« Bitcoin, because fuck banks », pourrait parfaitement résumer l’esprit anti-système du bitcoin. Reprise par Bitcoin Magazine pour illustrer le caractère subversif de la cryptomonnaie, l’expression est assez populaire chez les défenseurs du BTC. Si détruire le bitcoin est à présent impossible, le détourner pour le corrompre de l’intérieur semble en revanche beaucoup plus réaliste.
La décentralisation : l’utopie politique du bitcoin
La décentralisation — ou faudrait-il dire, déconcentration, pour séparer la technologie de son utilisation — a toujours été au cœur du projet politique du bitcoin. Créer une monnaie native d’Internet, sans aucun tiers de confiance et in-censurable : un cash électronique 100 % indépendant des institutions. Une utopie anti-banque qui s’inscrit dans la continuité des travaux des crypto-anarchistes (ou cypherpunks).
Ces informaticiens radicaux et marginaux, aux tendances libertariennes, ont été actifs dès les années 90 aux États-Unis. Ils ont été une source d’inspiration importante pour Satoshi Nakamoto, dont l’anonymat total a été fondamental pour la décentralisation et la survie du réseau Bitcoin, inattaquable, puisque sans leader.
Grâce à la blockchain et au mécanisme de la preuve de travail, le bitcoin a réussi la prouesse de se passer des banques et des États. Du moins, pendant un temps. Car après 15 ans d’existence, que reste-t-il encore de « punk » au bitcoin ? À y regarder de plus près, le marché du bitcoin ressemble de plus en plus à une bourse classique, où l’appétit et la cupidité des grands acteurs financiers mènent la danse.
Les « baleines », les ultrariches du bitcoin
Premiers arrivés, premiers servis. Voilà quelle pourrait être la philosophie des chanceux ayant investi tôt, lorsque le bitcoin valait à peine quelques dollars. Ces investisseurs précoces ont pu ainsi mettre la main sur des centaines, voire des milliers de jetons numériques.
Le bitcoin a donc aussi ses ultrariches. Dans le jargon, on les appelle les « whales », les baleines. Ces gros poissons ont une influence cruciale sur le prix du bitcoin et son écosystème. Installés au sommet de la chaîne alimentaire, on les accuse de manipuler sciemment le cours de la première cryptomonnaie. Le site whale-alert.io répertorie ces portefeuilles numériques particulièrement bien garnis.
Parmi les gros propriétaires de bitcoins, on retrouve d’éminents milliardaires issus de la Silicon Valley. Michael Saylor, le fondateur de MicroStrategy, détient ainsi 17 000 bitcoins à lui tout seul. Jack Dorsey, un autre magnat de la tech, connu pour avoir cofondé Twitter, est un également un véritable bitcoin evangelist. Il avait fait acheter 50 millions de dollars en bitcoins via son entreprise Square. Quant à Elon Musk, c’est avec SpaceX et Tesla qu’il s’adonne à l’investissement en BTC : 20 000 au total sont détenus sous forme de capital.
Mais la plus grosse baleine d’entre toutes, c’est Satoshi Nakamoto. Virtuellement propriétaire d’une fortune estimée à plus d’1 million de bitcoins, le créateur du bitcoin pèse lourd. L’équivalent de 66 milliards de dollars, ce qui le place théoriquement dans le top 20 des personnes les plus riches au monde.
La concentration des bitcoins n’est pas un phénomène nouveau. En 2021, 2 % des entités du réseau contrôlaient 71.5 % de tous les bitcoins, selon Glassnode, tandis que Bloomberg estimait plutôt ce chiffre à 95 % en suivant une autre méthode. Si personne ne s’accorde sur les chiffres exacts, tous montrent qu’une part significative des bitcoins est effectivement concentrée entre les mains de quelques entités.
Même si dans les faits, le bitcoin est toujours plus décentralisé qu’en 2010, où une poignée d’individus détenaient 100 % des jetons numériques.
Une concentration problématique
Le revers de la médaille du succès du bitcoin, c’est qu’il a progressivement été colonisé par les institutions financières. Début 2024, BlackRock est entré dans la course, avec le lancement d’un ETF bitcoin. En l’espace de quelques mois, la plus grosse société de gestion d’actifs au monde a fait main basse sur 275 000 BTC. Ironiquement, ces achats récurrents pourraient bien donner l’impulsion nécessaire au bitcoin pour qu’il atteigne enfin les 100 000 dollars. Mais malgré l’euphorie, une partie de la communauté bitcoin redoute que le ver ne soit déjà dans la pomme, et déplore que la finance n’ait commencé à corrompre le bitcoin.
L’autre menace pour la décentralisation du bitcoin vient des plateformes comme Binance ou Bitfinex. Ces cryptos-banques détiennent les cryptomonnaies pour le compte de leurs clients, moyennant quelques frais.
Pas de quoi inquiéter visiblement les millions d’utilisateurs leur faisant confiance pour garder leurs cryptos au chaud, plutôt que le faire eux-mêmes, au risque de perdre leurs fonds. La récente affaire FTX a toutefois montré que ces entreprises peuvent faire faillite, voire partir avec la caisse. Une philosophie aux antipodes de la promesse de départ du bitcoin, profondément anti-autorité centrale.
La centralisation du minage : une menace croissante pour le bitcoin
Le problème, c’est que désormais, ces plateformes sont à la fois juges et parties. C’est le cas de Binance, qui cumule ainsi ses activités avec du minage de bitcoin depuis 2020. La même entreprise qui est accusée de pratiques abusives en France.
Le minage est au cœur du protocole Bitcoin, indispensable au bon fonctionnement de la blockchain. Il entraîne mécaniquement une compétition entre les mineurs. Conséquence : les moins rentables sont éjectés, ce qui tend à créer des monopoles. Or avec, les halvings successifs qui réduisent par deux la récompense des mineurs, l’étau se resserre de plus en plus. Ce mécanisme impose une sophistication croissante des machines de minage, créant un marché dans le marché. Les fabricants doivent alors avoir recours à des cartes graphiques spécialement conçues pour le minage, les ASICs. Le minage s’industrialise.
2 entreprises minent 50 % des bitcoins à elles seules
Loin des geeks d’antan motivés par l’idée d’une monnaie peer to peer, les mineurs d’aujourd’hui sont des entrepreneurs aguerris, préoccupés par leur rentabilité. Ils s’organisent désormais dans des mining pool, sortes de coopératives virtuelles. Ils augmentent ainsi leurs chances de rafler la mise en mettant en commun leur puissance de calcul. En 2021, une étude du National Bureau of Economic Research donnait un aperçu de cette centralisation : 0,1 % des mineurs étaient responsables de la moitié de la production mondiale de bitcoins.
Aujourd’hui, ce sont deux entreprises, Foundry USA et AntPool, qui se partagent la majorité du gâteau. Elles contrôlent plus de 50 % de la puissance de calcul des mining pools, mettant en péril la décentralisation du réseau. Pourtant, il y a un seuil critique à ne pas dépasser, et il est justement fixé à 50 % de la puissance de calcul. Au-dessus, le bitcoin pourrait (théoriquement) être piraté si les acteurs s’entendaient entre eux pour nuire au réseau. Mais surtout, ces pools rajoutent des intermédiaires centralisés. Si bien que les transactions en bitcoin deviennent facilement censurables.
Sur son site, Foundry USA affiche cette phrase vendeuse, mais paradoxale : « Nous n’attendons pas un avenir financier décentralisé, nous le construisons maintenant ». Une illustration du double jeu du bitcoin, toujours balloté entre ses promesses de décentralisation et l’appétit croissant des acteurs de la finance traditionnelle pour le marché des cryptomonnaies.
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