Les armées européennes sont-elles prêtes pour une guerre moderne ? À entendre des ingénieurs militaires ukrainiens que Numerama a rencontrés, la réponse est non. « Je n’ai pas l’impression qu’elles réalisent ce que représente une guerre avec des drones », ont-ils souligné lors de nos échanges.
En Ukraine, le drone est l’un des éléments les plus décisifs sur le champ de bataille. On observe à travers lui, on se renseigne, on améliore la précision des tirs, on mène des attaques directes, on explose des blindés, on détruit des raffineries et dernièrement, on brûle des tranchées. Le ciel ukrainien bourdonne sous les drones, et dans les deux camps, on en abat chaque jour : près de 10 000 drones tomberaient au sol, désactivés ou détruits, chaque mois. Kiev augmente donc sa production : le pays serait capable d’en produire mensuellement 150 000 désormais. Le minimum pour faire face à une Russie qui recrute sans cesse de nouveaux soldats et se pourvoit tout autant en aéronefs sans pilote.
Et tout cela sans compter les milliers de commandes mensuelles à la Chine. « L’immense majorité de nos achats se font en Chine. Les entreprises locales sont en mesure de répondre aux commandes, que ce soit pour les drones ou le matériel pour en fabriquer. La qualité de certains composants – l’optique ou les GPS – est peut-être moins bonne, mais elle est suffisamment correcte pour être déployée sur le front » explique Volodymyr, qui travaille pour les centres de développement militaires.
Malgré l’interdiction de DJI, le leader sur le marché du drone touristique, de vendre ses appareils en Ukraine et Russie, les produits chinois continuent d’affluer dans les entrepôts militaires.
« De toute façon, entre les brouilleurs, les défenses anti-aériennes et les tirs, un drone ne tient jamais longtemps dans les airs. Il faut donc quelque chose de bon marché et que l’on peut rapidement remplacer. Le plus important pour nous, c’est le volume » insiste Volodymyr. « Et c’est quelque chose que l’Europe de l’Ouest n’a pas encore saisi ».
Des drones de combat encore trop chers pour être produit en masse
En janvier 2023, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, annonçait l’acquisition de 3 500 drones pour la prochaine loi de programmation militaire. En mars, il lançait la commande de 2 000 munitions téléopérées à destination des armées françaises et de l’Ukraine. Est-ce assez ? En temps de paix peut-être, mais le ministre a lui-même déclaré qu’il faut se « préparer à la guerre qui pourrait nous tomber dessus demain » dans une interview accordée à Ouest-France.
Quelques modèles de drones récemment présentés lors des salons militaires paraissent convaincants et affichent des performances intéressantes, mais « ils ne tiendront pas longtemps dans une guerre comme celle que mène la Russie en Ukraine » constate l’ingénieur ukrainien. « Ces appareils sont trop onéreux, et la saturation du ciel risque quand même de le faire tomber à un moment ou un autre. À quoi bon avoir un drone à 100 000 euros, s’il peut disparaitre en moins de vingt minutes » ajoute un autre ingénieur militaire ukrainien.
Les bijoux de technologies exposés par les grands industriels ne répondent pas aux exigences d’une guerre moderne, selon les industriels ukrainiens. En tout cas, pas encore. « Pour le prix d’un drone, les Ukrainiens peuvent en fabriquer dix ou vingt », note ainsi Léo Péria-Peigné, chercheur, spécialiste de la Défense, au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Un pacte drone pour lancer la production française
Il faut dire que la production française est freinée par une flopée de normes qui empêche les drones de décoller librement. « Un appareil volant doit se conformer à la fois aux normes civiles françaises, européennes, mondiales, mais aussi aux exigences militaires qui viennent s’y ajouter. Il doit en outre être testé in extenso, un processus long et couteux, là où les Ukrainiens développent, testent et utilisent leurs nouveaux drones en quelques mois » nous explique le chercheur.
« L’autre souci est la peur de l’éviction dans l’armée française. Certains éléments d’armée s’inquiètent d’un remplacement de leur artillerie par des drones. La polyvalence de l’armement n’est pas encore complètement intégrée », relève-t-il.
Toutefois, un réveil a bien été entamé. Le ministère a signé un « pacte drones aériens de défense » le 17 juin 2024 à l’occasion du salon Eurosatory, avec plus de 50 industriels de toutes tailles, et de divers horizons (dronistes et équipementiers). L’objectif est de déployer des capacités de production qui répondent aux enjeux et avancées technologiques actuelles. Du moins, si une nouvelle stratégie de combat n’émerge pas d’ici là en Ukraine.
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