Même si elle ne fait pas la une des quotidiens parce qu’elle est arrivée très rapidement dans l’histoire du web, la transformation du commerce et de l’e-commerce est toujours en train de prendre de la vitesse en 2016. L’achat sur le web était la première étape : aujourd’hui, on parle plus de livraison ultra-rapide, de service après-vente ou de boutiques webs très spécialisées. Une deuxième vague de bouleversement qui semble poindre alors que les soldes web ont aujourd’hui largement remplacé leurs équivalents physiques, montrant que l’expérience physique du magasin est très souvent quelque chose de pénible.
Pour les boutiques physiques, les signes d’une fin de règne commencent à percer : quand un Amazon Prime Now pointe le bout de son nez et fait peur à l’écosystème, des startups se lancent d’un autre côté pour aider à accélérer les transformations en cours. Cela dit, contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, ces modifications ne signent pas l’arrêt de mort du magasin au sens physique du terme : il semblerait que ce soit plutôt une reconversion qui s’annonce.
Et la tendance n’est pas nouvelle : elle a peut-être été seulement trop longtemps sous-estimée. Aujourd’hui, de nombreuses marques utilisent des espaces physiques pensés comme des lieux premium qui proposent moins de service que leurs équivalents web. Cela va de l’Apple Store dans lequel vous n’aurez pas sur place toutes les configurations possibles pour acheter un ordinateur aux magasins de marque Hi-Fi qui aménagent des salles d’écoute spéciales, à l’industrie de la mode qui ne garde pas des stocks complets dans ses inventaires.
On pourrait dire que, d’une certaine manière, le web est devenu une sorte de supermarché pensé pour l’achat, la pénibilité en moins, et que la boutique physique est une expérience qui va du test du produit au conseil client. Si c’est loin d’être la norme partout, c’est en tout cas ce qui semble se dessiner — et l’ouverture d’un showroom Made.com en plein cœur de Paris devrait donner des idées à tout l’écosystème.
L’ouverture d’une boutique au 52 rue Étienne Marcel à Paris pour ce géant moderne du meuble a pourtant de quoi intriguer. Car si Made.com a pu être ce qu’il est aujourd’hui, c’est uniquement grâce au web. Quand Ning Li et Julien Callede ont fondé cette entreprise en 2010, l’idée était de pouvoir rendre accessible à tous des collections de meuble design qui sortent des classiques qu’on trouve dans la distribution de masse, Ikea en tête. « En coupant tous nos intermédiaires et grâce à une présence uniquement en ligne, nous avons réussi à casser les prix du mobilier design », nous confie Ning Li.
Made.com a utilisé toutes les ficelles du web
Pour lui, Made.com a utilisé toutes les ficelles possibles pour tirer partie du web en se prémunissant des problèmes qui lui sont inhérents. Par exemple, au début, Made.com attendait qu’il y ait beaucoup de commande sur un modèle pour lancer l’ordre de production à une usine pour réduire au maximum les coûts — ce qui entraînait des délais de livraison très longs. Aujourd’hui, sur certains produits très populaires, l’entreprise peut tourner en flux tendu et livrer des meubles sous 3 semaines directement depuis les usines — la plupart d’entre elles sont en Chine.
Le web permet aussi à Made de tester des modèles sans prise de risque : ce ne sont que des images affichées sur un site web sans stock derrière. Si un produit prend, il sera réalisé. S’il ne fonctionne pas, la marque l’abandonne. Pour injecter de nouvelles idées, Ning Li fait appel à une équipe de designers interne mais également à des designers freelance qui proposent des collections au site ou participent aux concours organisés par les équipes de Made. Cette course effrénée à la nouveauté permet à Made.com d’enrayer le problème de la copie : sur ses imitateurs, l’entreprise a toujours une collection d’avance.
Mais alors quel est l’intérêt d’ouvrir un magasin pour une marque qui semble avoir très bien compris les codes du commerce sur le web et de l’industrialisation moderne sans stock et sans retours ? La réponse donnée par Ning Li ne vous étonnera pas si vous avez lu le début de l’article : « Nous avons voulu créer un espace convivial où les gens peuvent venir voir une infime partie de nos collections ». Et en effet, tout respire l’expérience prestige, pas du tout la vente. Aucun prix n’est affiché sur les meubles et vous ne pourrez pas repartir avec un produit. Les canapés, lits et bureaux exposés sont faits pour être utilisés : Made souhaite que les passants s’approprient l’espace.
Et si vous vouliez acheter quelque chose ? C’est possible… mais sur le site web. Des ordinateurs sont mis à disposition du public pour qu’ils puissent passer commande. Des tablettes NFC sont prêtées à l’entrée pour que les clients puissent scanner les meubles qu’ils voient pour les ajouter à leur panier. Ils auront alors toutes les informations sur le prix, la date de livraison ou les matériaux.
Des échantillons de tissu sont disponibles « pour repartir avec quelque chose de physique ». Made a même conçu une sorte de dispositif immersif en réalité augmentée dans lequel un client peut placer des objets réels sur un plateau qui se transformeront en meubles virtuels sur une image projetée à l’écran.
Du coup, le lieu n’a aucun point commun avec un magasin et s’impose comme une sorte de pont entre le commerce à l’ancienne et l’e-commerce, avec une touche galerie d’art pour la vitrine. Made souhaite d’ailleurs partager ses 840 m2 : si un projet est en phase avec la marque, elle se fera un plaisir de l’accueillir dans un coin de l’espace.
Reste à voir si cet investissement prestige permettra à la marque de renforcer sa présence sur le territoire : il n’est pas garanti que les Français, plus pudiques dans leur rapport à la consommation, s’approprient le showroom comme l’ont fait leurs voisins britanniques qui n’hésitent pas à utiliser l’espace comme un point de rencontre.
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