Tout le monde a déjà entendu la théorie selon laquelle Facebook nous écoute. Depuis l’apparition des premiers smartphones et de la publicité ciblée, une grande partie des utilisateurs est convaincue que les applications utilisent le microphone de nos appareils pour enregistrer nos conversations privées, les retranscrire et proposer de la publicité en rapport avec nos dires personnels. En réalité, même si Facebook et les autres usent bien de nombreux stratagèmes pour nous cibler, ils ne peuvent pas nous écouter.
Pourtant, dans de nombreux articles publiés le 3 septembre 2024 en France et ailleurs, on peut lire qu’un rapport vient de prouver que Facebook écoutait ses utilisateurs. Il n’en est en réalité rien, puisque cette hypothèse est strictement impossible.
Il est impossible d’accéder au micro d’un smartphone moderne
Première question : d’où vient ce rapport ? Si certains médias français viennent de se faire avoir, il s’agit en réalité d’un document publié le 14 décembre 2023 par 404 Media, enrichi à la fin de l’été 2024. Il raconte que des entreprises comme CMG (Cox Media Groups) proposent aux marques des outils pour vendre leurs produits grâce aux enregistrements sonores des appareils connectés. À l’époque, cet article avait déjà grandement fait parler.
Si certains le considèrent comme la preuve d’un effroyable espionnage, d’autres remettent sérieusement en question les dires de CMG, qui abuseraient fortement sur les capacités réelles de ses outils pour convaincre les marques. Comme le rapportait Ars Technica le 16 décembre, l’entreprise déforme la réalité. Elle a elle-même admis qu’elle ne récupérait que des données sonores anonymisées, en conformité avec les conditions générales des applications concernées. CMG a peut-être accès à certaines questions posées à Google Assistant dans le cadre de certaines applications, mais n’a aucunement la possibilité d’écouter une conversation privée. Toute la paranoïa créée par son existence est donc fausse.
Le 26 août 2024, plusieurs mois après la polémique, 404 Media est revenu sur cet incident en publiant le document fourni par CMG aux marques pour vendre son produit. Le site explique que Google ne souhaite plus travailler avec l’entreprise après la polémique et continue d’avoir un doute sur ses capacités réelles. C’est cet article qui est malencontreusement repris par plusieurs médias, qui n’ont pas pris en compte le fait que l’information avait déjà été démentie.
Et c’est aussi mal connaître la technologie qui est dans nos mains. iOS et Android, les deux systèmes d’exploitation principaux sur mobile, indiquent avec une icône orange quand le micro est ouvert. Il s’agit d’une contrainte matérielle, qui rend impossible tout contournement. Si des annonceurs peuvent récupérer des enregistrements audio réalisés volontairement (un vocal dans une application, une question à un assistant…), il est impossible qu’une application Facebook écoute tout en permanence sur un smartphone. Elle pourrait le faire sur un téléviseur connecté, mais l’intérêt est plus limité (et rien n’a été prouvé).
Enfin, il faut toujours appliquer le rasoir d’Ockham en pareille situation. Si des entreprises parvenaient à contourner les protections des systèmes d’exploitation et qu’elles réussissaient à masquer leur activité réseau (oui, il faut utiliser des données pour envoyer des fichiers audio), pourquoi s’embêteraient-elles à analyser des centaines d’heures quotidiennes de flux audio, un processus coûteux et chronophage, quand des méthodes très simples de ciblage performant existent ? Cette théorie, qui plaît à nos cerveaux complotistes, n’a aucun intérêt économique et dans la publicité, c’est cette rationalité qui prime.
Quid du fonctionnement des assistants vocaux, comme Siri ou Google Assistant ? Ces technologies reposent sur une écoute passive et locale. Le son capté par le téléphone n’est jamais envoyé sur des serveurs, mais analysé par la puce de l’appareil. Quand le mot-clé est prononcé (Dis Siri, OK Google, Alexa…), alors l’enregistrement démarre, avec une transmission de la requête à un serveur. Les marques peuvent alors exploiter ces extraits (et encore, ils sont souvent anonymisés), mais elles ne peuvent pas écouter les conversations privées. Rien qu’au niveau de la batterie, un transfert permanent de l’audio vers un serveur réduirait l’autonomie d’un smartphone à seulement quelques heures.
Comment Facebook fait pour nous cibler ?
Alors oui, les réseaux sociaux sont forts pour nous cibler. Une conversation sur une veste entre deux amis aboutit souvent à une pub pour cette même veste, sans que vous l’ayez recherchée en ligne avant.
Comment expliquer ce phénomène ? Il y a plusieurs possibilités. Les applications peuvent analyser le temps passé sur une publication, les messages (chaque messagerie a sa propre politique de confidentialité), l’historique de navigation… Elles ont aussi la possibilité de deviner quel ami était chez vous grâce à un Wi-Fi commun, pour vous proposer des publicités pour ses recherches, en imaginant que vous en avez parlé…
Bref, les publicités ciblées sont très sophistiquées, mais n’ont pas besoin de vous écouter en permanence.
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