Les majors multiplient les actions en justice contre des internautes téléchargeurs’, qui se voient infligés des peines pour l’exemple’ particulièrement sévères au vu des moyens des condamnés et du préjudice réel qu’ils ont pu causer. En effet, l’internaute coupable, s’il n’avait pas pu télécharger, n’aurait très certainement acheté qu’une toute petite partie des disques qu’il a pu obtenir sur Internet. Le manque à gagner correspondant pour les majors est donc dérisoire. A l’heure de ces procès irréalistes, où des entreprises attaquent leurs propres clients en justice, où de simples citoyens (enseignants, ingénieurs, lycéens…) se voient infliger des peines supérieures à celles de encourues par des conducteurs sous l’emprise de l’alcool ayant causé un accident, (et risquent même des peines plus dures que celles infligées à un violeur), il semble important de prendre un peu de recul et d’essayer comprendre les raisons profondes de cette crise entre les artistes et leur public.
Le développement des réseaux d’échange sur Internet a amené un grand bouleversement :
Jusqu’alors, nous vivions dans un système d’accès aux œuvres audiovisuelles et musicales où la rareté, et donc la valeur économique, étaient liées à deux facteurs :
- la création de l’œuvre (composition, interprétation, enregistrement)
- la mise à disposition de l’œuvre auprès du public (fabrication du CD et packaging, transport, distribution/vente, marketing/promotion)
Les évolutions technologiques récentes (le numérique et Internet en particulier) ont permis de détruire la rareté de ce deuxième facteur. Les systèmes P2P permettent d’assurer la diffusion des œuvres et leur mise à disposition auprès du public pour un coût quasi nul…et ainsi d’éliminer toute limitation dans la diffusion des œuvres numérisables. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle et non une simple évolution technologique, puisque les artistes peuvent ainsi se faire entendre mieux que jamais (c’est censé être leur raison d’être) et le public peut quant à lui accéder en masse à des pans entiers de la création culturelle, dans un système qui coûte globalement moins cher que le système précédent (fabrication et vente de CD à l’unité…).
Cependant, les intermédiaires de la création ayant d’énormes intérêts dans ce marché, ils freinent autant qu’ils le peuvent le développement de l’utilisation de ces nouvelles technologies. Une chance pour eux que la législation actuelle, rendue obsolète par les récentes évolutions technologiques évoquées, leur donne raison… pour le moment.
Mais au delà des intérêts directs des intermédiaires, se pose malheureusement aussi celui de la survie des artistes. En effet, s’ils lèvent les contraintes financières liées à la diffusion des œuvres, les réseaux d’échange ne lèvent pas celles liées à la création elle-même. Pourtant, les systèmes actuels (tels que le P2P) ne participent absolument pas au financement de cette création, que l’on peut plus ou moins estimer à 40% de la valeur du marché des CD actuel. L’utilisation des réseaux P2P pour échanger des contenus protégés par les droits d’auteurs est donc dans l’état actuel des choses illégale, ce qui donne d’autant plus d’arguments aux Majors pour contrer cette révolution. Mais la force judiciaire ou technologique des majors est bien peu de choses face à 8 millions (en France) d’utilisateurs des réseaux d’échange (chiffre en progression constante). La lutte contre les réseaux d’échange est vouée à l’échec, mais d’un autre coté, si les internautes n’assurent plus leur juste contribution au financement de la création, cette dernière finira par disparaître, faute de moyens d’exister.
Prenons un exemple concret : hier, admettons qu’un utilisateur achetait environ un CD tous les deux mois… il apportait sa contribution à la création à hauteur de 10 euros/mois (CD nouveauté’ à 20 euros en général). Aujourd’hui, il n’achète plus de CD et télécharge tout ce qui lui plaît plus ou moins’ sur Internet, sans limite, et sans que ca ne lui coûte un euro. Le bénéfice à court terme est immense, mais ce système s’auto-détruira s’il n’est pas adapté. Demain, l’utilisateur devra comme avant apporter sa juste contribution à la création… disons toujours 10 euros par mois (bien que ce chiffre soit discutable… de nombreux coûts ayant disparu de la chaîne), mais devra également pouvoir toujours accéder librement à tout le contenu qu’il voudra : puisque c’est simplement possible, pourquoi l’en empêcher ?
Il est donc urgent de trouver un système légal, économique et technologique qui permette :
1) de profiter pleinement des évolutions technologiques récentes et à venir, éliminant quasiment toutes les barrières de l’accès à la culture : nous sommes entrés dans le monde de la diffusion de masse, de l’illimité et de la coopération inter-utilisateurs. C’est un progrès social et culturel formidable qui ne saurait être bridé,
2) de préserver le financement de la création.
En effet, la technologie ouvre des portes, mais elle ne règle pas seule tous les problèmes. La piste qui semble la plus intéressante aujourd’hui repose sur la mise en place d’une licence de diffusion culturelle : une redevance qui serait acquittée par tous ceux qui veulent participer à ces réseaux d’échange, un peu à l’image de la redevance TV ou de celle payée par les radios pour pouvoir diffuser leur musique (chaque utilisateur serait en quelques sortes une micro-radio). Ce système particulièrement séduisant a ses détracteurs, parfois pour des raisons idéologiques difficilement acceptables, mais aussi en raisons des nombreuses difficultés que poserait la mise en place d’un tel système, qui se résument essentiellement à 3 questions :
- Combien d’argent prélever par individu ? Des études américaines estiment le coût par utilisateur à 6$ mensuels… même si en France on devait atteindre une dizaine d’euros, le coût resterait largement acceptable pour la majorité des utilisateurs par rapport au bénéfice qu’ils peuvent tirer du système… mais comment valider ces chiffres ?
- Comment prélever l’argent? Une simple taxe sur les abonnements Internet pénaliserait les clients qui ne pratiquent pas ces échanges et excluraient ceux qui pratiquent des échanges hors Internet’, mais elle aurait le mérite d’être simple à mettre en place et à contrôler.
- Comment redistribuer les sommes perçues équitablement, entre tous les artistes concernés ? Le problème se pose notamment pour les petits’ artistes qui pourront bien plus facilement être écoutés et se faire connaître dans un système illimité’ : Lorsqu’on a un budget limité permettant l’achat d’UN disque, et que l’on hésite entre le dernier tube à la mode -le must-have’- et l’album d’un nouvel artiste moins connu, en général, on privilégie le premier et on sacrifie le deuxième. Lorsque pour le même prix, on dispose d’un moyen d’accéder à un catalogue de manière illimitée, on acquiert les deux œuvres, même si on écoute la première 80% du temps et la seconde 20%…. Il vaut mieux 20% que 0% pour l’artiste concerné, et la star multimillionnaire saura bien se contenter de 80% de temps d’écoute, et donc de 80% de ses revenus actuels. Les réseaux d’échange associés à un système économique adapté constitueraient donc un formidable moyen de faire émerger de nouveaux talents. Reste à trouver un moyen de mesurer avec fiabilité le succès de tout artiste sur ces réseaux.
Le dialogue et la réflexion doivent donc s’instaurer entre les artistes et leur public, sans oublier les intermédiaires et nos politiques. D’autres solutions que la licence de diffusion culturelle sont peut être envisageables. L’objectif commun doit être simplement de mettre en place au plus vite un système qui respecte les deux contraintes citées ci-avant.
Une chose est sure : Une poursuite du développement des réseaux d’échange sans solution pour le financement de la création n’est ni acceptable ni envisageable, pas plus qu’un retour en arrière (disparition de ces réseaux, voulue par les Majors) qui priverait la société d’une si grande révolution culturelle.
Les plateformes de téléchargement légales actuelles ne sont absolument pas une solution acceptable car elles re-créent artificiellement de la rareté là ou il n’y a plus lieu d’y en avoir (par des prix arbitrairement élevés pour un simple fichier copie d’une œuvre’ et par des DRM -non inter-opérables- qui restreignent les possibilité d’usage desdits fichiers). Les intermédiaires essayent simplement de re-créer sur Internet le modèle économique actuel du CD, notamment par des artifices douteux, et en militant pour préserver la législation actuelle, dépassée, dont ils sont les seuls réels bénéficiaires. Un tel comportement n’est pas plus acceptable que celui des internautes qui téléchargent illégalement des œuvres protégées et militent eux pour la préservation totale de cette gratuité. La juste vérité est simplement entre ces deux extrêmes : un accès global à la culture numérique, sans limites (le temps des ventes « à l’unité » est révolu) grâce aux réseaux d’échange, mais accompagné d’une logique économique qui préserve le financement de la création (à priori par le public, à moins que d’autres solutions ne soient envisageables).
En attendant de mettre en place le système idéal, la plus grande tolérance est de mise vis à vis des utilisateurs de systèmes P2P. Ces personnes, tant qu’elles n’agissent que pour le usage personnel à but non lucratif, ont pour seul tort d’avoir une petite longueur d’avance sur une évolution naturelle et inévitable de notre société. Les procès absurdes menés par les majors doivent cesser, et si des personnes doivent encore être condamnées (leur culpabilité reconnue au regard des textes de lois existants), elles doivent l’être avec la plus grande clémence… en attendant que les conditions soient réunies pour que ce type d’échanges puisse être légal (et le devienne). Lorsque l’on sait que la législation est en décalage avec la réalité de la société, on adopte la plus grande mesure quant à son application.
Benjamin Thominet
Rédacteur, testeur pour Barbones.com.
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