Chaque mercredi, les abonnés Numerama+ découvrent la newsletter Toujours Plus. Entre humeur, analyse et réflexion, elle explore la tech, ses enjeux financiers et sociétaux… et son avenir. Le sujet de la semaine s’accompagne d’un aperçu exclusif des coulisses de la rédaction et de conseils pour briller en société. Cette semaine, c’est l’exode de X qui est questionné.

Comme à chaque fois que quelque chose d’important se passe dans le monde, un exode massif des réseaux sociaux mainstream se dessine. En plus de 20 ans sur le web, j’en ai connu des tas. Les plus célèbres étaient ceux de Facebook ou Instagram, à chaque problème lié de près ou de loin à Mark Zuckerberg. À chaque fois, pourtant, les observateurs et observatrices ont réalisé que ces mouvements de foule étaient de courte durée.

Soit les personnes qui étaient parties quittaient rapidement les réseaux sociaux – c’était donc le déclencheur d’une volonté plus profonde, compréhensible. Soit, dans la majorité des cas, elles revenaient à ces réseaux initiaux… car les alternatives nourries par ces mouvements de foule n’ont jamais marché. Dans l’histoire du web, un réseau social n’a percé que parce qu’il a inventé de nouveaux usages rapidement adoptés par une masse d’utilisateurs – Facebook, Instagram, Twitter ou encore TikTok ne sont pas historiquement des points de chute de mécontents.

Le mouvement DARK MAGA d'Elon Musk. // Source : Elon Musk / X
Le mouvement DARK MAGA d’Elon Musk. // Source : Elon Musk / X

Quitter X ou ne pas quitter X : un problème pas si complexe à résoudre

Après l’élection de Donald Trump, beaucoup ont vu dans Elon Musk l’un des artisans du retour du président américain. Et il est vrai que X, anciennement Twitter, a servi de plateforme massive pour la candidature républicaine. Musk est accusé, avec un faisceau d’indices fort, d’avoir biaisé son réseau social pour faire ressortir un discours favorable à Trump – et à tous les combats du patron de Tesla et SpaceX, même les plus réactionnaires. Dès lors la sentence est tombée : ce X là, qui soutient ces idées-là et les pousse pour attiser la haine, on n’en veut plus — et cela se comprend aisément.

Suit alors, comme depuis quelques années, une séquence où les heureux points de chute communiquent sur la croissance de leur communauté. Autrefois, c’était Mastodon ; aux États-Unis, c’était Threads ; cette fois-ci, c’est BlueSky.

Bien. Diversifier ses canaux de communication est évidemment une bonne chose – Numerama n’a pas de leçon à donner : le média est sur Facebook, X, TikTok, Instagram, Flipboard, Google News, YouTube, Threads et même WhatsApp. Nous avons même eu une présence sur des réseaux sociaux encore plus obscurs, comme feu SWEN, dédié à la vidéo. Prévoir un avenir où un canal de diffusion n’est pas dominant est aussi une excellente stratégie.

Mais quitter X est, à mon sens une erreur.

Avant toute chose, il y a un côté dommageable pour la démocratie à arrêter de parler sur une plateforme parce qu’on estime qu’elle n’est pas assez orientée comme on le pense.

On s’est suffisamment moqués de Truth Social ou de Parler, créant des bulles réactionnaires et complotistes aux États-Unis à l’époque où Twitter était jugé « trop de gauche », pour ne pas s’enorgueillir de transformer BlueSky en seul havre de paix progressiste qui « mérite » nos idées. Qu’est-ce qu’il y a de pire qu’une société qui construit des murs, fussent-ils virtuels, de plus en plus infranchissables ?

Si vous ne parlez plus sur X, si des médias d’excellente réputation comme le Guardian ou Ouest France quittent X, si des personnalités publiques progressistes quittent X, ils et elles font le choix de porter leur discours uniquement dans un cercle restreint de personnes d’accord avec leurs postulats. Ils n’enrichissent plus un débat d’idées, ils ne donnent plus le change, ils n’apportent plus le contradictoire nécessaire à leurs opposants – si ce n’est pour les rallier à leur cause, au moins pour faire émerger un compromis. Les médias, pire encore, font le choix de ne plus alimenter une plateforme dominante en information de qualité.

Difficile de trouver des chiffres à jour, mais la Social Room estime qu’il y a 17 millions d’utilisateurs de X en France – c’est le nombre d’utilisateurs de BlueSky dans le monde entier. C’est dire l’audience laissée, par contraste, sur le bas-côté. Cette audience qu’on ne verra pas venir lors des élections, qu’on commentera d’un « qui aurait pu croire », alors qu’elle s’est juste exprimée dans l’ailleurs de pensée unique, violente et bas du front qu’on lui a laissé.

Ne détruisez pas un pont après l’avoir traversé

Quitter X, c’est donc aussi, naturellement, manquer les sujets qui animent la France. Les tendances de fond sont toujours détectables sur un réseau social qui a le plus d’utilisateurs et d’utilisatrices possible. Qu’il s’agisse de commenter la Star Academy, un match de rugby, de la politique intérieure, un fait-divers ou un phénomène de société, il y aura sur X, derrière les bots russes et les cryptoscammeurs, une facette de la réalité du pays — les médias, au moins, ne devraient pas l’ignorer. Représentative qui plus est par son nombre et par les sujets que X fait émerger. Qu’on le veuille ou non, la devise « Ce qui se passe » du réseau social est toujours forte en 2024.

Alors oui, je l’admets bien volontiers : X n’est pas une partie de plaisir et Lucie Ronfaut, qui écrit notre newsletter #Règle30, est dans le vrai quand elle revendique un droit à être tranquille sur Internet. Mais X est, au fond, un miroir de la vie réelle : la bienveillance et le respect de l’autre ne sont pas les valeurs les mieux partagées – je suis bien placé pour le savoir, je suis cycliste à Paris.

Parfois, on se dit qu’on mérite mieux, sur le web, que la violence subie passivement dans la vraie vie. On pourrait faire le choix d’autre chose, de plus paisible, qui nous ressemble le plus, parler à des communautés plus resserrées qui partagent nos idées. Oui, c’est plaisant et au fond, tout le monde le fait, sur des groupes, des forums, des conversations à plusieurs, etc. Mais cela ne fait pas une société, si l’approbation absolue de ses opinions ou le partage de ses passions est une condition sine qua non pour entrer en contact, en communication. Et quand on pense que c’est l’autre qui fait le choix d’être extrême, peut-être a-t-on tout intérêt, à long terme à rester l’adulte dans la pièce : non pas le « camp du bien » et ses fantasmes, mais celui qui garde les pieds sur Terre et embrasse la dialectique de la nuance.

Car cela ne fait pas non plus une société si les groupes de pensées n’ont plus aucune porosité, incapables d’évoluer en apprenant de l’autre. Et que tout, physiquement, finit par les radicaliser. L’exode sur Truth et Parler de l’alt right américaine après l’élection de Joe Biden est un bon exemple de mur dressé, qui n’a pas arrangé les mentalités américaines.

Encore une fois, cela crée seulement des impasses. Au contraire, trouver du réconfort sur un autre réseau social devrait toujours être un pont qu’on ne détruit pas après l’avoir emprunté.

Parce que X aura toujours besoin d’une info technologique, scientifique et culturelle de qualité, qu’importe la réception par sa communauté, qu’importe l’audience que le réseau social génère sur notre site (négligeable), Numerama y restera.

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