La France a réalisé en 2023 un premier essai d’un planeur hypersonique, capable d’aller au-delà de Mach 5. Par ailleurs, il y a dans les tuyaux un missile air-sol de nouvelle génération. Deux programmes d’armes hypersoniques qui doivent permettre à la dissuasion nucléaire française de rester crédible.

Cocorico ! Ce mardi 27 juin 2023, la direction générale de l’Armement (DGA) pavoise. Le tir d’essai du démonstrateur d’un planeur hypersonique, le VMaX, – pour Véhicule Manœuvrant eXpérimental – a enfin eu lieu la veille à Biscarrosse, dans les Landes (sud-ouest). Avec lui, la France met un pied pour de bon dans le milieu hypersonique, à des vitesses au-delà de Mach 5 (environ 6 100 km/h).

« Ce premier démonstrateur contenait de nombreuses innovations technologiques embarquées, rappelle cette administration du ministère des Armées, chargée d’encadrer le développement des futurs matériels de défense du pays. Son essai en vol, sur une trajectoire à longue portée très exigeante, constituait un défi technique inédit qui prépare l’avenir de notre feuille de route nationale hypervélocité. »

C’est un « nouveau jalon », embraye le ministre Sébastien Lecornu. « La France est désormais entrée dans le club des puissances qui sont capables de développer une stratégie hypersonique », résume plusieurs mois plus tard Emmanuel Chiva. Le délégué général pour l’armement — patron de la DGA — s’exprimait devant les députés. Un club très fermé qui compte, rappelait au Monde Joseph Henrotin, chargé de recherches au Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux, la Chine, la Corée du Sud, « possiblement » la Corée du Nord, les États-Unis, le Japon et la Russie. L’Iran revendique aussi faire partie de la bande.

Des recherches françaises « logiques » vers le seuil hypersonique

« Dans la dissuasion nucléaire, ce qui est essentiel, c’est la crédibilité, signale à Numerama Philippe Wodka-Gallien, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique. C’est donc logique que la France cherche à perfectionner son dispositif. C’est à la fois un message envoyé à ses alliés et à ses adversaires potentiels ». Dans l’Hexagone, l’ancienne ministre Florence Parly avait donné officiellement le top-départ du programme VMaX en janvier 2019. « Beaucoup de nations s’en dotent, nous disposons de toutes les compétences pour le réaliser : nous ne pouvions plus attendre », rappelait-elle. Avant d’annoncer un premier essai en vol d’ici à la fin 2021. Une échéance finalement repoussée de dix-huit mois environ. 

Mais on s’intéresse à ces très grandes vitesses depuis bien longtemps. « Dès la fin des années 1950, la France a expérimenté des appareils volant à plus de Mach 3, rappelle Philippe Wodka-Gallien. Quelque part, c’est le Concorde qui a révélé ces exploits technologiques. Même si là, il s’agit de fabriquer un engin militaire porteur d’une arme atomique. » Des ingénieurs ont ainsi planché sur une maquette d’un tel engin hypersonique en 1968. Et si ces travaux de recherche s’étalent sur plusieurs décennies, c’est parce qu’il s’agit d’un casse-tête. Dans son plan stratégique scientifique de 2015-2025, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera) observait que ces armes restent « un défi scientifique et technologique majeur. »

Des briques technologiques à assembler

Il faut en effet mettre au point des matériaux capables de résister à la vitesse et à la chaleur, mais également trouver des solutions aérodynamiques et des astuces pour rendre le tout furtif. Ce même organisme avait par exemple signalé en 2013 avoir « réussi à développer un matériau haute température bon marché permettant de repousser la limite thermique du vol hypersonique ». Ce genre de missiles peut en effet être soumis à des températures de paroi atteignant 2 000 degrés Celsius.

Des briques technologiques qui pourraient également servir à concevoir un avion militaire, mais à plus long terme. Actuellement, l’Onera planche ainsi sur le projet de recherche Espadon. L’organisme avait ainsi dévoilé en 2023 au salon du Bourget une maquette d’un aéronef qui n’est pas attendu au mieux avant les années 2050.

Un premier programme, le VMaX, suivi du futur VMaX 2

Concrètement, la France a lancé deux programmes. Il y a tout d’abord le planeur hypersonique VMaX. ArianeGroup, qui développe les fusées Ariane, supervise ce dossier. Ce planeur, non propulsé, est censé rebondir sur les couches de l’atmosphère à la vitesse de Mach 5. Le quotidien L’Opinion avait relevé que l’exemplaire de démonstration avait été lancé grâce à une fusée sonde achetée aux États-Unis par la DGA.

Planeur hypervéloce VMaX. // Source : DGA
Image de synthèse du planeur hypervéloce VMaX. // Source : DGA

Le premier vol de juin 2023 doit désormais être suivi d’un second prototype, le VMaX 2. On l’espère pour cette année ou la suivante. On n’en sait guère plus à ce starde. Emmanuel Chiva s’était excusé de ne pas rentrer dans les détails pour « des raisons de confidentialité et de secret défense ».

« Même si elle ne rentre pas dans les détails, la communication officielle sur ces programmes est très abondante, relève cependant Philippe Wodka-Gallien. Dans la dissuasion nucléaire, ce qui compte, c’est que l’adversaire soit informé que nous ayons cette capacité. Les essais servent à appuyer la crédibilité de la force de frappe. L’adhésion du citoyen est également importante, il faut donc qu’il soit informé. »

Un deuxième programme, l’ASN4G, pour un missile hypersonique

L’autre programme lancé en France est connu sous l’acronyme d’ASN4G. Une dénomination qui signifie missile air-sol nucléaire de quatrième génération. Ce sont les Rafale de l’armée de l’Air qui doivent le tirer d’ici une décennie. Il remplacera à l’horizon 2035, et pour la vingtaine d’années à venir, l’ASMPA-R, pour air-sol moyenne portée amélioré rénové.

Le missile vient tout juste d’être évalué avec succès. Ce dernier est propulsé par un statoréacteur. Ce genre de moteur, sans pièce mobile, comme son nom l’indique, doit lui permettre d’atteindre la vitesse Mach 3 (environ 3 700 km/h), évaluaient l’Usine nouvelle ou Air & Cosmos.

Outre la vitesse, en allant encore plus vite, son successeur devra être plus manœuvrable et ainsi être « détecté le plus tardivement possible » pour compliquer la tâche d’un missile antimissile, expliquait à l’Assemblée nationale l’un des cadres du missilier MBDA, qui a la responsabilité de sa construction.

Concrètement, le futur missile à superstatoréacteur devra être capable d’aller à Mach 5. Et il ne devra pas être trop gros ou trop lourd pour pouvoir être embarqué par le Rafale. Sa genèse remonte à loin maintenant. Les études menées à partir des années 2000 avec l’Onera dans le cadre du programme Prométhée avaient permis, à l’époque, « de valider un certain nombre de grands principes » sur les vols hypersoniques d’un missile à superstatoréacteur. Un autre programme, Camosis, planchait dans le même temps sur la furtivité. Avant que les derniers choix, en termes de capacité et de performance, ne soient faits en 2021 par le chef de l’État.

La bataille du glaive et du bouclier

À MBDA, une dizaine de personnes planchent sur les défenses que le nouveau missile devra surmonter. Une réflexion facilitée par les autres travaux de l’entreprise. Elle coordonne en effet le projet Hydis 2, pour HYpersonic Defence Interceptor Study. Il s’agit cette fois de plancher sur… un intercepteur hypersonique, les missiles chargés de détruire ces nouvelles armes hypersoniques. Soit l’éternelle bataille entre le glaive et le bouclier à la sauce high-tech.

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