Sur le papier, il est difficile de critiquer le Digital Markets Act (DMA), le grand texte de régulation du numérique de l’Union européenne. Les géants du web, comme Apple, Google ou Microsoft, sont devenus des entités plus puissantes que certains États, avec un pouvoir parfois démesuré sur de plus petites structures. Personne ne reproche à l’Europe de jouer son rôle, d’autant plus que certains des changements du DMA sont bienvenus (le retour de Fortnite sur iPhone vient de le prouver).
Malheureusement, le DMA peut aussi avoir des effets notoires, parce que la Commission européenne manque de compréhension des nouvelles technologies et que les géants américains s’amusent à appliquer le règlement à la lettre, quitte à dénaturer l’expérience utilisateur. Le risque grandissant pour les Européens est d’utiliser des produits moins pratiques, avec des fonctions en moins et des risques de problèmes en plus.
Supprimer App Store et Appareil photo : combien de personnes feront l’erreur ?
Jeudi 22 août 2024, Apple a annoncé 2 changements majeurs pour les iPhone européens (et seulement européens) :
- Un nouveau menu Applications par défaut fera prochainement son apparition dans les réglages. Il permettra de changer de navigateur, d’application mail, de magasin d’applications, d’application de paiement sans contact, d’application pour téléphoner, d’application pour envoyer des SMS, de gestionnaire de mots de passe, de clavier et de gérer le filtrage des appels. Dans un second temps, il permettra aussi de changer d’application de traduction ou de remplacer Apple Plans par une autre application de navigation (étrangement, la musique n’est pas concernée).
- Dans l’Union européenne, les utilisateurs pourront désinstaller toutes les applications, y compris les applications système (ce qui va forcer à Apple à réécrire une partie du code, au risque de provoquer des bugs quand quelqu’un tentera d’envoyer une photo par message). Les applications App Store, Messages, Appareil photo, Photos et Safari pourront entièrement être effacées.
Ces changements s’ajoutent à d’autres déjà effectués en Europe, comme l’ouverture de l’iPhone aux magasins concurrents de l’App Store, l’arrivée de pop-up pour changer de navigateur et de moteur de recherche ou la possibilité pour les banques de concurrencer Apple Pay via une émulation logicielle moins sécurisée.
Supprimer des applications système n’a aucun sens
En voulant imposer une concurrence, l’Union européenne oublie une des raisons premières pour laquelle les consommateurs choisissent l’iPhone : sa simplicité. Même si c’est de moins en moins vrai, chaque mise à jour majeure d’iOS ajoutant de nombreuses nouveautés, l’iPhone reste régulièrement recommandé par les vendeurs en tant que téléphone facile à utiliser. Là où Android a toujours défendu la personnalisation totale, Apple préfère une approche plus directe, afin de proposer un produit plus universel. Il est étrange de ne pas considérer la raison pour laquelle les consommateurs choisissent une marque dans une régulation.
Quel est le pourcentage d’utilisateurs réellement agacé par la présence de l’App Store ou de l’Appareil photo sur son téléphone, alors qu’il est possible de cacher n’importe quelle icône si on le souhaite ? Le problème n’est pas de laisser aux utilisateurs les plus expérimentés cette possibilité. Il est de prendre le risque de laisser une personne âgée peu à l’aise avec les technologies supprimer ces applications essentielles, sans forcément savoir les réinstaller toute seule. Les applications système ont d’ailleurs d’autres rôles dans le système d’exploitation, ce qui pourrait casser plusieurs parties du code si aucun gestionnaire de photos n’est installé par exemple.
Autre question : comment réinstaller une application système ? Aujourd’hui, quand on supprime une application native, il faut passer par l’App Store (ce qui n’est pas toujours évident). Demain, avec un App Store supprimable, il faudra sûrement se rendre directement dans les réglages pour le réactiver. De quoi rajouter une couche de complexité à un OS censé être facile. Ne serait-il pas plus simple de proposer un réglage optionnel pour déverrouiller l’iPhone en Europe, plutôt que de l’imposer à tous ?
Changer une application par défaut est une bonne idée… mais qui va renforcer les autres géants
Concernant les applications par défaut, la volonté de l’Union européenne est moins choquante. Il est normal de contraindre Apple à proposer d’autres applications que les siennes, même s’il est aussi vrai que cela faisait partie de sa « simplicité ». Il y a toujours un risque qu’un novice change d’application par défaut, voire qu’il se fasse avoir par une arnaque avec un Téléphone bourré de publicités. Mais on peut imaginer qu’Apple saura mettre en place de nombreux obstacles (avec le risque que l’UE le sanctionne).
En revanche, ce qui est assez déconcertant est que les grands gagnants de ces changements seront probablement les autres GAFAM. Qui imagine vraiment un utilisateur remplacer Apple Plans par un GPS européen, alors qu’il existe Google Maps et Waze ? Si l’idée de l’UE est bonne, la réalité risque d’être contre-productive, avec pour risque de renforcer les géants américains qu’elle combat.
L’Union européenne : un futur marché de seconde zone pour les géants de la tech ?
S’ajoute à la complexification de l’iPhone par l’Union européenne la volonté d’Apple de lui mettre des bâtons dans les roues, en retirant notamment plusieurs fonctions majeures d’iOS 18, dont Apple Intelligence, du marché européen. En l’état, seuls les joueurs de Fortnite profitent pour l’instant du DMA. Les autres, à moins de foncièrement haïr Safari ou l’application Messages, ne font que perdre en praticité (et en nouveautés).
Dans un futur pas si éloigné, à quoi ressemblera l’iPhone en Europe ? Faudra-t-il choisir manuellement une quinzaine d’applications par défaut au démarrage ? Faudra-t-il télécharger une application de paiement par carte bancaire ? Faudra-t-il configurer son téléphone en anglais américain pour débloquer les dernières nouveautés ? L’Union européenne, qui apporte beaucoup d’avancées (dont l’USB-C, ne l’oublions pas), est dans un bras de fer dangereux avec les géants de la tech. Les Européens gagneront sur certains aspects, mais risquent de perdre sur beaucoup d’autres. Le DMA ne doit pas juste permettre aux développeurs d’augmenter leurs marges, il doit aussi faire des produits tech de meilleurs objets. Pour l’instant, c’est raté.
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