À la fin du mois d’août, l’armée ukrainienne a dévoilé des statistiques fort intéressantes. Selon le compte-rendu disponible en ligne, les militaires de Kiev ont en effet présenté un bilan précis de l’efficacité de leur défense anti-aérienne. Avec des chiffres parfois très bons, comme ce taux d’interception des missiles Kinjal, de 25 % pour 111 tirs, ou encore ces trois interceptions du missile Zircon.
Ce type de missiles, présentés comme hypersoniques, avaient pourtant été décrits en mars 2018 comme « invincibles » par le maître du Kremlin, Vladimir Poutine.
Comme leur nom l’indique, les armes hypersoniques renvoient plus précisément aux vecteurs capables d’évoluer à la vitesse hypersonique, rappelle Emmanuelle Maître à Numerama. Soit plus de Mach 5, c’est-à-dire environ 6 000 km/h. En comparaison, le seuil supersonique démarre à Mach 1, soit 1 225 km/h.
Mais une deuxième dimension est toutefois cruciale à prendre en compte, ajoute cette chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, un think tank.
Ces armes, que ce soit des missiles propulsés par un superstatoréacteur ou des planeurs lancés par une fusée, doivent en effet être manœuvrables, notamment à basse altitude. Ce qui rend bien plus compliquée leur détection et leur interception. C’est cela qui les distinguent des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) mis au point à la fin des années 1950, des engins volant déjà à des vitesses hypersoniques.
Dans les années 1950, le Dyna-Soar, un planeur pour espionner et bombarder
L’arrivée de ce genre d’armes donne déjà le tournis aux militaires. Les auteurs de science-fiction de la « Red team » du ministère des Armées ont ainsi planché dans l’un de leurs récents scénarios prospectifs sur les conséquences de leur prolifération. « Ces engins, capables d’atteindre des vitesses vertigineuses, redéfinissent les règles du combat, ils constituent une épée de Damoclès permanente », signalent-ils dans une vidéo léchée. Résultat : pour mieux se défendre, les États investissent dans de coûteuses forteresses, sacrifiant au passage leur mobilité.
Nous n’en sommes pas encore là. Aux États-Unis, tout avait commencé avec le programme Dyna-Soar. Lancé en 1957, il doit aboutir à la mise au point du X-20, un planeur hypersonique. On imagine alors confier à l’aéronef aux airs de navette spatiale des missions de reconnaissance ou de bombardement. Six ans plus tard, le programme est abandonné. Des recherches similaires pour mettre au point des missiles nucléaires hypersoniques tombent également à l’eau. Il est bien plus simple et efficace de s’appuyer sur des missiles balistiques.
Outre-atlantique, l’intérêt pour ces armes renaît toutefois au début des années 2000. L’administration Bush cherche à mettre au point une arme pour frapper depuis les États-Unis des cibles éloignées, et ce même si l’oncle Sam n’a pas de présence militaire à proximité. Cela pourrait être par exemple un camp terroriste en Afghanistan. Vingt ans plus tard, ces longues recherches sont en train d’aboutir, engloutissant au passage des crédits conséquents. Le Pentagone a ainsi demandé pour la seule année 2025 6,9 milliards de dollars (environ 6,2 milliards d’euros).
Mais même à ce prix-là, il y a eu un coup de rabot sur les ambitions initiales. Le « Dark Eagle », cette arme testée avec succès en juin 2024, a finalement une portée plus faible. Construite par Lockheed Martin et Northrop Grumman, elle doit pouvoir toucher sa cible jusqu’à environ 2 775 kilomètres, tout en étant manœuvrant pour compliquer sa détection et son interception.
L’Avangard, l’arme hypersonique de Vladimir Poutine
Les États-Unis ne sont pas les seuls à s’intéresser aux armes hypersoniques. Lors de la guerre froide, les Soviétiques font également leurs propres recherches, « mais leur objectif est différent », souligne Emmanuelle Maitre. Moscou veut alors mettre au point un missile de dissuasion chargé de percer le bouclier antimissile américain. Une arme dont l’intérêt stratégique n’est pas si évident. En cas de guerre nucléaire, il pourrait être plus simple et moins coûteux de faire une attaque par saturation avec des missiles balistiques.
Ces travaux poursuivis par la Fédération de Russie ont finalement débouché en 2018 avec l’Avangard. Ce planeur combiné à un lanceur est capable d’emporter une charge nucléaire. Il est censé voler à environ 32 000 km/h (Mach 27) et être d’une grande manœuvrabilité. Mais seul problème : en réalité, « on ne connaît pas ses caractéristiques exactes », pointe Emmanuelle Maitre.
La Russie aurait d’ailleurs un intérêt tout trouvé à gonfler les performances de son planeur. Car le terme hypersonique est devenu synonyme de prouesse technologique. La revendication par Moscou d’un leadership sur ce sujet, suivie de la Chine, la Corée du nord ou l’Iran, est également à mettre en regard des difficultés américaines à finaliser leurs propres armes. « Pouvoir affirmer que l’on est en avance, c’est très vendeur, observe Emmanuelle Maitre. Mais au Congrès américain, il y a le même genre de discours sur l’avance de pays hostiles, pour réclamer ainsi davantage de crédits. »
Arme ultra rapide, mais arme de luxe
En clair, au-delà des difficultés technologiques, la bataille autour des armes hypersoniques a aussi des airs de guerre de propagande. L’avance russe est d’ailleurs à relativiser. Au-delà de l’Avangard, le Kinjal, tiré par la Russie contre l’Ukraine, n’est pas considéré comme une arme hypersonique par les spécialistes. C’est d’abord, rappellent Stéphane Delory et Christian Maire dans une note de la Fondation pour la recherche stratégique, un « missile aéro-balistique ». Soit un missile tiré d’un avion qui adopte après le tir une trajectoire balistique ou quasi-balistique.
L’intérêt de ce genre de missile, notent également les auteurs, est à relativiser. Certes, le Kinjal, tiré à faible portée de l’ennemi comme la Russie le fait, permet des opérations à bref préavis sur des cibles fugaces. Mais d’un autre côté la technologie retenue limite les gains de vitesse et de portée. Et contrairement à ce qu’affirmait Vladimir Poutine, si l’on en croit les statistiques ukrainiennes, il ne s’agit pas d’une arme invulnérable ni vraiment manœuvrante.
Autant de réserves qui pourraient disparaître avec l’arrivée des « vrais » missiles hypersoniques sur les théâtres d’opérations. Mais à quel prix ? L’achat de 300 vecteurs tels que ceux développés en ce moment aux États-Unis est estimé par le Congrès à 44 millions de dollars par missile. Faisant de ces engins des armes de luxe réservées aux cibles militaires les mieux défendues, à l’heure où la guerre en Ukraine rappelle le grand intérêt d’armes low cost et rustiques.
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