Par Sylvain Eliade : Quand la Sacem exige de tout vendeur de musique en ligne qu’il impose des DRM à ses clients…

Je suis un très grand amateur de musique. J’ai des centaines de CDs chez moi, je vais souvent à des concerts et je suis en contact avec plusieurs artistes
indépendants.

En voyant ce qu’était la vente légale de musique en ligne, une myriade de sites dont l’unique différence est leur nom : même catalogue, mêmes prix exhorbitants, même rémunération ridicule des artistes, même impossibilité à utiliser avec autre chose qu’Internet Explorer et Windows, même restrictions de copie stupides (DRM), etc. J’ai eu l’idée de créer un site où on pourrait payer pour télécharger de la musique de manière légale, en ayant la liberté de faire ce qui nous plaît avec la musique achetée et à un prix équitable pour l’artiste.

J’ai tout de suite fait une croix sur la musique « mainstream » (signée chez les majors), les producteurs demandant une part astronomique sur le prix de vente.

Je me suis donc tourné vers la musique indépendante: artistes auto-produits ou produits par de petits producteurs indépendants qui ne réclameraient pas des pourcentages colossaux.

Au bout de quelques jours, le projet était devenu clair: l’objectif du site serait de vendre de la musique d’artistes indépendants, à prix libre, dans des formats audios sans DRM. Ainsi l’acheteur pourrait choisir le prix d’achat librement, sans aller en dessous d’un certain minimum (que nous avons déterminé à 30 centimes par morceau et 3 euros par album). Sur ce prix de vente, quel qu’il soit, la part revenant au site reste fixe (15 centimes par morceau et 1,5 euros par album), tout le reste irait entièrement à l’artiste.

Pour l’artiste, cela signifie qu’il perçoit au minimum la moitié du prix de vente, ce qui est plus que largement supérieur à la part qu’il peux toucher sur la vente d’un CD ou sur les autres sites (de l’ordre de 10% du prix de vente).

Enfin, le site serait géré par une association à but non lucratif et non une entreprise.

En théorie, et selon mes calculs, le projet était viable dans tous ses aspects. De plus, des projets similaires, comme Magnatune, ont prouvé que c’était possible. Et le succès de sites comme le russe Allofmp3 ont démontré que chacun est prêt à payer pour de la musique en ligne si celle-ci est abordable, et si le format est accessible.

Comme la plupart des artistes auto-produits avec lesquels je suis en contact sont signés à la SACEM, je me suis dit « OK on va signer avec la Sacem pour proposer des artistes Sacem ça nous fera une bonne diversité et plus de liberté« . J’ai donc pris contact avec la Sacem afin de connaître leurs tarifs, le mois dernier.

Là, les tarifs me semblaient acceptables et rentraient dans mes prévisions de tarifs sans problème. Cependant, au moment de lire le contrat, une clause m’a sacrément posé problème ; l’article 3 impose en effet la présence de DRM.

Voici l’article en question:

ARTICLE 3 – MESURES TECHNIQUES

Le Contractant s’engage à prendre les mesures techniques, reconnues comme fiables par l’industrie, pour empêcher toute utilisation non expressément autorisée par les Sociétés d’auteurs, par quelque moyen que ce soit, des œuvres musicales qu’il propose aux Consommateurs.

Le Contractant s’engage à informer les Sociétés d’auteurs des mesures techniques qu’il prend pour assurer le respect des limites de l’autorisation délivrée au présent contrat. Ces mesures doivent, d’une
part, être adaptées en fonction de l’évolution des systèmes de protection
et de marquage des œuvres et, d’autre part, correspondre à un niveau de sécurité réelle compte tenu des possibilités de contournement existant à un
moment donné.

Le Contractant s’engage, d’une part, à informer les Sociétés d’auteurs de tout acte d’utilisation non autorisé dont il aurait connaissance et, d’autre part, à coopérer avec les Sociétés d’auteurs pour la mise en œuvre de tout moyen permettant de faire cesser ces actes illicites et d’obtenir réparation du préjudice subi à ce titre.

Donc non seulement la SACEM impose la présence de DRM aux revendeurs de musique en ligne, mais pas n’importe lesquelles, celles qui sont « reconnues comme fiables par l’industrie ». Dans les faits ça veux dire les DRM de Windows Media, dont la licence d’encodage coûte près de 1.000 $ par serveur. Une somme évidemment impossible à lever pour une association à but non lucratif qui veux juste aider les artistes. Et même si on pouvait se payer cette licence, la présence de DRM est un frein majeur à l’achat de musique en ligne, de plus elles obligent à l’utilisation d’une plate-forme unique et propriétaire. Etant un fervent partisan et utilisateur des logiciels libres, je me voyais mal proposer un service que je n’aurais pas pu moi-même utiliser…

Après discussions avec mon interlocuteur à la SACEM, aucune des clauses du contrat n’est négociable, c’est à prendre ou à laisser.

On a donc choisi de laisser l’option SACEM. Et de ne distribuer que des artistes
qui ne sont pas inscrits à la SACEM. Pour nous c’est un vrai défi, mais il est d’autant plus intéressant désormais et nous sommes prêts à le relever. Nous sommes actuellement en train d’élaborer les statuts de l’association et à
envisager l’ouverture du site d’ici quelques mois.

Avec ou sans la SACEM, nous ferons vivre la musique indépendante en ligne, payante et légale.

Sylvain Eliade
Association AlterMusique

(Note de la rédaction : Si vous souhaitez publier vos propres réflexions dans les colonnes de Ratiatum, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante :
)

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