Permettez-moi de détailler ici une solution possible, je veux bien prendre ce risque, elle aura au moins le mérite, peut être, de susciter d’autres propositions.
J’ai déjà soumis cette idée à l’ACSEL en février 2004, donc, convenez qu’après une année de réflexion, je n’ai pas beaucoup changé de point de vu (voir sur mon Blog février 2004).
Je suis prêt à payer 10 ou 15 € supplémentaires à mon forfait Internet pour financer le contenu. Si cette somme me permet d’utiliser les Peer-to-Peer, avouez que ce n’est pas très cher payé. Imaginez par exemple, que ces 15 € soient répartis aux producteurs de contenus (y compris les webmasters amateurs) au prorata temporis de mes consultations d’adresses IP dans le mois. Une répartition informatisée et anonyme est possible, pour la redistribution de ce micro paiement. Le contrôle ne serait pas très coûteux, par des interventions inopinées chez les FAI sur des échantillons d’abonnés et en garantissant l’anonymat. Elle nécessiterait que le réseau impose à toute demande de nom de domaine, de fournir une domiciliation bancaire. Un organisme international de type Internic pourrait exiger ces formalités.
D’autres secteurs pourraient bénéficier de cette manne. Les contenus de culture en général, d’éducation, de formation professionnelle, d’information, de santé; de recherche, compatibles avec la toile. Tous ces domaines qui cherchent une indépendance à la fois des pressions étatiques et du marketing. De nouveaux emplois pourraient être créés remplaçant ceux qui actuellement, disparaissent par l’émergence de nouveaux modes de consommation tels que le Peer-to-Peer ou la presse gratuite en ligne. Un nouveau type de télétravailleurs indépendants ou de micro sociétés pourraient émerger. Certaines Start Up pourraient alors trouver un financement durable. Pour les musiciens, ce serait une chance de rémunération directe complémentaire pour un statut nouveau d’ » artiste producteur indépendant » dont la création est nécessaire aujourd’hui, et dont je parle dans mon exposé Musiques actuelles et Internet à lire ici (.rtf).
Je pense très sincèrement que le système actuel des Fournisseurs d’accès (l’IP attribuée à la Volée) sera un système qui disparaîtra nécessairement, ne serait-ce que pour enrayer la cyber-criminalité ou même, tout simplement, le SPAM. Nous aurons tous un jour une adresse IP comme nous détenons un N° de portable, un N° de téléphone fixe et une adresse administrative. Cela ne nous empêchera pas d’être libre dans nos consultations de sites, seul un juge spécialisé pourra demander au FAI un historique des connexions, comme c’est le cas aujourd’hui. De toute façon nous savons tous que nos e-mails et nos parcours peuvent très facilement, déjà, être » sniffés » au passage sur le réseau. De la même manière, chaque webmaster, en même temps que son nom de domaine, devra peut être déposer un Relevé d’Identité Bancaire sur lequel pourra être versé, directement s’il est un particulier, ou sur le compte bancaire de l’association ou de l’entreprise, une part de financement des contenus provenant directement, par le micro paiement, de la connexion des internautes.
On peut imaginer ensuite qu’un INTERNIC puisse attribuer les noms de domaines classés par activités, certaines ouvrant droit à rémunérations et d’autres pas. Le site philaxel.com pourrait par exemple devenir philaxel.mus (pour contenu musical), ouvrant à un certain % de rétributions, tandis qu’ au contraire un site porno dont le préfixe .xxx ne pourrait pas prétendre à ce type de rémunération directe.
Ne sous-estimons pas le potentiel de calcul énorme dont disposent à présent les serveurs du réseau des réseaux, capable de gérer des conditions complexes de reversements de micro-paiments. D’autant qu’il existe, nous l’avons vu, d’un précédent technologique qui est une excellente base de travail : le Minitel.
Pour ceux qui craignent que les revenus des artistes ne soient dilués par la masse des productions et qui pensent qu’il faudrait faire taire les » artistes du dimanche » (expression malheureuse du président de la SACEM * notamment), je dirai ceci : les artistes professionnels d’aujourd’hui sont les artistes du dimanche d’hier, il ne faut pas l’oublier. Il ne faut pas que l’industrie musicale dans son ensemble oublie également que les artistes du dimanche et du web sont les plus gros consommateurs de produits culturels en général et constituent un vecteur important de préconisations d’achats, ce n’est donc pas très intelligent de les mépriser, ni sur le plan moral, ni sur le plan commercial. Permettre à chacun de s’exprimer n’est pas contradictoire avec l’émergence d’une élite .Pour cette élite, il n’y a pas de gloire dans un système dictatorial. Il n’y a de gloire que dans un processus démocratique où chacun a sa chance. Je ne regretterai jamais, pour ma part, le système actuel que je juge antidémocratique. La musique doit passer, toujours, qu’elle soit l’œuvre d’un amateur ou celle d’un professionnel. Et le musicien du fin fond des Cévennes doit pouvoir atteindre les maisons de disques sans passer par les boites de nuit parisiennes ou les télé crochets débiles.
L’enjeu au delà de la musique est de permettre aux énergies créatives sur Internet de trouver du financement direct. La licence libre, le logiciel libre, la musique libre, pour moi ce sont les Start-Up du pauvre. Cette liberté là, c’est la liberté de tester une chanson ou une idée à moindre frais, de trouver du soutien, de former une équipe, de développer un projet, et donc littéralement d’entreprendre quand on ne détient pas les clefs de la levée de fonds ou de la fortune personnelle. Et bien souvent, les projets libres deviennent de grandes associations ou même de véritables entreprises créant de véritables emplois. Rappelons que l’on recense, officiellement, en France, près de 1 million d’associations, fortes de 12 millions de bénévoles et de 1,5 million de salariés. Le tissu économique français n’est pas seulement fait de multinationales qui se rachètent les unes les autres dans un balais de licenciements et d’emplois précaires.
Pour terminer je souhaiterai faire échos à deux interventions que je soutien totalement, et qui, ces derniers jours, ont fait énormément de bien au débat. Celles de Alban Martin sur la co-création de valeur et celle de Ignazio Lo Faro dans un article intitulé : Quand la musique indépendante s’éveillera.
Comme eux, soyons créatifs plutôt que destructifs, nous sommes à la préhistoire de ce nouveau média où tout reste à inventer. C’est passionnant !
(*) le président de la SACEM qui a lu cet article tient à rappeler le contexte de l’emploi de l’expression « musicien du dimanche » (sur ce lien) qui pour lui n’avait rien de péjorative et faisait référence aux auteurs qui déposent des œuvres par principe sans aucunement chercher à les diffuser. Laurent Petitgirard précise egalement que la Sacem soutient activement, par le biais de son action culturelle, la pratique musicale amateur.
Philippe Axel
Musicien du web, ancien commercial de produits culturels, directeur d’antenne d’une station FM, spécialiste des communautés virtuelles et des jeux-vidéo, lauréat du concours des jeunes créateurs au MILIA 98,… Voir son site personnel : http://www.philaxel.com
(Note de la rédaction : Si vous souhaitez publier vos propres réflexions dans les colonnes de Ratiatum, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante : )
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