[Opinion] TikTok a décidé d’interdire certains filtres à selfie aux mineurs. Les débats sur les filtres à selfie symbolisent surtout une forme hypocrisie face aux méfaits réels et supposés des plateformes sur les jeunes. C’est le sujet de la newsletter Règle 30 cette semaine.

TikTok est une application qui fait peur. On s’inquiète de ses liens avec le gouvernement chinois, de ses algorithmes de recommandation ultra-personnalisés, capables de perturber des élections ou de nourrir des sous-cultures violentes, bien cachés derrière les murs impénétrables de nos fils #PourToi. Surtout, on craint TikTok parce que c’est une application populaire auprès des jeunes. Quand on veut dénoncer l’influence négative des réseaux sociaux sur les ados, on a donc tendance à lui taper dessus en priorité, comme si TikTok représentait l’intégralité du web. Et à ce propos, un sujet revient régulièrement sur la table : les filtres à selfie.

TikTok n’est pas le premier réseau social à proposer des filtres à selfie, des programmes conçus pour modifier l’apparence de ses utilisateurs et utilisatrices. C’est un grand classique des applications de photo en Asie depuis une quinzaine d’années, finalement popularisé en Occident grâce à Snapchat. Mais, c’est bien TikTok qui a cristallisé nos inquiétudes, avec la médiatisation du filtre « bold glamour«  en 2023. En vérité, il existe de très nombreux filtres sur TikTok qui sont bien moins caricaturaux. Il suffit d’ouvrir sa caméra dans l’application pour qu’on nous propose par défaut une version subtilement améliorée de nous-même.

La semaine dernière, TikTok a annoncé que certains filtres de beauté seraient bientôt interdits pour ses utilisateurs et utilisatrices de moins de 18 ans. L’entreprise s’est associée avec l’organisation anglaise Internet Matters, qui souligne dans une étude que de nombreux enfants sont incapables de distinguer une image réelle d’une photo ou vidéo retouchée. TikTok n’a pas précisé les critères sur lesquels un filtre serait autorisé ou non, mais a promis de développer « une culture de l’authenticité » sur son service.

À droite, un exemple de filtre "beauté" sur TikTok (mes lèvres sont rehaussées, ma peau lissée, mon menton affiné, mes grains de beauté ont disparu). Sur la photo d'origine, je suis maquillée et mon visage est légèrement déformé par la caméra à selfie de mon smartphone.
À droite, un exemple de filtre « beauté » sur TikTok (mes lèvres sont rehaussées, ma peau lissée, mon menton affiné, mes grains de beauté ont disparu). Sur la photo d’origine, je suis maquillée et mon visage est légèrement déformé par la caméra à selfie de mon smartphone.

Cet édito est extrait de la newsletter Règle 30 de Lucie Ronfaut du mercredi 4 décembre 2024. Pour recevoir les prochains numéros, vous pouvez vous abonner :

Premièrement, n’importe quel réseau social qui vous promet une « culture de l’authenticité » en 2024 mérite qu’on rigole un bon coup. Deuxièmement, on a déjà assisté à une séquence médiatique très similaire en 2019, lorsque Instagram a interdit les « filtres faisant la promotion de la chirurgie esthétique« . L’annonce de TikTok, accompagnée d’autres nouveautés censées garantir la sécurité des plus jeunes, s’inscrit dans un contexte tendu pour l’entreprise. Elle est visée par plusieurs projets législatifs dans le monde, qu’il s’agisse de la bannir complètement (ou pas, Donald Trump n’en est plus si sûr) ou d’interdire au moins son utilisation aux adolescent·es. Il s’agit donc d’apaiser les gouvernements et l’opinion publique. Peu importe si la restriction des filtres de beauté est une solution irréaliste, qui sera vite contournée par les premiers concerné·es.

Se méfier du technosolutionnisme

Je ne nie pas les effets potentiellement délétères des réseaux sociaux sur les ados (à condition de se souvenir qu’ils ont également des effets positifs). On doit pointer du doigt la responsabilité des plateformes sur les sujets qu’elles peuvent et refusent de contrôler (surveillance, modération, transparence des algos, etc.). On doit aussi se méfier du technosolutionnisme et admettre notre hypocrisie sur la protection des jeunes en ligne. Si on interdit les filtres à selfie, est-ce qu’on bannit aussi sans nuances le maquillage, la retouche photo, les publicités ciblées qui me hurlent qu’il est temps de penser au botox et à la crème anti-rides ? 

« Se demander si les réseaux sociaux font du mal à nos ados, ce n’est pas la même chose que de se demander si les réseaux sociaux comportent des risques« , écrivait récemment la chercheuse américaine danah boyd. À titre personnel, je rangerais le bold glamour dans la même catégorie que d’autres pratiques à la mode visant à renforcer les rôles genrés traditionnels et leur apparence, du « lookmaxxing«  aux gym bros et tradwives en passant par les militant·es transphobes obsédé·es par le « vrai » visage d’une femme. A-t-on peur des filtres à selfie, ou de notre époque ?

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