La Cour Suprême des Etats-Unis, la plus haute juridiction américaine, commence aujourd’hui ses auditions dans l’affaire MGM c. Grokster. Déjà promise comme étant l’affaire la plus importante pour le droit d’auteur depuis l’arrêt qui légalisa le Betamax en 1984 ; Grokster pourrait avoir des conséquences très importantes sur toute une industrie, sauf sur celle qui est pourtant visée.

En août dernier, la célèbre cour d’appel du 9e circuit américain, qui en 2001 avait mis fin à l’épopée Napster dans un arrêt meutrier pour le chat électronique, avait confirmé que les éditeurs de logiciels de Peer-to-Peer décentralisés n’étaient pas responsables du piratage qui avait lieu sur leurs réseaux. « Les défendeurs (Morpheus et Grokster, nrdlr) ne sont pas responsables de contribution et d’infraction indirecte au droit d’auteur« , avait conclu la Cour.

L’industrie du divertissement n’a bien sûr pas tardé à contester le conclusions des juges, pour demander à la Cour Suprême d’entendre l’affaire. Celle-ci a signalé début décembre qu’elle acceptait d’étudier à nouveau les positions fondatrices qu’elle exprimait vingt ans plus tôt dans le procès Betamax. « Les principes de droits d’auteur mis en place dans l’affaire Sony Betamax ont servi les innovateurs, les industries du copyright et le public pendant 20 ans« , a pourtant rappelé Fred von Lohmann, le juriste de l’Electronic Frontier Foundation qui défend StreamCast Networks (Morpheus) dans ce procès du P2P. Von Lohmann fait ainsi référence à l’explosion du marché des VHS, devenues en effet la première source de revenus d’Hollywood. Avec Betamax, la Cour Suprême avait jugé que l’on ne pouvait rendre le constructeur ou le distributeur d’une technologie responsable de violation de droit d’auteur dès lors que cette technologie avait d’autres utilités que celle de reproduire des œuvres sans autorisation.

Persuadée que le Peer-to-Peer peut être tout aussi bénéfique à terme pour les industriels, l’EFF demande à ce qu’on ne bloque pas une technologie pour un effet négatif supposé (mais non prouvé), sur un secteur économique particulier.

Le juge Thomas de la Cour d’appel l’avait d’ailleurs lui-même rappelé dans ses motifs : « l’histoire a montré que le temps et les forces du marché fournissent souvent un équilibre en balançant les intérêts, que la nouvelle technologie soit un piano automatique, un copieur, un enregistreur de bande, un magnétoscope, un ordinateur personnel, une machine karaoké, ou un lecteur MP3« . Dans les années 1930, l’industrie phonographique s’est presque totalement évanouïe face à la concurrence du transistor !

La question posée à la Cour Suprême est simple. Selon l’EFF, elle se résume ainsi : « Quand est-ce que le distributeur d’un outil aux intérêts multiples devrait être tenu responsable des infractions qui pourraient être commises par les utilisateurs finaux de cet outil ?« .

Pour le P2P, les conséquences seront nulles

L’arrêt de la Cour Suprême, attendu fin juin, n’aura aucune incidence sur le P2P mondial. Seuls seront véritablement visés dans le Peer-to-Peer les éditeurs de logiciels commerciaux dont le siège social se trouve aux Etats-Unis. Il s’agit principalement de StreamCast Networks, de LimeWire et de MetaMachine (eDonkey).

Or de plus en plus, ce sont les logiciels de P2P open-source dont le siège social s’appelle « la planète Terre » qui dominent les échanges mondiaux. BitTorrent, eMule, DC++, Shareaza, Gnutella, … tous ne sont en pratique soumis à aucun jugement. Même si l’américain Bram Cohen était enfermé pour avoir distribué BitTorrent, des développeurs du monde entier continueraient à assurer la prospérité du logiciel.

Bien plus que le P2P, c’est toute une amérique du copyright et de la culture qui attend fébrilement les conclusions des juges. AT&T, Sun, Verizon, la fondation Creative Commons, des professeurs de Droit, d’autres d’économie, des artistes, des associations de défense des libertés,… ils sont nombreux à avoir signé une quinzaine d’argumentaires en faveur des éditeurs de logiciels de Peer-to-Peer. De l’autre côté, ils sont également une quinzaine d’argumentaires à supporter les plaignants. On retrouve ainsi des associations d’auteurs et de producteurs, la BSA, Macrovision, d’autres professeurs, et des plateformes de musique ou de films en ligne. Ironie de l’histoire, Napster revient lui-même sous sa forme payante pour apporter son soutien à ceux qui l’ont fait fermé quatre ans plus tôt.

Le problème pour l’industrie américaine, c’est que bien des secteurs sont potentiellement touchés. Bien sûr, les magnétoscopes sont en première ligne. Mais l’on pense également aux photocopieurs, aux baladeurs, aux fournisseurs d’accès à internet, aux distributeurs de graveurs, aux fournisseurs de scanners, etc., etc. Pour chaque nouvelle technologie, il faudra se demander si elle peut être utilisée pour violer le droit d’auteur d’un tiers. Si oui, l’innovation sera laissée au placard.

« Si je vois plus loin que les autres c’est parce que je suis assis sur les épaules d’un géant« , disait Isaac Newton. Si la doctrine Betamax était renversée, la justice américaine risque d’empêcher le géant de grandir, et de faire naître de futures générations de nains.

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