’ouvre un petit pop up qui affiche ceci :

 » ECHANGER GRATUITEMENT DE LA MUSIQUE SUR INTERNET, C’EST REDUIRE AU SILENCE CEUX QUI LA FONT.

Voir le film au format :
Windows Media Player (3,1 Mo)
QuickTime (1,5 Mo)
mpeg4 (357 Ko)

Promusicfrance vise à réunir tous les acteurs de la musique pour dire oui à la création, stop au tout gratuit et vive le développement équitable des services de musique en ligne. « 

Vous remarquerez que la SCPP essaie de mettre en place un discours précis. Elle essaie d’insinuer que les pirates ont des méthodes qui conduisent à un totalitarisme par l’expression :  » réduire au silence ceux qui la font « , et elle se place (sans succès) dans une mouvance du type alter-mondialiste en utilisant des expressions du type :  » développement équitable des services de musique en ligne « , comme s’il y avait un commerce équitable pour les pauvres Majors… Ceci est typique d’une stratégie de communication, très insidieuse, mais qu’il est néanmoins facile de contrer. Son but est de distiller l’amalgame dans l’esprit du consommateur lambda, et de forcer à changer son avis en utilisant des mots et des formules appropriées. Ceci s’appelle une dialectique. C’est pour cette raison qu’il est primordial d’exposer des arguments simples et rationnels permettant de détruire ce type de discours. Surtout il faut essayer de renverser le diptyque : Majors=Gentils et Internautes=Méchants. C’est un contre discours que je souhaite proposer.

1.Le point de vue économique sur le peer-to-peer

Faut-il croire que le peer-to-peer est responsable de la baisse des ventes de disques ? En fait nous sommes-là en présence d’un problème sur lequel il est difficile de trancher, car il semblerait que la baisse de la vente de CD est corrélée avec la hausse du taux d’équipement haut débit chez les particuliers. Mais corrélation ne veut pas dire causalité. Remarquons que les ventes de DVD ont aussi pris leur essor dans la foulée. Doit-on en déduire que plus on vend de DVD, plus le taux d’équipement ADSL croît ?

C’est là que se situe l’absurdité du discours des Majors, nous faire croire que, parce que deux phénomènes sont concomitants dans le temps, ils sont reliés. En réalité, si il y avait une baisse des ventes de produits culturels, la FNAC, Virgin, et autres distributeurs se seraient joints aux flots des critiques de la SCPP, de la SACEM et des Majors. Or ça n’est pas le cas. Mieux : des grandes enseignes comme Carrefour, Auchan, mettent en place dans leurs hypermarchés des rayonnages géants remplis de CD et DVD. Alors si les produits culturels sont en crise, par quel miracle investit-on encore sur ce secteur ?

En fait, il est vrai que les ventes de CD baissent, aussi vrai que celles des DVD augmentent. En règle générale les produits culturels continuent à bien se vendre, et même remarquablement bien. Mais on assiste à un phénomène d’arbitrage : les clients préfèrent acheter des DVD à des CD, et leur dépense en produit culturel n’évolue pas. Néanmoins il y a eu plusieurs études économiques et certainement que le meilleur explicatif de ces études peut être trouvé sur le site de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan.

On peut y lire en conclusion :

«  Les études diffèrent par leurs méthodes et leurs résultats. Elles convergent néanmoins autour de deux points : il existe un effet négatif et un effet positif du P2P (pour simplifier, substitution et découverte) ; ces deux effets se combinent différemment selon les individus ; au total, il sont responsables au plus d’une petite part de la baisse des ventes de disques. « 

Etonnant non ? Mais l’étude (.pdf) la plus amusante à cet égard est celle de deux chercheurs américains, Felix Oberholzer (Harvard) et Koleman Strumpf (Chapel Hill) qui démontrent que l’effet du peer-to-peer est statistiquement proche de zéro sur les ventes de disques. Ils remarquent aussi une idée assez iconoclaste : le téléchargement des fichiers d’un album auraient tendance à hisser les ventes de cet album vers le haut… Mais si vous doutez encore, allez vérifier la hausse des ventes de disques au Canada où les FAI n’ont aucune obligation de donner l’identité d’internautes adeptes du peer-to-peer aux Majors, et où le peer-to-peer est pour le moment totalement impuni, voire toléré !

2.Le statut pas très avouable des Majors

Les Majors cherchent à distiller le fait que leurs résultats économiques viennent du piratage. Ce résultat est faux, mais il est facile de comprendre pourquoi ils défendent cette thèse : c’est une stratégie de communication financière destinée aux actionnaires. Les actionnaires sont d’autant plus enclins à accepter des mauvais résultats financiers si ceux-ci ne sont pas dus à des erreurs de management, de stratégie, etc. En fait, quand Pascal Nègre, au nom d’Universal, parle de piratage et des problèmes de la rémunération des albums et des artistes, il défend son propre poste. Et ça, c’est quelque chose qu’il ne faut jamais oublier. En plus il essaie de mettre un maximum d’artistes de son coté en prenant bien soin de préciser que ce sont surtout eux qu’on spolie, mais on évite le sujet de la rémunération des majors sur le dos des artistes. Remarquez néanmoins que la série publicitaire que nous pouvons  » admirer  » dans nos rue :  » Téléchargez moi légalement  » met en valeur des artistes qui ne sont, comme par hasard, pas des hits de téléchargements sur eMule ou BitTorrent (mais qui donc télécharge Aznavour ?). Pire, pour certains, comme Louis Chedid, participant à cette campagne, il est impossible de les télécharger légalement.

Comble de l’absurdité de la situation, des artistes ont signé la pétition du Nouvel Observateur :  » libérez la musique « , et pas des moindres (Bénabar, M, Manu Chao, Sinclair, Bob Sinclar…). Alors qui donc a peur du téléchargement de la musique ? Il ne faut pas croire le discours des Majors qui expliquent que nous sommes responsables de la fin de la création artistique. Molière (ou ses descendants) touchait-il des droits d’auteur ?

Si nous devions définir ce qu’est une Major, nous dirions qu’il s’agit là d’une entreprise qui aide un artiste à se développer, en échange d’une partie de sa rétribution sur la vente de ses albums, et en échange d’un droit d’exclusivité non délimité sur la production de l’artiste ainsi soutenu. En langage économique clair, cela signifie qu’une Major détient un monopôle sur l’artiste qu’elle a financé. Il est impossible d’acheter un album de Johnny chez Sony Music, parce que tout le répertoire est chez Universal. Et quand on a un monopole, on pratique les prix que l’on souhaite. Ne vous étonnez pas si vous trouvez vos CD trop chers ! Et c’est là une des clefs pour élaborer un discours assez terrible contre les Majors :  » puisque vous défendez une certaine mondialisation de la culture, ne vous étonnez pas de ce qu’on cherche à briser vos monopoles ! « . A titre purement informatif, je vous conseille de vous informer sur le prix d’un CD neuf au Mexique… c’est très instructif.

Romain Fonck
Diplomé d’une maîtrise de physique fondamentale et d’un DEA de sciences des matériaux à l’université d’Orsay, et diplômé de l’ESSEC

(Note de la rédaction : Si vous souhaitez publier vos propres réflexions dans les colonnes de Ratiatum, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante : )

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