Comment affirmer sa présence aux avant-postes de la recherche en calcul quantique ? En assénant un nombre massue d’entrée de jeu. C’est ce que vient de faire Google le 9 décembre, en présentant ses plus récents travaux dans l’un des domaines de recherche où le groupe américain est le plus actif, avec l’intelligence artificielle.
Ses travaux, mais aussi une nouvelle puce appelée Willow. Et cette Willow, selon Google, s’est distinguée en effectuant « en moins de 5 minutes un calcul de référence standard qui prendrait à l’un des superordinateurs les plus rapides d’aujourd’hui 10 septillions (c’est-à-dire 1025) années ». Voilà pour ce qui est du nombre massue.
729 927 billions d’Univers de plus
Il est impossible pour l’esprit de se représenter ce qu’est un chiffre 1 suivi de vingt-cinq 0. On peut bien sûr le coucher sur papier (10 000 000 000 000 000 000 000 000), mais on ne peut pas l’appréhender intellectuellement. En face, l’âge de l’Univers depuis le Big Bang n’est « que » de 13,7 milliards d’années (13 700 000 000).
Cela veut aussi dire que si le superordinateur utilisé pour cette comparaison avait fonctionné sans discontinuer depuis le Big Bang pour accomplir cette même opération bouclée en 5 minutes par Willow, il lui faudrait encore répéter ce cycle de 13,7 milliards d’années… 729 927 000 000 000 fois. Il faudrait donc encore 729 927 billions d’Univers.
En l’espèce, le superordinateur qui a servi de référence est Frontier, opéré par le département américain à l’énergie. Il est opérationnel depuis 2022 et est actuellement le 2e supercalculateur le plus puissant du monde, derrière El Capitan, une machine également américaine, selon le classement de référence de novembre 2024.
Cette annonce autour de Willow est accompagnée de la publication dans la prestigieuse revue scientifique Nature d’une étude signée par une large cohorte de 255 spécialistes du quantique. Ceux-ci proviennent aussi bien des rangs des laboratoires de Google que d’universités américaines ou européennes.
Cette étude, datée du 9 décembre, se focalise sur une méthode permettant de réduire le nombre d’erreurs dans le calcul quantique, afin de fiabiliser le résultat et stabiliser l’emploi des qubits. Le qubit est l’unité élémentaire sur laquelle se construit l’informatique quantique. C’est l’équivalent du bit pour l’ordinateur classique.
Une solution pour un défi vieux de 30 ans
Or, selon la firme de Mountain View dans son billet de blog, « plus nous utilisons de qubits dans Willow, plus nous réduisons les erreurs et plus le système devient quantique ». La réduction est « exponentielle à mesure que l’on augmente le nombre de qubits », ajoute Sundar Pichai, le patron de Google. Cela même résout « un défi vieux de 30 ans. »
En l’espèce, explique l’entreprise américaine, le défi en question est appelé le théorème du seuil (Threshold theorem). En informatique quantique, il est supposé qu’il est possible de maintenir le taux d’erreur de chaque opération quantique en dessous d’un certain seuil critique. C’est justement tout l’objet de l’étude parue dans Nature.
Titrée Correction d’erreurs quantiques en deçà du seuil du code de surface, l’étude visait à « démontrer que l’on est en dessous du seuil pour faire de réels progrès en matière de correction d’erreur, et c’est un défi de taille depuis que la correction d’erreur quantique a été introduite par Peter Shor en 1995 », ajoute Google.
Le célèbre mathématicien américain, dans une étude publiée à l’époque, avait esquissé un schéma de réduction de la décohérence dans la mémoire d’un ordinateur quantique, constatant que le problème de ce domaine est la « décohérence », en raison de la fragilité des qubits. Cette décohérence « détruit l’information » et « rend les longs calculs impossibles. »
Peter Shor a considéré à l’époque qu’il fallait trouver une solution analogue à des codes correcteurs d’erreurs classiques pour « réduire les effets de la décohérence pour les informations stockées dans une mémoire quantique ». Un objectif essentiel pour permettre à l’informatique quantique d’avoir un avenir à grande échelle.
Ce n’est pas encore la fin du voyage vers le Graal quantique
Dans un papier plus technique, Google décrit la manière dont il effectue cette correction d’erreurs, au point de diviser par deux le taux d’erreur, pour l’amener un à ratio d’un pour mille. Bien, mais insuffisant au regard des besoins, admet la société. Le ratio indispensable qu’il faudra attendre un jour devra être d’un pour un billion.
Bien sûr, grâce à la correction des erreurs, il serait en principe possible de faire évoluer le système pour réaliser un calcul quantique presque parfait. Mais Google calme le jeu. Il y a encore beaucoup de chemin à accomplir, d’autant que les avancées obtenues récemment se sont déroulées dans un périmètre restreint.
En l’espèce, Google fait remarquer que le processeur Willow est doté de 105 qubits. Or, Avec les taux d’erreur actuels, il faudrait plus d’un millier de qubits physiques pour obtenir des taux d’erreur relativement modestes, de l’ordre de 10-6. Et rien ne dit que les mêmes performances seront atteintes avec un processeur de 1 000 qubits. Et ainsi de suite.
En outre, cette démonstration a ses limites, relève Le Monde. Elle a été faite sur une mémoire qui a consisté à répéter les étapes de lecture de sa valeur, et non sur un vrai calcul. Aucune tentative de manipulation de qubit n’a eu lieu. Par ailleurs, sans être ridicule, le taux d’erreur n’est pas si remarquable que ça. En somme, il y a encore du pain sur la planche.
Il reste à savoir si ces challenges réussiront à être remportés d’ici cinq ans, date à laquelle Google pense pouvoir commercialiser un premier ordinateur quantique — selon ses projections faites en 2021.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !