Apple l’a officialisé vendredi 21 juin : plusieurs fonctions majeures d’iOS 18 et macOS Sequoia seront bloquées en Europe. Parmi elles, il y a notamment iPhone Mirroring (qui permet de contrôler son iPhone depuis son Mac) et Apple Intelligence (la suite de services basés sur l’IA générative, que certains présentent comme la plus grande mise à jour de l’histoire de l’iPhone).
En Europe, c’est la première fois qu’Apple bloque de nouvelles fonctions pour des raisons politiques. Dans un communiqué partagé à Numerama, la marque cite « des incertitudes réglementaires engendrées par le Digital Markets Act (DMA) », le règlement européen en vigueur depuis mars 2024. Le DMA contraint notamment Apple à autoriser l’installation d’applications depuis le web sur iPhone ou à proposer à ses utilisateurs de changer leurs applications par défaut. Cette punition pour les Européens est-elle une vengeance politique ? Trois jours après l’annonce d’Apple, la Commission européenne a ouvert une enquête sur la marque.
Apple n’avait pas besoin de prendre cette décision maintenant
La première chose troublante avec la décision d’Apple est son timing.
L’annonce anti-Europe de la marque intervient 10 jours après la WWDC, sa grande conférence développeur annuelle. Dans la communication d’Apple, rien n’indiquait sur place que l’UE serait privée d’Apple Intelligence ou d’iPhone Mirroring. Au contraire, les représentants d’Apple rencontrés par Numerama se disaient tous impatients de pouvoir nous faire essayer leurs nouvelles fonctions, qui nécessiteraient probablement l’installation de serveurs locaux. Lors de la démo à laquelle nous avons assistée, le discours d’Apple était de rapidement déployer le service dans le monde entier.
Pourtant, avec du recul, ce blocage semblait déjà acté au moment de l’annonce. La preuve, aucune des trois fonctions interdites en Europe n’est disponible dans les premières bêta des mises à jour d’Apple, alors que la marque indique qu’iPhone Mirroring et SharePlay Screen Sharing seront activés dans les bêtas 2 prévues lundi 24 juin.
D’ailleurs, dans le code de la bêta 1 de macOS Sequoia, on trouve du code sur un « géoblocage » de certaines fonctions, dont iPhone Mirroring et la génération d’images par IA. Apple n’a pas fabriqué un tel dispositif pour rien : interdire ses nouvelles fonctions dans l’UE a, vraisemblablement, toujours été son plan.
Laisser les utilisateurs s’enthousiasmer pendant 10 jours avant de leur annoncer une mauvaise nouvelle… La stratégie ne semble pas anodine. Apple mise sur la déception des Européens, qui perdent les meilleures fonctions d’iOS 18 et de macOS Sequoia, pour faire pression sur l’Union européenne. Interrogée par Numerama, la Commission européenne se dit satisfaite de la décision de la marque, qui prouve son autorité.
Digital Markets Act : Apple tient enfin sa vengeance
En France, à moins d’un retournement de situation, il ne sera pas possible de répondre à un mail avec l’IA, de créer un émoji sur mesure ou de parler à ChatGPT dans Siri.
La marque prévoyait de restreindre Apple Intelligence à l’anglais au lancement, mais ne comptait pas bloquer son utilisation depuis l’UE. A priori, elle appliquera dans iOS 18 des contrôles plus stricts, mêlant détection de la localisation par GPS, analyse de l’historique de connexion aux opérateurs et pays d’achat du téléphone… Frauder pourrait être facile sur macOS (un système plus ouvert, qui peut être modifié), mais devrait quasiment être impossible sur iOS.
Le DMA peut-il vraiment être tenu responsable d’un tel blocage ? Ce règlement européen cible des services qu’il qualifie de « gatekeepers », ou contrôleurs d’accès en français. Pour être considéré comme un gatekeeper, il faut avoir plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’UE (soit 10 % de la population). iOS est un gatekeeper, mais pas macOS.
Les gatekeepers ont des obligations que les autres services n’ont pas. Ouverture à la concurrence des magasins d’applications, obligation de proposer des systèmes de paiement alternatifs, ouverture de la puce NFC pour les applications bancaires, changement des applications par défaut… Apple a déjà pris plusieurs mesures, en utilisant un système de restriction régional qui bloque l’utilisation d’apps tierces en dehors de l’Europe. C’est sans doute ce même système, dans l’autres sens, qui va être utilisé pour brider les iPhone européens.
En annonçant le bridage des iPhone et des Mac en Europe, Apple prend sa vengeance sur l’Union européenne (le 19 juin, la Commission européenne indiquait qu’Apple ne respectait pas suffisamment ses règles). Trois jours après l’annonce d’Apple, qui n’est semble-t-il pas tombée au hasard, la Commission européenne a annoncé ouvrir une enquête sur l’application du DMA par Apple. « Nous craignons qu’Apple ait conçu son nouveau modèle économique de manière à décourager les développeurs d’applications et les utilisateurs finaux de profiter des possibilités offertes par la DMA », indique Margrethe Vestager. L’hypothèse de la vengeance se confirme.
L’entreprise californienne retourne le DMA contre les Européens, en s’attaquant aux utilisateurs pour nuire à la crédibilité de la Commission. Son objectif est de mettre en avant l’aspect anti-consommateur du règlement qui, en mettant de la concurrence partout, sert plus les intérêts des entreprises européennes que des utilisateurs finaux. Il y a du vrai là-dedans, même si Apple protège évidemment son propre business.
L’Union européenne aurait-elle vraiment bloqué Apple Intelligence et iPhone Mirroring ?
Tout le problème de la communication d’Apple réside dans son interprétation du DMA. Aucun des trois services bloqués en Europe ne semble rentrer dans les critères du règlement européen :
- iPhone Mirroring : Apple pense que l’émulation d’un iPhone sur un Mac reviendrait à l’utilisation d’iOS sur macOS. Sa crainte est que l’Union européenne fasse de macOS un gatekeeper puisqu’il peut faire tourner des applications iPhone sur son bureau… Mais qui imagine vraiment l’Union européenne rentrer dans ce niveau d’interprétation ? Dans ce cas-là, la recopie vidéo AirPlay pourrait aussi être considérée comme de l’émulation d’iOS sur une télé.
- SharePlay Screen Mirroring : Cette fonction permet de contrôler l’appareil d’un proche à distance, pour le dépanner s’il n’arrive pas à faire quelque chose ? Là aussi, l’interprétation d’Apple n’est pas facile à comprendre. Apple craint-elle que l’UE y voit de l’émulation ? Que l’UE considère qu’Apple privilégie son propre écosystème ? Encore une fois, il est dur d’imaginer la Commission européenne entrer à ce niveau de détails. Bruxelles ne comprend pas très bien la tech.
- Apple Intelligence : Cette suite de fonctions est riche et nécessitera sans le moindre doute des adaptations à l’Union européenne. Pour se conformer au RGPD, au DSA, au DMA et à l’AI Act (qui entrera en vigueur en 2026), Apple devra sans le moindre doute offrir des fonctionnalités supplémentaires à ses utilisateurs, comme la possibilité d’exporter leurs conversations (des conversations qu’Apple ne stocke pas, d’où la complexité de la tâche). Le partenariat avec ChatGPT pourrait aussi poser un problème, au nom de l’ouverture à la concurrence. Cela dit, rien n’oblige Apple à prendre une décision aussi forte aussi vite, sans en avoir discuté avec l’Europe avant.
Google, avec Bard puis Gemini, a aussi bloqué le lancement de plusieurs fonctions dans l’Union européenne le temps de les faire entrer en conformité avec les règlements en vigueur. OpenAI, avec ChatGPT, bloque aussi quelques nouveautés (la mémoire de son IA) dans l’UE. Depuis le RGPD et le DMA, il y a généralement un délai entre le lancement d’une fonction aux États-Unis et en Europe, mais les services finissent toujours par arriver. Apple, avec sa radicalité, va plus loin que ses concurrents.
À moyen terme, peut-être même avant septembre, Apple trouvera sans doute un accord avec l’Union européenne pour assouplir ses décisions. Sa décision de mettre en place des outils de blocage et de communiquer publiquement laisse néanmoins penser que la marque n’abandonnera pas son bras de fer, au risque de priver un des ses plus grands marchés de ses nouveautés les plus importantes de 2024. Apple pourra certainement vendre des iPhone 16 sans Apple Intelligence, même si les consommateurs européens y verront un peu d’amertume.
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