Il y a tout juste un an, Europol annonçait le lancement d’une nouvelle unité baptisée European Union Internet Referral Unit (EU IRU), mise sur pieds pour « combattre la propagande terroriste et les activités extrémistes violentes liées sur internet ». Calquée sur une initiative de la police britannique, toute la stratégie de l’EU IRU consiste à négocier directement avec les plateformes web privées la suppression de contenus que la police européenne considère être contraire au droit, ou en tout cas comme flirtant dangereusement avec les limites démocratiques habituelles.
L’idée générale qui a fait bondir avait été donnée dans un document (.pdf) qui devait rester confidentiel, par le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove. Il y écrivait, et les parenthèses sont essentielles, que les États devraient signaler aux plateformes privées « les contenus terroristes ou extrémistes qui violent les propres termes et conditions des plateformes (et pas nécessairement la législation nationale) ». En clair, il proposait d’instrumentaliser les contrats pour aller plus loin que la loi, à l’abri du regard parfois tatillon des législateurs nationaux, afin d’obtenir par ce biais la censure de contenus qui pourraient être jugés légaux par les juridictions de chaque pays.
Europol agit en dehors de l’état de droit sur plusieurs plan
En juillet 2015, Europol avait donc expliqué que l’EU IRU « puisera dans les relations de confiance qui existent entre les autorités de police [et] le secteur privé » et « fournira aux États membres un appui opérationnel sur la manière de réaliser plus efficacement la détection et la suppression d’un volume croissant de contenus terroristes sur internet et sur les médias sociaux ».
Un an plus tard, selon des chiffres fournis à Ars Technica, Europol aurait évalué environ 8 000 messages sur 45 plateformes, et signalé 7 000 messages pour demander qu’ils soient supprimés, avec un taux de succès d’environ 91 %. Des détails plus précis devraient être publiés dans les jours prochains par la police européenne. Ils permettront peut-être de voir combien d’actions judiciaires ont été menées à la suite des détections et signalements de messages.
Mais pour l’association AccessNow, qui milite pour la protection des droits fondamentaux sur Internet (ce que la France prétend demander aussi), aucune des craintes dénoncées il y a un an n’est aujourd’hui écartée. Elle estime que l’EU IRU agit « en dehors de l’état de droit sur plusieurs plans », parce que la justice étatique doit primer face aux illégalités. Par ailleurs, « reléguer le traitement des contenus illicites à un tiers, et lui laisser la discrétion de l’analyse et de la poursuite, n’est pas juste paresseux, mais extrêmement dangereux ».
On rappellera qu’en principe, les grandes plateformes publient toutes régulièrement des rapports de transparence, qui font état du nombre de contenus qu’elles suppriment à la demandes des États, sur la base de leur législation. Cependant toutes ne parlent dans ces rapports que des contenus qui leur sont notifiés par les voies officielles, judiciaires ou administratives. Or tout le principe de l’EU IRU est de fonctionner sur des bases informelles, assises sur les contrats d’utilisation des plateformes, plutôt que sur la loi. Les suppressions ainsi acceptées de gré à gré dans le cadre d’une modération habituelle ne font donc pas l’objet de rapports de transparence, qui sont un trompe-l-œil démocratique.
Mais pour Europol, qui reflète ici la pensée de la plupart des états européens, c’est là un mal nécessaire que de s’en remettre aux contrats privés pour aller plus loin que la loi et la justice publiques, dans un domaine aussi sensible et important que la lutte contre le terrorisme. La fin justifierait les moyens.
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