Des internautes ont sorti la « digitine » (digital + guillotine) en bloquant des célébrités sur les réseaux sociaux. Mais est-ce vraiment une révolution ? C’est le sujet de ce numéro de notre newsletter de Règle30.

L’un de mes coins préférés d’internet s’appelle Oh No They Didn’t. Dans cette vieille communauté en ligne, née en 2004 (!) et hébergée sur Livejournal (!!), on échange des potins sur les stars. J’aime y passer du temps parce que ça m’amuse, et aussi parce que ça m’informe sur un pan de la culture populaire que je maîtrise assez mal. « [On doit] s’intéresser aux messages portés par les célébrités, parce qu’elles sont parfois plus écoutées et influentes que les politiques ou les chercheurs », écrivait la journaliste indépendante (et mon amie) Morgane Giuliani dans son essai Féminismes et musiques (Le Mot et le reste, 2023). « C’est nous qui décidons de leur donner du succès et donc, du pouvoir. »

La semaine dernière, un groupe d’internautes a décidé de couper le robinet. Tout est parti de Hayley Baylee, créatrice de contenus en ligne, qui a partagé une vidéo dans laquelle elle se prépare pour le Met Gala sur un extrait du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Sans trop de surprise, la vision d’une femme endimanchée, imitant un symbole populaire des inégalités entre les riches et les pauvres, n’a pas ravi les foules. L’influenceuse a reçu de nombreuses critiques et inspiré des appels à sortir la digitine (digital + guillotine) : puisqu’on ne peut pas littéralement se débarrasser des célébrités, on peut au moins les ignorer en les bloquant sur tous les réseaux sociaux.

Le mouvement #Blockout2024

S’est ensuivi un mouvement chaotique. Plusieurs listes de stars à bloquer en ligne ont circulé sous le nom de #blockout2024, la plupart visant les invité·es du Met Gala, d’autres plus générales. Ces célébrités sont accusée·es d’être trop privilégiées, et surtout trop silencieuses dans le contexte de la guerre menée par Israël depuis octobre 2023, qui a causé plus de 35 000 morts en Palestine, en majorité des civils. Mais d’autres personnalités, justement assez vocales sur le conflit, ont aussi été attaquées, comme l’actrice Rachel Zegler, qui s’est défendue sur son compte Twitter/X.

Source : Capture d'écran X
Source : Capture d’écran X

Il est logique qu’une actualité aussi dramatique renforce notre malaise en ligne. Les plateformes sur lesquelles nous évoluons ne sont pas adaptées, par nature, à gérer les mauvaises nouvelles, encore plus dans notre ère de fils de recommandation algorithmique. On a le choix entre se noyer dans un torrent d’images insupportables ou alterner entre des publications innocentes et celles témoignant des violences en cours. 

On peut aussi se demander ce qu’on attend, exactement, des célébrités, paraboles contradictoires de nos envies et de nos angoisses. Un post Instagram de Taylor Swift pour appeler à un cessez-le-feu à Gaza nous satisferait-il vraiment ? Quand accepte-t-on d’être diverti·es, quand est-ce que cela devient-il insupportable ? 

Malgré son imagerie révolutionnaire, le mouvement de la digitine n’appelle pas à bouleverser notre système médiatique actuel. On reste dans une logique d’influence. On accepte les règles en place. Il y a pourtant des choses légitimes à critiquer, comme le refus de plus en plus assumé des plateformes d’héberger des contenus considérés comme politiques (sans préciser ce qui est, à leurs yeux, politique) et leur fonctionnement ultra-centralisé, automatisé, où seuls quelques comptes et sujets peuvent surnager. C’est ça, l’origine du pouvoir. En sortant la digitine, on ne remet pas en cause la puissance des stars : on leur demande d’utiliser leurs privilèges injustes pour une cause juste. Est-ce suffisant ? 

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